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Ukraine, les populations sacrifiées aux rivalités entre les grandes puissances
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le 24 août dernier, le journal Le Monde publiait, dans un article intitulé « Derrière le secret des pertes militaires, un massacre à grande échelle », un bilan des victimes militaires de la guerre en Ukraine que le New York Times tenait d’officiels américains qui avaient témoigné sous le sceau du secret. Il y aurait 500 000 morts et blessés au total parmi les soldats des deux armées, sans compter les victimes civiles en Ukraine causées en particulier par les bombardements russes. Un bilan terrible auquel il faut ajouter en Ukraine les destructions de villes et d’infrastructures, de saccages des récoltes et des terres agricoles.
Une boucherie sans fin
La guerre de tranchées qui se mène à l’est et au sud s’avère un calvaire pour les soldats des deux armées et les populations de la région, « un grignotage lent, sanglant et malaisé », d’après un journaliste des Echos dans un article du 14 août dernier. Les dirigeants des deux camps s’ingénient à remplacer les soldats morts et blessés par de nouveaux contingents à envoyer à la boucherie. En Ukraine, le recrutement est au cœur de la corruption, Zélensky a dû en révoquer l’ensemble des responsables qui se faisaient offrir des pots de vin pour permettre d’échapper à la réquisition. En Russie, dont la population est près de quatre fois plus nombreuse qu’en Ukraine, le pouvoir a cherché à éviter les troubles que pourrait susciter une nouvelle mobilisation forcée comme cela avait été le cas en septembre 2022. Il a d’abord recruté des prisonniers contre la remise de leur peine, puis offert aux hommes qui s’enrôlent une solde de 2000 euros, 4 ou 5 fois supérieure au salaire moyen russe et l’assurance de fortes indemnités pour leur famille en cas de mort ou d’invalidité. Et Poutine préparerait déjà une nouvelle mobilisation.
Cette boucherie est appelée à durer, quels que soient les revers ou les avancées des uns ou des autres sur le terrain, les dirigeants des deux camps ne voulant aucun compromis, aussi bien le tyran Poutine, pour qui se joue le maintien de son pouvoir, que Zélensky sous la pression de sa droite ultra-nationaliste et des puissances occidentales coalisées dans l’Otan auxquelles il a fait allégeance. Celles-ci, en premier lieu les Etats-Unis, ont jusqu’à présent fermé toute voie à une issue diplomatique en faisant leur l’exigence de Zélensky de reprendre tous les territoires annexés par la Russie de Poutine, y compris la Crimée.
La guerre s’éternise et pourrait aussi s’étendre. L’État polonais joue le rôle de tête de pont de l’Otan contre la Russie, avec un budget militaire atteignant déjà 4 % de son PIB, au-delà des 2 % préconisés par l’Otan, des éléments de l’armée ukrainienne sont impatients de bombarder la Russie et on ne peut exclure que Poutine qui a déjà agité la menace d’utiliser l’arme nucléaire mette celle-ci à exécution.
Aucun soutien à cette guerre ! L’ennemi est dans notre propre pays !
Les peuples ukrainien et russe, et au-delà, n’ont aucun intérêt à cette guerre et il n’y a pas d’autre moyen d’en finir que la révolte des classes populaires contre leurs propres dirigeants, avec pour objectif la fraternisation entre les travailleurs ukrainiens et russes débouchant sur une fédération socialiste des Etats russe et ukrainien. La question qui se pose à nous et à l’ensemble du mouvement révolutionnaire est comment y contribuer, et a minima, vu le manque de nos forces pour intervenir en Russie et en Ukraine, n’apporter aucun soutien à la politique belliciste de notre propre gouvernement. Comme le disait au début de la Première guerre mondiale le révolutionnaire allemand, Karl Liebknecht, « L’ennemi est dans notre propre pays ».
Cette analyse et les conclusions qui en découlent - aucun soutien à cette guerre, fraternisation entre les peuples - est clairement indépendante de l’idée d’une « guerre de libération » du peuple ukrainien, d’une guerre entre la seule Russie de Poutine et l’État ukrainien, d’une guerre isolée de son contexte international. Cette conception mensongère est à la base de la propagande de nos gouvernements, des USA et de l’Otan, de l’UE.
Celle-ci est partagée par la plupart des forces politiques, y compris malheureusement par certains courants de l’extrême gauche. Elle se fonde sur l’idée que seul Poutine est responsable de la guerre parce qu’il est l’agresseur, et responsable des crimes et des exactions de l’armée russe en Ukraine. Ce qui est incontestable mais sont mises de côté les responsabilités des vieilles puissances impérialistes, en premier lieu les Etats-Unis qui dirigent l’Otan, qui depuis l’effondrement de l’URSS en 1991 n’ont cessé de travailler à l’isolement de la Russie devenue capitaliste en intégrant, pays après pays, tous les Etats qui faisaient partie du glacis soviétique dans leur coalition militaire, l’Otan, et dans l’Union européenne.
Retour sur les origines de la guerre, la responsabilité des USA et de l’Otan
C’est en 2008 que les rapports entre la Russie et les puissances occidentales se sont irrémédiablement détériorés, lorsque l’Otan, lors de son sommet annuel qui se tenait en avril 2008 à Bucarest, a mis dans son agenda l’intégration à l’Alliance de la Géorgie et de l’Ukraine. La Géorgie et l’Ukraine sont les deux seuls pays sur le front occidental de la Russie, si on excepte la Biélorussie, qui n’y étaient pas encore intégrés. Poutine avait clairement fait savoir que c’était une ligne rouge à ne pas dépasser, qu’il considérait que c’était une « menace existentielle » pour la Russie. Poutine a d’ailleurs, dans les semaines qui ont suivi, lancé une expédition militaire en Géorgie en soutien aux républiques séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud. En persistant dans leur volonté de faire de l’Ukraine « un bastion de l’Occident aux frontières de la Russie », selon l’expression du professeur américain spécialiste des relations internationales John Mearsheimer, les dirigeants de l’Otan n’ignoraient pas qu’ils risquaient de déclencher une réaction brutale de Poutine.
