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Mélenchon. À Gaza, "ce n’est pas de la légitime défense mais un génocide"

Palestine

Lien publiée le 8 décembre 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Jean-Luc Mélenchon. À Gaza, « ce n’est pas de la légitime défense mais un génocide » - Alain Gresh - Jean Stern (orientxxi.info)

Cible de nombreuses critiques depuis des semaines, l’ancien candidat à la présidence de la République répond aux questions d’Orient XXI. Il explique pourquoi les fractures deviennent béantes entre l’Occident et le reste du monde sur le « deux poids deux mesures » en œuvre dans le soutien à Israël. Jean-Luc Mélenchon dénonce la polémique sur l’un de ses tweets et réfute sa mise en cause pour antisémitisme. Au-delà, il dresse un éloge du non-alignement comme « morale pour l’action politique ».

Orient XXI. — Tenir bon, c’est l’une de vos formules favorites en politique. Comment « tenir bon » pour un Gazaoui aujourd’hui, compte tenu de l’ampleur et de la répétition des destructions, depuis maintenant plusieurs semaines ? Compte tenu aussi de l’abandon des Gazaouis par la communauté internationale depuis des décennies.

Jean-Luc Mélenchon. — Je suis depuis longtemps marqué par le caractère abominable de la situation à Gaza. C’est pour moi un choc moral absolu. Plus de deux millions de personnes ont été enfermées dans une sorte de prison à ciel ouvert. Je ne peux y reconnaître Israël comme organisateur d’une chose pareille, au vu de l’histoire de la persécution des juifs dans le monde et des raisons présentées pour la création de son État. Gaza est aussi un symptôme terrifiant de la nécrose de ce qui est appelé « l’Occident ». L’incapacité à mettre un terme immédiatement à une abomination comme celle-là est un signe de déchéance morale pour tous ceux qui trouvent que c’est normal et laissent faire. Tenir bon, c’est seulement ne jamais oublier notre commune humanité.

LES RANCŒURS ENFOUIES DE LA GUERRE D’ALGÉRIE

O. XXI. – Depuis au moins vingt ans, depuis l’échec des accords d’Oslo, Gaza est aussi le symbole qu’Israël peut poursuivre sa politique sans en payer le prix.

J.-L. M. — En effet. Ce n’est pas nouveau. Dans le monde entier, nous faisons face au « deux poids deux mesures », selon que l’on est aligné sur les États-Unis ou non. On a constaté le refus actif des États-Unis et de leurs alliés à propos de l’invasion injustifiable de l’Ukraine par la Russie. Mais le silence est quasi général à propos des exactions de Nétanyahou. En 2008-2009 c’est l’opération « Plomb durci ». Pour moi, c’est un moment de bascule intellectuelle. Non seulement les Gazaouis étaient dans une prison, mais en outre on les y bombardait pour les punir d’une responsabilité supposée collective. Même les modérés le disent. Le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges, a trouvé une formule le lendemain du 7 octobre : « La violence du Hamas est sans excuse, mais pas sans cause ». Dans cette affaire, l’action de Nétanyahou contre les Gazaouis n’est pas légitime. Ce n’est pas de la légitime défense, mais un génocide. Il y a des manifestations de masse dans beaucoup de pays, y compris aux États-Unis d’Amérique auxquelles participent des segments amples des communautés juives locales. Cette diversité prouve l’inanité de la théorie du « choc des civilisations » construite par Samuel Huntington. Dans aucun pays du monde, sauf peut-être dans une bonne part de la classe médiatique française, ne s’installe un clivage anti-arabe, antimusulman, comme beaucoup l’avaient calculé. La masse des manifestants se réfère à la justice, au droit international, au droit de vivre dans la dignité, à l’universalité des droits humains.

O. XXI. – D’où vient cette spécificité française ? Vous avez évoqué la guerre d’Algérie, c’est encore elle qui structure le clivage en France ?

