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Puy du Fou : le pitoyable argumentaire des suricates de Bolloré contre "Complément d’enquête"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
BILLET. Après la diffusion d’un reportage sur le Puy du Fou, « Complément d’enquête » est sous le feu du groupe Bolloré. Une manière, estime notre chroniqueur François Reynaert, de faire oublier les gênantes révélations de l’émission.
Vous connaissez les suricates ? Ces étranges mammifères avec des têtes marrantes qui vivent en colonie dans le désert ont la particularité de se dresser les uns après les autres sur leurs pattes en poussant des petits cris dès que s’annonce quelque part un danger. Cette analogie, peu charitable, je l’avoue, me vient dès qu’apparaît une nouvelle manifestation de groupe de nos mini-carnivores médiatiques à nous : les bolloboys et bollogirls, les dévoués employés de la firme Bolloré, les Pascal Praud et autres Laurence Ferrari, les vedettes de CNews, les nouveaux éditorialistes d’Europe 1 (souvent les mêmes que les précédents), les futurs meilleurs employés du mois de « Paris Match » (le titre n’est pas encore racheté mais une partie du personnel se prépare à l’être), et les satellites de la planète, Elisabeth Lévy, Eugénie Bastié, Mathieu Bock-Côté, tous ceux qui ont leur rond de serviette ailleurs mais défendent leur strapontin sur les plateaux de Vincent B.
Ces gens ont un travail quotidien désormais bien connu. Il consiste à matraquer leurs obsessions identitaires vingt-cinq heures sur vingt-quatre en hurlant devant les 300 micros à leur disposition que désormais, à cause des wokes et des islamo-gauchistes qui nous gouvernent, on ne peut plus rien dire. Leur incombent en outre de fascinantes missions temporaires : se déchaîner en meute pour défendre les intérêts personnels de leur patron, dès lors que ceux-ci sont en jeu. On l’a découvert en février dernier lors d’une séquence effarante concernant la malheureuse Rima Abdul-Malak.
Il est vrai que la ministre de la Culture avait osé, sur France-Inter, une sortie inouïe pour une représentante de l’Etat. Elle avait rappelé la loi, c’est-à-dire que les autorisations de fréquences accordées à la firme Bolloré ne permettaient pas tous les dérapages et pouvaient être remises en cause par l’Arcom. Un nuage sur l’avenir des chaînes du patron ? De tous les bombardiers de la flotte impériale, télé, radio, presse écrite, était parti un véritable carpet bombing éditorial contre la malheureuse ministre et sa « dérive liberticide ». Même le sinistre Gaspard Proust s’était fendu d’un sketch, prouvant qu’il est souvent bien triste de devoir être drôle.
Six mois plus tard, après une autre séquence plus amusante – le matraquage promotionnel pour soutenir le lancement du livre de M. Sarkozy, grand ami du patron – nos suricates sont à nouveau de sortie, à propos d’un programme télé, le dernier épisode de « Complément d’enquête », diffusé sur France 2, le 7 septembre. Il ne touchait pas aux intérêts directs de M. Bolloré (en tout cas pas qu’on sache), mais il avait le front de s’en prendre à un des piliers de son biotope : Philippe de Villiers, célèbre historien en chef pour parc à thème. L’émission s’intitule : « Histoire, argent, pouvoirs : les vrais secrets du Puy du Fou ». On comprend qu’elle ait fait trembler ceux qu’elle met en cause. Précise, documentée, multipliant les témoignages contradictoires, elle est remarquable.
« Génocide vendéen »
Son propos se concentre sur deux angles d’attaque. Le second, présenté dans le dernier tiers du documentaire, est le plus classique : il consiste à démontrer le fond de sauce idéologique des spectacles présentés dans le château du Vendéen. Contrairement à ce que pensent sans doute les nombreux spectateurs qui s’y pressent, ces sons et lumières ne sont pas une aimable balade dans le passé de notre beau pays, mais soutiennent un projet idéologique très précis. Cet été même, Patrick Boucheron, professeur au collège de France et un des meilleurs historiens d’aujourd’hui, l’a décortiqué brillamment dans un long reportage qui a fait la une de « l’Obs » le 27 juillet 2023.
Enrobé dans le chromo d’un roman national daté, le cœur de ce dispositif vise à faire avaler au plus large public ce qu’on appelle chez les Villiers le « génocide vendéen », qui, selon eux, eut lieu dans la région durant la Révolution française. Répétons donc, pour la 2800e fois depuis trente-cinq ans, ce que, sinon quelques illuminés d’extrême droite, l’ensemble des spécialistes de la période affirment à ce propos. Oui, au cours des « guerres de Vendée » (1793-1796), les « bleus », les républicains, commirent d’épouvantables massacres contre les « blancs », c’est-à-dire les catholiques et monarchistes. Ces atrocités relèvent de l’horreur d’une guerre civile, d’un acharnement contre des ennemis idéologiques, pas de la volonté de détruire une population en tant que telle. Le tout, si l’on veut, est comparable aux guerres de Religion. Lors du dernier soubresaut de celles-ci, un petit siècle avant 1793, les sinistres dragons de Louis XIV, par exemple, sont allés massacrer les derniers protestants qui restaient dans les Cévennes. On ne sache pas que M. de Villiers, à propos de ces abominations, parle de « génocide cévenol » perpétré par des catholiques.
