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Grève illimitée chez Keolis à Montesson (Yvelines)
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis une semaine, les travailleurs/ses du dépôt de bus de la société privée Keolis, filiale de la SNCF, sont en grève totale. 95% des 80 salarié.es ont cessé le travail et entendent bien tenir dans la durée s’il le faut. Simplement, parce que trop c’est trop. Les grévistes ne demandent vraiment pas la lune ! Au centre de leur lutte, des exigences simplement élémentaires : le rétablissement d’une prime d’intéressement et de participation (et cela dans un contexte d’inflation élevée qui rogne rapidement le pouvoir d’achat); et une bagarre contre des conditions de travail de plus en plus insupportables. Face à cela, la direction joue le pourrissement, et refuse toute rencontre avec les grévistes.
Tout cela se passe dans le contexte d’une ouverture des transports à la concurrence en Ile-de-France. Cette ouverture, dont la maitrise d’œuvre revient à la présidente de la Région, Valérie Pécresse (Les Républicains), se solde, de façon parfaitement logique, par un nivellement par le bas, avec un dumping social qui s’attaque durement aux travailleurs/ses, et une vaste négligence sur la maintenance et les investissements, qui diminue aussi la qualité des prestations fournies aux usager.es devenu.es des client.es, mais allègrement méprisé.es par la mise en œuvre des préceptes néolibéraux et par la direction de Keolis.
Face au bras de fer voulu par la direction, la lutte tient bon, la détermination des grévistes est bien présente, mais le besoin de soutien et de solidarité, notamment financière, est toujours plus présent. Des gestes de solidarité concrète se sont déjà multipliés, mais le soutien aurait besoin d’une meilleure structuration pour aider les camarades en grève à tenir et à l’emporter contre une direction méprisante et face à une orientation néfaste pour toutes et tous, sauf la poignée de milliardaires et d’actionnaires qui continuent à vouloir pomper la quasi-totalité des richesses produites, dans le domaine des transports comme ailleurs.
Les grévistes de Keolis le 18 septembre 2023
Nous avons interviewé quatre grévistes de Keolis Montesson, toutes et tous militant.es de Solidaires : Amine (délégué syndical Sud Solidaires), Demba, Oumi, et Sacko, qui nous expliquent les tenants et les aboutissants de leur lutte, et dont nous restituons les propos ci-dessous.
Par: Michael Lenoir, le 20 septembre 2023.
- La lutte actuelle et ses raisons
- Suppression de la prime de participation et d’intéressement, cause N°1 de la grève.
Sacko : Depuis l’arrivée de Keolis en 2022, nous avons perdu beaucoup de choses… Il n’y a plus de prime de participation et d’intéressement. Là, on demande juste à avoir ce qu’on avait avant. Ni plus, ni moins.
ML : Avant, c’est-à-dire du temps de Transdev ?
Sacko : C’est ça. Depuis 17 ans, à l’époque de Veolia et jusqu’à Transdev, j’ai toujours eu mes primes de participation et mes primes d’intéressement. Et depuis l’arrivée de Keolis en 2022, ça a disparu. La première année, on n’a rien eu. Ils disaient qu’ils venaient d’arriver, que c’était une nouvelle société qui avait été créée, il fallait tout recommencer à zéro. Maintenant on a fait la première année, et ils nous annoncent que les chiffres ne sont pas bons, qu’ils sont en perte de près de trois millions d’euros. Donc pas de prime de participation, pas de prime d’intéressement. Et à prévoir aussi que l’année prochaine ça sera la même chose. Du coup, on a dit : on va réagir, on ne va pas attendre…
ML : Alors que les chiffres sont bons ? Ils racontent du baratin ?
Sacko : Les chiffres sont bons. Ils gagnent les marchés. Ils sont mondialement connus. Le fait qu’aujourd’hui, on soit tous là, c’est le fait qu’il y a deux semaines de cela, le directeur s’est mis face à nous pour nous dire pourquoi pas de prime. Et il nous a dit à tous : je ne donnerai les primes qu’au premier étage, c’est-à-dire tout ce qui est maîtrise et cadres ; et en bas, désolé, mais il n’y aura rien ! Et elle sera maintenue l’année prochaine, pour le premier étage. Et nous, pareil, l’année prochaine : zéro.
Sacko : J’ai oublié de vous dire qu’ils nous ont fait un mariage forcé avec le dépôt d’Argenteuil, 300 chauffeurs là-bas qui ne nous suivent pas pour la grève. Ils sont 300 et nous 80. On a demandé à Argenteuil de nous suivre, mais ils ne nous suivent pas. Donc on est le seul dépôt aujourd’hui à être fermé. Ils nous ont fait un mariage forcé. On a été obligé d’accepter.