J.-L. M. —En France, il y a toujours des rancœurs enfouies. La guerre d’Algérie a constitué un fonds d’autant plus pénible à vivre pour les Français que leurs dirigeants avaient renié les valeurs et les principes au nom desquels ils prétendaient agir. Sortant de l’occupation, dès mai 1945, on bombarde Sétif ! Et ensuite il a fallu attendre 1999 pour reconnaître qu’il s’agissait d’une guerre et non d’une opération de police. Qu’avons-nous fait ? Qui l’a fait ? Qu’aurait-on dû faire ? Dans quelles conditions ? Jamais on n’aura pu expurger les atrocités commises aussi bien en Algérie que dans l’Hexagone. Le Maghreb et l’Algérie n’ont jamais cessé d’être une rancœur française enfouie. Pourtant aujourd’hui 35 % de la jeunesse de notre pays reste affectivement liée à l’Algérie par ses parents, ses grands-parents, son présent, sa binationalité ou son couple. Mais combien d’anciens ont encore du mal à cicatriser… !

O. XXI. – Vous et une bonne partie de la communauté internationale parlez de crimes de guerre aux yeux du droit international à propos de l’actuelle offensive israélienne à Gaza…

J.-L. M. — Cela n’a pas été sans mal !

« PAS D’AUTRE REPÈRE QUE LE DROIT INTERNATIONAL »

O. XXI. – Certes, et c’est considéré comme une avancée pour les Palestiniens. Mais il y a eu avant ce qui s’est passé le 7 octobre, les 1 200 Israéliens tués par les commandos du Hamas. Pour vous, c’est aussi un crime de guerre ?

J.-L. M. — La Cour pénale internationale (CPI) doit se saisir de tous les faits ! J’ai appelé dès le 7 octobre au cessez-le-feu. J’ai pris position pour que tous les crimes de guerre soient jugés. Au-delà de mon opinion personnelle et de l’usage qui peut en être fait, l’essentiel est la nature des évènements et la manière dont nous pouvons mener un combat politique sur des bases concrètes et reconnues. À la fin de l’opération Plomb durci, un rapport de l’ONU a imputé des crimes de guerre aux deux parties prenantes du combat. Il ne s’est strictement rien passé. Pourtant, dans un monde ordonné et stable, le droit ne peut être une simple superstructure accessoire. Nous n’avons pas d’autre repère dans le monde que le droit international, incarné par les Nations unies, quand bien même l’un et l’autre sont perfectibles. Sinon quoi ? La loi du plus fort ? L’inaction après Plomb durci se paie à cette heure.

Le sens du conflit en cours va changer le cours du siècle. Il faut être à la hauteur des événements. La gauche d’avant a été mise en déroute pendant les dix ou quinze ans après la chute de l’URSS. Une des conséquences imprévues a été l’ampleur de la vague réactionnaire. Elle a emporté à peu près tout le monde ! Enfin il y a eu la formation d’un front de résistance remportant des victoires aux Amériques, non seulement contre l’impérialisme étatsunien, mais aussi et surtout contre le régime économique néolibéral. Mais rien ailleurs, ou presque ! Comme nous continuons le combat pour un nouvel ordre du monde, pour un autre type de société, nous devons trouver des points d’appui stables. Dans le rapport de force actuel, c’est le droit international. Sans l’ONU, quelles que soient ses limites, que serait la perspective pour la planète ? Le but n’est pas d’instaurer un monde « multipolaire ». Car c’est la guerre assurée. Nous avons besoin d’un monde « ordonné » autour du droit comme référence commune. Il y a urgence : 75 % des nations ont un différend frontalier ! Et 28 % d’entre eux sont des conflits armés. La situation entre la Palestine et Israël est un conflit colonial, un conflit de territoire et de frontières, et non un conflit religieux. Du 7 octobre à aujourd’hui, c’est une seule séquence. Dans les deux cas, ce que l’on voit nous choque. Mais refuser de s’aligner sur une des parties au conflit ne signifie pas pour autant être neutre ou équidistant. Nous ne partageons pas le « soutien inconditionnel à Israël » exprimé par la présidente de l’Assemblée nationale Madame Yaël Braun-Pivet au gouvernement de Monsieur Nétanyahou. Au nom de la représentation nationale ? Personne ne l’avait mandatée, contrairement à ses allégations !