Cette idée de « génocide vendéen », martelée depuis quarante ans par une camarilla de monarchistes rancis, est un biais idéologique qui cherche à faire de la Révolution française la matrice des totalitarismes du XXe siècle et de Robespierre un prédécesseur d’Hitler. Un non-sens effrayant qui n’a pour but que de discréditer la République.
Le merveilleux monde de la corvée féodale
Plus originale (à nos yeux en tout cas, qui ignorions tout de cela) est la longue première partie de l’enquête qui parle finances et retrace les manipulations troubles et complexes sur lesquelles repose le succès florissant d’un petit spectacle local, devenu une machine à cash mondiale. Au départ, dans les années 1970-1980, le dispositif inventé par le créatif vicomte, sympathique comme un spectacle de patronage, reposait presque en tout sur le travail de centaines de bénévoles, les « puyfolais », des gens du coin généreux, contents de participer à une opération vivant à redynamiser leur coin de terre.
Ils sont désormais des milliers et ne peuvent se plaindre de rien : comme depuis le départ, ils possèdent les droits de l’ensemble, via une association. En tout cas c’est ce que leur répètent les Villiers chaque année, la main sur le cœur. Le problème – comme l’a débusqué le programme – est que cette vertueuse association sacrificielle et non marchande est désormais totalement soumise à une autre société, qui appartient elle… aux Villiers père et fils. En gros, l’ingénieux nobliau a réinventé l’Ancien Régime (son rêve). Il a recréé le merveilleux monde de la corvée féodale : les manants se saignent, les seigneurs règnent.
La charge est lourde et on comprend qu’elle déplaise. Le gros ennui pour ceux qu’elle vise, on l’a dit, est qu’elle est minutieuse, argumentée, implacable. Que faire pour sauver les meubles ? M. de Villiers annonce qu’il portera plainte pour diffamation. A voir. En gros, quand on claironne ce genre de menaces, c’est souvent qu’on ne les mettra pas à exécution. Ce serait dommage. On se réjouit par avance d’un procès où ses habiles dispositifs seraient mis au jour face à un juge.
En attendant, le vicomte tente une autre stratégie en demandant (ou en permettant) à son ami M. Bolloré d’envoyer la troupe. C’en est fascinant. Depuis une semaine, tous y vont, ceux que l’on a cités là-haut, sauf le jeune Proust (ou alors on l’a raté), et Hanouna, qui n’est peut-être pas au top sur les guerres révolutionnaires (à moins qu’il n’ait pas dit son dernier mot), mais avec des supplétifs, comme l’impayable Onfray. Tous bombardent avec les mêmes éléments de langage, méchant service public, journalisme honteux, basses attaques. J’ai vu passer quelque part l’inévitable « méthodes staliniennes ».
D’où viennent les « méthodes staliniennes » ?
« Méthodes staliniennes » est exactement la formule qui vient à l’esprit quand on se penche sur le pitoyable argumentaire déployé par la petite bande. Dans son principe, la technique des grandes années fonctionnait ainsi. Dès que quiconque attaquait le Parti sur quelque chose de vrai – le goulag, la dictature – Moscou sonnait la riposte mais ne la faisait jamais porter sur le fond (trop risqué) mais sur des calomnies visant à discréditer l’adversaire : vous attaquez la glorieuse URSS qui a vaincu Hitler ? Vous êtes donc nazi. Vous vous en prenez au parti des travailleurs ? Vous êtes forcément du côté du patronat réactionnaire.
Au hasard, je suis tombé ainsi sur l’affligeant billet d’Eugénie Bastié, une des porte-flingue de l’opération (qui par ailleurs s’en prend à « l’Obs »). Pourquoi, s’interrogeait-elle, cette engeance forcément de gauche s’en était prise à ce pauvre M. de Villiers et à son magnifique Puy du Fou ? Parce que la gauche refuse « le bénévolat », jalouse les succès et « n’aime pas la France ». Si si, madame, à gauche on aime les bénévoles, les succès et la France, c’est pour ça qu’on rêve que ceux qui prétendent la défendre soient honnêtes, respectueux de son Code du Travail et ne tordent pas son histoire dans le sens de leurs obsessions.
Dans l’ensemble, l’affreuse séquence que l’on vient à nouveau de vivre peut faire peur. Elle démontre, une fois de plus, la force de frappe de la pieuvre Bolloré, qui ne cesse de grossir. Rappelons que ce monsieur est en passe de mettre la main sur Hachette, le plus gros groupe d’édition français.
Humainement, son bilan est tout aussi terrifiant. Voir autant de gens qui se prétendent journalistes être capables d’une telle servilité moutonnière pour défendre les intérêts de celui qui les emploie fait mal au ventre. On peut aussi rester optimiste en reconnaissant à cette affaire un bon côté. En se déchaînant à ce point sur une seule émission, nos suricates ont donné à des milliers de gens l’envie d’aller la voir. Excellente idée, elle est passionnante et disponible en replay sur le site de France TV jusqu’au début octobre.