ML : C’est un dépôt Keolis aussi ?
Sacko : Oui. Ils nous ont regroupés, pour nous faire mal. Mais eux, ils ne veulent pas nous suivre dans la grève.
ML : Pour comprendre : c’est Keolis qui a racheté cette activité à Transdev ?
Sacko : C’était un appel d’offres. C’est Ile-de-France Mobilités (Valérie Pécresse) qui a créé ce système-là. Donc ils ont fait un appel d’offres. Transdev a perdu l’appel d’offres, et Keolis a gagné, vu qu’ils ont fait des prix à -50%… Normal : ils ont gagné, et voilà.
ML : Donc ils gagnent l’appel d’offres en écrasant les conditions de travail et les rémunérations…
Sacko : Voilà. Ils nous écrasent nos primes d’intéressement et nos primes de participation, qui ne sont pas grand-chose, encore une fois ! Nous, on veut juste gagner ce qu’on avait avant. Pas plus, pas moins. Les primes de participation et d’intéressement, c’est à peu près quoi (en moyenne) ? C’est 1000 euros dans l’année. C’est 1000 euros multipliés par 400 personnes.
ML : En plus, ils vous sucrent ça alors qu’il y a une inflation élevée…
Sacko : En plus eux, ils disent qu’ils nous ont augmentés de 4%. Et ça devrait nous satisfaire. Mais 4%, avec l’inflation qu’il y a aujourd’hui, ça sert à quoi ?
ML : Bien sûr, c’est bien en-dessous de l’inflation.
Sacko : Alors que la prime c’est une chose qu’on a toujours touchée. Pendant le Covid, c’était le moment le plus critique : il n’y avait pas de bus, il n’y avait pas d’argent qui rentrait, il n’y avait rien. Mais on a quand même eu notre prime de participation et d’intéressement. Ils viennent et ils disent qu’ils sont en pertes. Ils peuvent nous montrer les chiffres qu’ils veulent : nous, on n’est pas des comptables. On ne peut pas savoir réellement ce qu’ils ont. Keolis, c’est une filiale SNCF quand même ! Ça n’est pas une petite boite !
ML : Ils baratinent…
Sacko : Pour nous c’est ça. Nous, on est prêts à reprendre le boulot dès demain. On perd du salaire et ce qu’on demande, ce n’est presque rien. Financièrement, c’est dur pour tout le monde. Sans solidarité, on est morts. C’est pour ça qu’on a créé une caisse solidaire, pour aider nos collègues qui sont vraiment dans la difficulté. Pour pouvoir les aider à se battre. Pour… des miettes, encore une fois.
ML : Enfin… On vous retire les miettes.
Sacko : C’est ça.
Demba : Si même les miettes on nous les retire, ça ne va plus !
- La dégradation des conditions de travail, autre sujet d’insatisfaction.
ML : Donc parmi les revendications, il y a cette prime de participation et d’intéressement. Mais il y a aussi les conditions de travail. Vous pouvez en dire un peu plus là-dessus ?
Demba : Les conditions de travail se sont dégradées. Déjà, par rapport aux véhicules.
Sacko : Quand ils sont arrivés, ils étaient censés arriver avec de nouveaux véhicules. Alors que non : on est toujours avec les anciens véhicules qui sont dégradés.
Demba : 700 000 km !
Sacko : Depuis l’arrivée de Keolis, zéro véhicule neuf. Alors qu’à l’époque de Transdev, tous les ans, on avait des entrées de véhicules (et des sorties de véhicules). Et là, on en a eu zéro pendant deux ans.
Demba : Conclusion : pendant deux ans, ils ont réduit les temps de parcours. C’est plus de stress.
ML : C’est-à-dire que vous devez faire les mêmes parcours en moins de temps ?
Sacko : C’est ça. Pour satisfaire la clientèle…
ML : Mais alors vous faites comment ?
Sacko : Nous, on ne le fait pas. On roule à 30km/h. Déjà que dans les villes, les limitations de vitesse sont souvent passées de 50 à 30 km/h. On dit aux collègues : levez le pied ! N’allez pas faire des accidents.
Demba : Ensuite ils ont fait une boite externe.
Sacko : Ils ont découpé. Ils font des découpages ! Ils ont enlevé les contrôleurs qu’on avait et ils les ont mis dans une autre société.
ML : C’est des filiales de Keolis ?
Sacko : Oui.