O. XXI. – Pas en votre nom, le soutien inconditionnel à Israël qu’elle a exprimé sur place ?

J.-L. M. — Elle a prononcé la formule devant l’Assemblée et elle a été applaudie. Mais pas par nous. Nous ne sommes pas d’accord d’une manière générale pour le « soutien inconditionnel » à qui que soit. Je n’ai jamais dit que je soutenais « inconditionnellement » les pays avec lesquels pourtant je sympathise, comme la Colombie et son président Gustavo Petro. Le « soutien inconditionnel à Israël » ne peut avoir d’autres significations que de soutenir inconditionnellement la politique de Monsieur Nétanyahou. Nous sommes en désaccord absolu avec la composition de son gouvernement, avec les principes politiques qu’il défend, avec sa politique de colonisation. Il ne peut pas être question de donner le sentiment d’y participer si peu que ce soit. Cette position est considérée par un certain nombre de gens fanatisés comme de l’antisémitisme. Ils manient le terme sans discernement ni retenue, comme un rayon chargé de paralyser ceux qui pensent autrement qu’eux. C’est grotesque ! Désormais cette infamie est lancée à tous ceux qui ne soutiennent pas au millimètre la ligne de Benyamin Nétanyahou. Y compris Dominique de Villepin, y compris le président Emmanuel Macron. Tout écart est immédiatement englouti sous l’injure. L’insupportable est le débat que cet écart interdit et le fanatisme qu’il cultive.

CAMPER, UN MOT ANTISÉMITE ?

O. XXI. – Dans ce climat que vous décrivez, est-ce que vous n’avez pas eu tort d’employer le mot « campe » à propos du voyage de Madame Yaël Braun-Pivet en Israël ?

J.-L. M. — Vous avez un autre mot à me suggérer ?

O. XXI. – Oui… s’installe, fonce, court, accourt, se précipite…

J.-L. M. — Je voulais souligner ma protestation contre le caractère militaire de sa démarche. Dans ma génération, le « campisme » était un concept courant qui avait le sens d’un alignement sans faille à un des deux blocs, celui de l’Est ou celui de l’Ouest. Mais promis : je vous consulterai la prochaine fois. Que le mot camp pouvait être un vocable antisémite ne m’a pas effleuré une seconde ! Alors ? Comment les accords de « Camp David » peuvent-ils utiliser un mot antisémite, vu qu’ils ont été signés par le premier ministre d’Israël aux côtés de Monsieur Arafat ? Il s’agit d’un abus absolu. Madame Braun-Pivet s’était rendue en Israël déguisée en militaire, accompagnée de Meyer Habib et d’Éric Ciotti déguisés de même : treillis et gilet pare-balles. Donc il y avait bien la volonté de donner une image de participation militaire. Pas en notre nom quand nous militons pour le cessez-le-feu immédiat ! Pourquoi faut-il que ce soit nous qui soyons mis en demeure de nous justifier, et non ces usurpateurs d’une représentation forcée ?

La veille avait eu lieu en France une manifestation à la fois dense, immense et symboliquement forte, compte tenu de l’état d’esprit, des réactions face aux images de Gaza. Beaucoup craignaient des débordements ou des excès de langage, toujours imprévisibles dans une manifestation. Rien de tout cela ne s’est produit. La solidarité, la retenue, la dignité se sont exprimées et ont ridiculisé l’attitude belliqueuse adoptée par la présidente de l’Assemblée nationale et ses comparses.

Alors, il a bien fallu inventer une polémique le lendemain pour faire oublier un tel soutien minorisé à Monsieur Nétanyahou. C’est une lourde dégénérescence du débat public quand il suffit à Madame Braun-Pivet de dire que « camper » est un mot antisémite pour qu’aussitôt on en fasse un sujet dominant l’actualité. Mais n’offense pas qui veut. Cela participe d’une guerre idéologique en France, dont le but est de faire taire les opposants.

