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CGT: La défaite en chantant
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La défaite en chantant : édito n°56 - Chroniques critiques (zones-subversives.com)
Depuis son élection à la tête de la CGT, Sophie Binet multiplie les interventions médiatiques. L'ancienne bureaucrate étudiante de l'Unef est saluée pour sa fraîcheur et son renouveau. La chef de la CGT se confie notamment sur le bilan du dernier mouvement social sur les retraites. Il faut reconnaître à Sophie Binet le talent d'adopter le ton de la sincérité voire même de la modestie. Elle reconnaît volontiers la faible implantation syndicale en dehors de quelques bastions hérités du siècle dernier. Mais reconnaître les limites de la CGT permet avant tout de justifier la défaite. Défaite... le mot est rarement prononcé. Deux ans de plus pour un taf de merde payé des miettes: voilà le seul résultat concret obtenu par une intersyndicale supposée responsable et pragmatique.
Sophie Binet préfère voir le verre à moitié plein. La bataille de l'opinion a été remportée de manière écrasante et un mouvement de masse a émergé. Mais pour quels résultats ? La question reste rarement posée. Même dans les médias pseudo alternatifs qui cuisinent Sophie Binet avec la férocité d'un journaliste de France Inter face à un membre du gouvernement. La CGT communique notamment sur les adhésions en masse. Sans doute pour préparer des défaites encore plus massives. Pour la CGT, il n'y a pas eu une défaite humiliante. Il y a simplement un méchant Macron qui bafoue tous les droits et méprise l'opinion. Difficile de dire le contraire. Mais trop facile de s'arrêter à cet aspect.
Le mouvement contre la réforme des retraites n'a pas été un véritable mouvement social. Il n'y avait pas de grèves reconductibles qui permettent de briser la routine du travail pour créer de la solidarité de classe. C'était un mouvement d'opinion porté par des fonctionnaires en pré-retraites. Mais aucun débordement ne s'observe. Les actions de blocage sont portées par la CGT et visent davantage à soutenir des secteurs syndiqués plutôt qu'à élargir la lutte. Les militants autonomes et même le résidu de Gilets jaunes n'ont pas été capables d'impulser des blocages de sites de production qui permettent d'attaquer le profit d'une entreprise et de mettre en actions ses salariés.
Mais il faut retenir de ce mouvement la sagesse de Laurent Berger. Si le pouvoir refuse de dialoguer avec des bureaucrates syndicaux prêts au moindre compromis, c'est la faillite du modèle démocratique. Les médias prétendent et espèrent que cette situation va profiter à Le Pen et à sa boutique fasciste. Mais le chef de la CFDT, qui a le mérite de la lucidité, confie redouter des révoltes plus sauvages et spontanées en dehors d'un encadrement syndical.
Les manifs de nuit qui ont éclaté après le 49.3 apparaissent comme la véritable nouveauté. Des jeunes se rassemblent, se rencontrent, se réapproprient l'espace urbain pour en faire un terrain de jeu. Les aspects ludiques se confondent avec la joie d'en découdre avec une police comme incarnation de l'État. Ces manifs sauvages préfigurent la révolte qui a éclaté après la mort de Nahel. Certes, ce mouvement apparaît comme plus éphémère et spontané que la mobilisation syndicale. Mais quelques nuits d'émeutes ont suffit pour déstabiliser davantage le pouvoir qu'en plusieurs mois de manifestations syndicales.
L'attitude de la gauche face à ce véritable mouvement social s'est, une fois de plus, révélée lamentable. Dans le meilleur des cas, la gauche reprend le discours victimaire de la police qui malmène les "racisé.e.s". Mais ce discours s'accompagne d'un jugement moral sur une jeunesse supposée depolitisée qui ne s'attaquerait pas aux bonnes cibles. "Or, la révolte ne manque pas d’objectifs : comicos, mairies, prisons, casernes, boutiques, écoles. Tout ça, on aimerait suggérer à celles et ceux qui qualifient cette révolte de « nihiliste », que ça dessine une cohérence...", souligne un texte lucide. Ce qui nous rappelle que la gauche se compose avant tout de profs et de travailleurs sociaux qui jouent un rôle d'encadrement des pauvres et de contrôle social.
Même si cette révolte ne doit pas être idéalisée. Elle ne va pas laisser de traces immédiates. Les émeutes ne débouchent pas vers des luttes pour empêcher des expulsions locatives par exemple. Surtout, les manifestations n'ont pas duré. Mais la dimension éphémère et spontanée de ce moment insurrectionnel fait aussi sa force. Les commerçants et les politiciens savent que la braise n'a pas eu le temps de s'éteindre. La bourgeoisie craint de rallumer l'incendie. Il semble désormais important de s'organiser face à la police, mais aussi face aux bailleurs qui expulsent et aux patrons qui exploitent. Il devient indispensable de tisser une solidarité pour relever la tête et ne plus se laisser faire.