En 2014, suite à la révolte de Maïdan qui a abouti au renversement de Ianoukovitch, le dictateur ukrainien étroitement lié au régime russe, Poutine a occupé la Crimée et encouragé la sécession du Donbass en armant en sous-main les milices séparatistes pro-russes. A partir de cette date-là, Poutine pouvant désormais être présenté comme l’agresseur, l’Ukraine a été armée et entraînée par l’Otan, participant régulièrement aux manœuvres militaires de l’Alliance en Europe de l’Est. Au point que le Wall Street Journal commentait les succès de l’armée ukrainienne face à l’agression russe dans son numéro du 13 avril 2022 par ce titre : « Le secret des succès militaires de l’Ukraine : des années d’entraînement dans l’Otan ».
Les accords de Minsk qui ont suivi n’ont jamais été appliqués et n’ont servi qu’à laisser le temps à l’Ukraine de se préparer à la guerre, comme le déclara plus tard Angela Merkel. Pas plus qu’aujourd’hui, les vieilles puissances impérialistes occidentales ne cherchaient un accord sur la sécurité en Europe incluant la Russie.
Dire que l’Otan n’aurait aucune responsabilité dans cette guerre était déjà faux en 2014, continuer à le soutenir aujourd’hui relève de l’aveuglement alors que tous les sommets de l’Otan depuis février 22 sont consacrés au soutien militaire à l’Ukraine, que les Etats-Unis et l’Otan ont associé à ce soutien, non seulement les 31 Etats membres de l’Otan mais au total une cinquantaine de pays, dont la Corée du sud, le Japon, l’Australie à travers le groupe de soutien à l’Ukraine dit de « Ramstein » du nom d’une des plus importantes bases militaires américaines en Allemagne.
L’engagement direct de l’Otan dans la guerre n’est pas de la même nature que lors de la guerre froide. L’Otan est aujourd’hui le bras armé de la coalition des vieilles puissances impérialistes pour maintenir leur domination sur le monde contre l’ensemble des nations qui la contestent.
Les rivalités entre grandes puissances pour l’accaparement des richesses
2008, c’est aussi un tournant dans le développement de la crise du capitalisme mondialisé dont l’aggravation brutale entraîne une exacerbation de la concurrence économique sur l’ensemble de la planète, une accentuation de l’exploitation des travailleurs et du pillage des ressources naturelles, l’exacerbation des tensions sociales et guerrières.
Fondamentalement, c’est de cette lutte pour l’accaparement des richesses, la mainmise sur les ressources minières, en énergie et agricoles que procède la guerre.
C’est évidemment une des préoccupations majeures de Poutine dans cette guerre, assurer aux capitalistes russes la sécurité de leur pillage, l’accès aux richesses de l’Ukraine, c’est sur cette capacité qu’il fonde son pouvoir en plus de la démagogie nationaliste qui lui assure le soutien d’une partie des couches populaires. Les revers dans la guerre, l’affaire Prigojine jusqu’à sa brutale élimination, sont autant d’indices de la fragilisation de son pouvoir.
Mais les vieilles puissances impérialistes, les Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan, sont mues par les mêmes intérêts qu’elles camouflent sous les pieux mensonges de la lutte des démocraties contre les dictatures et de la liberté des peuples. Elles ne font pas que profiter de l’agression de Poutine contre l’Ukraine pour s’engager dans une surenchère militariste seulement parce que celle-ci profite à leurs multinationales de l’armement. Elles sont les principales responsables de l’engrenage guerrier dans lequel celui-ci s’est engagé en Ukraine et elles font de la population ukrainienne la chair à canon de la guerre par procuration qu’elles mènent contre la Russie et pour construire des alliances militaires contre la Chine.
Pour la fraternisation des travailleurs et des peuples
La guerre en Ukraine s’inscrit dans l’offensive des Etats-Unis pour tenter de préserver leur hégémonie mondiale contestée par de nouvelles puissances émergentes. Elle leur a permis de reprendre pied en Europe en prenant la tête d’une vaste coalition qui ne se limite pas aux pays européens membres de leur alliance militaire, l’Otan, mais inclut entre autres des Etats de l’Indo-Pacifique, Corée du sud, Indonésie, Japon, Australie, au total une cinquantaine de pays qui font partie du groupe de Ramstein. Dans leur ligne de mire, il y a évidemment la Chine.
La gravité de la situation nécessite de mener un large débat dans l’ensemble du mouvement ouvrier et, évidemment, le mouvement révolutionnaire. Nous ne sommes plus à l’époque de la guerre froide, mais une nouvelle période inédite, un nouveau stade de développement du capitalisme qui débouche sur une période de guerres et de révolutions.
Notre solidarité avec la population ukrainienne est indissociable de notre solidarité avec la population russe et s’inscrit dans le combat internationaliste contre les brigands de tous bords qui protègent les intérêts des classes exploiteuses et dressent les peuples les uns contre les autres, les sacrifient à la défense de leurs intérêts.
Nous jugeons essentiel de soutenir politiquement les militants internationalistes ukrainiens et russes et nous exprimons ce soutien par notre indépendance politique à l’égard de Macron et de l’État français en refusant l’union sacrée autour de la guerre, non seulement en n’apportant aucun soutien à celle-ci mais en la dénonçant comme contraire aux intérêts des peuples.
Galia Trépère
Trame d'une intervention aux RER du NPA