Demba : Ils ont créé des postes, un peu pour nous fliquer.
ML : Des postes, comment ça ?
Demba : Des postes de sécurité, au niveau central. De contrôle. Avec des caméras. Ils surveillent tout ce qu’on fait.
ML : D’accord : quand vous conduisez votre bus, il y a un mouchard ?
Oumi : Ils savent très bien où on est, à quel arrêt…
Sacko : Ils nous envoient des messages…
Oumi : Si on a une seconde d’avance, ils nous harcèlent avec des messages « veuillez réguler ». Mais il faut savoir qu’on a un réseau où on a des arrêts où ne peut pas réguler. Le centre-ville de Montesson, sur Chatou, dans d’autres endroits, on ne peut pas réguler.
ML : C’est quoi, réguler ?
Oumi : Réguler, c’est être à l’arrêt et attendre… On créé des bouchons, on créé des accidents. Donc ils nous mettent la pression, aussi, de ce côté-là.
ML : Pour faire les mêmes parcours en moins de temps ?
Sacko : Oui, et avant il n’y avait pas ça.
Oumi : Et ils nous mettent une pression pas possible ! Sur le temps de parcours, aussi. Ils nous ont gratté des minutes pas possibles… Voilà. Et en sachant qu’on a aussi la pression des clients qui, eux, veulent prendre leur train en temps et en heure. On est pris entre deux feux.
Sacko : Il y a un domaine où Keolis ne vous donnera pas les chiffres. C’est le nombre d’AT qui a augmenté. Les accidents de travail, ça a augmenté énormément.
ML : Quel genre d’accidents ?
Sacko : Le dos.
Oumi : Énormément, le dos.
Sacko : Des agressions.
ML : De la part des passagers ?
Oumi : Oui, des passagers qui ne sont pas contents, qui râlent parce qu’on est en retard…
Sacko : Le stress. Et on a beaucoup d’accidents.
Oumi : Et on a une direction qui ne veut rien savoir, qui ne veut pas se confronter aux problèmes des salariés.
Sacko : Il n’y a pas de dialogue social avec eux.
Oumi : Le seul dialogue qu’on a, le seul moyen de communication avec notre responsable d’exploitation, c’est un minable petit carnet qu’elle a mis à l’exploitation, où on doit écrire ce qui ne va pas. Eux, ils remontent le petit carnet à la responsable, qui, elle, est dans son bureau, tranquillement posée, en train de lire. Mais pour nous recevoir, non ! Son bureau est complètement fermé.
ML : C’est comme ça depuis quand ?
Oumi : Depuis l’arrivée de Keolis. Depuis le 1er janvier 2022. On leur a laissé un mois, on s’est dit : « peut-être », on y croyait encore. Et avec le temps on a bien vu qu’ils nous la faisaient à l’envers.
- Contexte historique de l’entreprise et des relations entre organisations syndicales en son sein :
- Quels sont les rapports entre Keolis et Transdev etc., et entre les dépôts ?
Amine :Depuis deux ans, on a été mixés, mariés avec une entreprise qui appartenait au groupe Transdev. Pour expliquer un peu l’histoire, nous étions Transdev avant d’être Keolis, avant les appels d’offres des Délégations du service public par Ile de France Mobilités. Donc depuis deux ans, on a eu ce mixage, donc on s’appelle désormais DSP33, réseau KABS (Keolis Argenteuil Boucle de Seine). C’est-à-dire deux dépôts : un à Montesson ; un à Argenteuil. Deux dépôts différents qui sont mariés et qui fonctionnent très mal aujourd’hui, à savoir que quand nous étions Transdev, nous étions en urbain, interurbain et tourisme. On avait les trois activités, toujours dans le secteur du transport de voyageurs. Et ça fonctionnait, plus ou moins bien.
Depuis la mise en concurrence des sociétés de transports de la Région parisienne, on a perdu beaucoup de choses. Depuis ce temps-là, on a cheminé à droite, à gauche. Nous avons fait de nouvelles élections syndicales pour représenter notre personnel, qui est aujourd’hui de 400 salarié.es. Et aujourd’hui, on a différentes étiquettes. Pour ne pas les nommer, on en a cinq ou six. Aujourd’hui, chez Sud Solidaires, nous sommes les vrais militants, parce qu’aujourd’hui, nous militons contre des pertes de salaires ; sur des conditions de travail, qui sont mauvaises ; et surtout, les primes, qui ne sont pas versées depuis deux ans. C’est-à-dire les primes de participation et d’intéressement. Ces primes sont une plus-value importante pour tous les salariés, qu’on sait bien en difficultés, par rapport à ce travail qui est précaire.
- Plus de précisions sur les rapports entre Solidaires et les autres syndicats, entre le dépôt de Montesson et celui d’Argenteuil
Amine : On n’est pas suivis par nos collègues d’Argenteuil, par les autres syndicats et organisations syndicales qui ne trouvent pas bon de lutter à nos côtés. Donc aujourd’hui, il y a un dépôt, sur les deux, qui est fermé. Ce dépôt contient 95% des grévistes. Donc depuis plus de six jours, nous sommes en grève sur le dépôt de Montesson. On est laissés pour compte de direction, qui assure le minimum de services scolaires sur l’autre partie, c’est-à-dire Argenteuil.
- En fait, les syndicats autres que Solidaires sont concentrés sur Argenteuil, où il y a un peu plus de 300 salarié.es.
Amine : Ils sont à peu près 300, mais il faut savoir qu’il y a beaucoup d’intérimaires aujourd’hui, entre 60 et 80. Les salariés de là-bas ne sont pas au courant de tout ce qui se passe, parce qu’au plan démocratique, les autres organisations syndicales ne donnent pas les informations et les éléments, à savoir que ce dépôt d’Argenteuil avait une plus grosse prime de participation et d’intéressement que nous, pour une valeur de 2000€ et plus, alors que nous on n’avait que 500€. Et donc, aujourd’hui, les salarié.es m’appellent un peu à droite et à gauche pour savoir ce qui se passe. Ils ont peur de se mettre en mouvement, parce qu’ils ont une pression, autant par la direction que par les organisations syndicales. Voilà où on en est aujourd’hui.
- Quelles sont ces autres organisations syndicales ?
Amine : CGT, FO, UNSA et le syndicat des cadres. Ils disent aux conducteurs que ça ne sert à rien de se mettre en grève, parce que quoi qu’il arrive, la direction ne versera pas ces primes de participation et d’intéressement parce que les chiffres sont mauvais, alors que tout ça est carrément faux. Et nous, aujourd’hui, on demande un geste de l’entreprise. Un geste financier, bien sûr.
ML : Et les autres organisations syndicales, sur Argenteuil, ont perdu leurs primes de plus de 2000€ ?
Amine : Ils avaient une plus grosse prime de participation et d’intéressement qui était de plus de 2000€, et il n’y a aucune revendication des syndicats, et les conducteurs sont pris en otage, parce que, déjà, on ne leur donne pas cette information ; et de deux, parce qu’ils font des réunions en catimini avec la direction. Des réunions qu’on quitte, nous, parce que nous sommes en désaccord avec la direction. Eux restent et ne disent pas ce qu’il faut aux salariés, qui aujourd’hui sont en manque d’information. C’est nous qui leur donnons les informations. Et aujourd’hui, ils sont coincés, parce qu’ils ont voté pour des organisations syndicales qui font le jeu de la direction au prix d’une perte qui est quand même colossale.
ML : Malgré tout, pour avoir discuté avec plusieurs personnes ici, je sens une vraie détermination.
Amine : Oui, parce qu’aujourd’hui on a commencé, et c’est le mépris de la direction et des autres collègues qui nous pousse et qui nous donne de l’espoir. Parce que, comme je disais auparavant, ils nous poussent à l’étouffement. Et au contraire, on est entre nous, peut-être beaucoup et pas beaucoup. Mais on est solidaires, la main dans la main. Et j’espère tenir longtemps. Venez nous aider, ceux qui peuvent nous aider, venez nous soutenir. Venez manger avec nous. On partage le peu qu’on a. Venez, on a besoin de vous aujourd’hui. C’est une alarme, un SOS.
- La direction de l’entreprise face à la grève : comment la combattre
ML : Depuis le début de la grève, la direction rien fait savoir ? Ils sont retranchés là-bas à Argenteuil…
Oumi : Comme vous pouvez le voir par vous-même : tout est fermé.
ML : C’est eux qui ont fermé ?
Sacko : C’est eux.
Oumi : Au dépôt, il y a des vigiles jour et nuit. Le dépôt est complètement vide. Aucune direction, aucun membre de la direction n’est présent actuellement. Donc on est livrés à nous-mêmes.
Demba : Et le dialogue est rompu.
Oumi : Le dialogue est complètement rompu.
Demba : Et le pire, c’est qu’ils montent les collègues les uns contre les autres. Maintenant, les collègues qui sont non-grévistes, on les envoie sur le dépôt d’Argenteuil pour aller faire des transports scolaires.
Oumi : Nous, en tant que conducteurs, on est prêts à reprendre le boulot dès demain. Mais là, on a affaire à…
ML : A quelles conditions, reprendre le boulot ?
Sacko : Nos primes de participation.
Oumi : Des négociations avec la direction. Mais là, vous voyez bien qu’il n’y a personne.
Sacko : Et même la haute direction de Keolis, à part parler à la télé, nous dire qu’on n’aura pas nos primes, qu’ils sont désolés… Il y a une dame, dont j’ignore le nom, qui a dit sur France 3, qu’ils sont désolés, mais qu’il n’y aura pas de prime.
ML : Donc en fait, ils jouent le pourrissement ?
Sacko : C’est ça.
Oumi : Exactement. Ils veulent nous pousser à bout, mais ils ne savent pas que nous, on est déterminés. On est prêts à aller sur un mois de grève, et même, s’il faut, plus. Ça ne nous fait pas peur.
Sacko : Et on a besoin de soutien. Des usagers, des associations… Un peu de tout, quoi. Aujourd’hui, on a besoin de tout le monde, et on se bat juste pour nos droits. Rien de plus.
Oumi : On ne demande rien de plus. Pas une nouvelle prime, pas une augmentation…
ML : Juste qu’ils vous redonnent ce que vous aviez avant ?
Sacko : C’est tout
ML : La stratégie de la direction c’est donc de jouer le pourrissement, de vous laisser isolés ici. Quel(s) appel(s) lancer ? Il y a un besoin de fric, j’imagine. Et qu’est-ce qu’il est possible de faire, par rapport à la direction, en lien avec le mécontentement des usagers, notamment ? Qu’est-ce qu’on peut essayer d’imaginer ?
Amine : Là, ils nous laissent pourrir, comme tu disais. Ça fait un peu plus d’une semaine qu’on est en grève. C’est vrai qu’au niveau des moyens, on n’a pas grand-chose. On a ouvert une caisse Leetchi qui n’est même pas à 300€. On n’a pas beaucoup de soutien, actuellement. On a la presse qui vient, on a les médias. Mais à part ça, on attend plus de soutien de différentes personnes extérieures, d’organisations syndicales, d’avocats, de juristes, n’importe quoi, n’importe qui. A part ça, il faudrait aussi aller sur le site d’Argenteuil pour manifester aussi pour nous. Parce que nous, ici, on ne peut pas quitter les lieux. Parce que si on quitte les lieux, on va montrer notre impuissance et les usagers vont voir que la grève n’a servi à rien et l’étouffement par notre patron se mettra en marche. Parce qu’il nous a bien dit, lors d’une réunion en off, en quelque sorte : « moi, mon but c’est de vous pousser à vous étouffer ». Donc moi, je suis clair et j’essaie de donner le maximum d’infos aux salariés, et aujourd’hui, la direction se base sur Argenteuil et fait venir les salariés non-grévistes de Montesson, et les transfère à Argenteuil pour faire les services scolaires. Parce que, entre parenthèses, ils sont obligés à assurer un minimum de services, dont les services scolaires. On a des collègues non-grévistes, ils sont très peu, au nombre de sept. A savoir que les cadres et les employés de notre entreprise se sont mis avec nous en grève, et nous sommes à un taux de 95% de grévistes. C’est-à-dire que sur l’ensemble de l’entreprise de 400 salariés, on a à peu près 25% de grévistes. Mais sur le dépôt pris séparément, on est environ à 95%. On attend du soutien, tout simplement.
ML : Et vous n’avez pas encore reçu de soutien de salariés d’Argenteuil, indépendamment des organisations syndicales, de messages… Amine : Non, on a des messages des certains conducteurs, qui ont peur, et qui nous soutiennent, pas anonymement, mais qui ne veulent pas que leur nom sorte etc. Par rapport à la caisse Leetchi, on a eu quelques dons de la part des collègues – on va les nommer – notamment de la CGT RATP Malakoff et Nanterre qui nous a aidés. On a eu diverses aides de Sud Solidaires, dont les cheminots Solidaires Paris Nord pour la caisse de soutien. Mais c’est toujours petit, c’est des aides d’une journée. Aujourd’hui, on perd du salaire. Plus d’une semaine par salarié, c’est énorme. Et des salariés en situation très précaires, des familles monoparentales, des femmes seules avec des enfants mineurs, des gars qui vivent carrément en foyers. On est vraiment dans une merde, et les collègues craqueront au bout d’un moment, et c’est ce que veut la direction. Elle tire sur l’ambulance, comme on dit.