O. XXI. – Une partie de la communauté juive se sent abandonnée par la gauche qui lui semble en retrait sur l’antisémitisme. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

J.-L. M. — Elle a tort. Nous sommes et serons toujours les premiers à lutter sans faiblesse contre l’extension du racisme parce qu’il mine nécessairement l’unité populaire. Historiquement, la communauté juive avait fait le choix juste et judicieux de la gauche. Parce que c’est la gauche révolutionnaire de Robespierre qui a donné la citoyenneté aux juifs de l’Ancien Régime. Nombre de nos plus glorieux dirigeants sont issus de cette communauté. J’encourage tout le monde à revenir à cette fraternité de combat. Mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel. L’unité d’action implique la communauté d’objectif. Et le respect mutuel des parties prenantes. Mais pour la première fois, des représentants officiels de la communauté ou réputés tels nous ont pris à partie lors d’une commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Jamais on n’avait violé de cette façon l’unanimité nationale dans ce type de cérémonie. Qui a protesté dans la communauté ? Et quand notre groupe parlementaire a été brutalisé puis expulsé de la marche Mireille Knoll par la Ligue de défense juive (LDJ), le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a refusé de nous protéger tout en assumant la protection de Madame Le Pen. La communauté juive que j’ai connue, avec qui j’ai milité lorsque j’étais élu de Massy, vivait dans le débat et assumait ses divergences. Il y avait les « cultuels » et les « culturels ». La gauche c’était les « culturels »… Je me sens abandonné par ceux que j’ai défendus toute ma vie. Jamais nous n’avons manqué à notre devoir. Ni aux principes qui le fondent. Donc ils valent pour tous les racisés.

O. XXI. – À propos de la LDJ, il est exact qu’une bonne partie de la communauté juive s’est radicalisée autour du soutien à Israël, et du coup s’est peut-être sentie loin de la communauté nationale. Et puis dans toute l’Europe, il y a une extrême droite parfois au pouvoir et souvent à ses portes qui est en première ligne de la défense d’Israël, et souvent en première ligne sur l’islamophobie.

J.-L. M. — En quoi l’affection pour Israël devrait-elle éloigner de la communauté nationale ? Pourquoi confondre droit à exister pour Israël et soutien inconditionnel à tous ses gouvernements ? On peut réfléchir autrement. Je suis partisan de la solution à deux États, c’est la position de l’ONU. Ouvert à d’autres idées s’ils en proposent ensemble sur place. Aujourd’hui, ce que je dénonce c’est une politique gouvernementale et les conséquences de cette politique. Je comprends que l’on se sente maltraité si on se fait insulter et menacer. Je suis aussi dans cette situation. Il ne faut pas accepter d’entrer dans les références voulues par certains. En particulier tous ceux qui verraient d’un bon œil qu’au motif de leur religion, les populations de confession juive s’en aillent toutes en Israël. Je ne suis pas d’accord avec cette idée-là. L’Ancien Régime français a expulsé onze fois les juifs, notamment « Saint Louis » dont l’énorme statue trône dans l’hémicycle du Sénat. La gauche au contraire a rendu possible l’unité du peuple français grâce à la laïcité.

Maintenant, oui, l’extrême droite dans tous les pays d’Europe s’approche du pouvoir. La pente est prise. Et tous les pays d’Europe la dévaleront, comme en Italie. Madame Meloni sert d’exemple à beaucoup de monde. Alors est-ce le moment pour la communauté de s’inventer des ennemis avec nous ? Face à l’extrême droitisation de la droite et du centre, l’alternative c’est la gauche radicale. Car l’extrême droite de Philippe Pétain et de Charles Maurras est « génétiquement » antisémite. Il est absolument sidérant de voir qu’en France, la condamnation à l’indignité nationale à laquelle était vouée l’extrême droite depuis la Libération a été levée. Le 12 novembre 2023, certains ont trouvé normal d’aller manifester avec des partis dont l’origine est l’antisémitisme, tandis que nous y avons été copieusement insultés ainsi que les musulmans de ce pays.

Il faut bien comprendre qui nous sommes. Notre préoccupation n’est pas contemplative, esthétique ou métaphysique. Notre principe est celui de l’unité populaire pour accomplir la révolution citoyenne. Pour que cette unité populaire puisse se constituer, il faut absolument empêcher le poison du racisme d’entrer dans le peuple. Tous les racismes, le racisme antijuif, le racisme anti-arabe, antimusulman, tous. Nous devons absolument les évacuer et le faire comprendre à la masse des nôtres pour qu’elle se méfie et détecte le poison à temps. Car le racisme est une opération idéologique pour nous diviser.

Personne n’a porté plainte contre moi pour antisémitisme, pourtant c’est un délit en France. C’est donc que nos accusateurs n’y croient pas eux-mêmes. De fait, où trouveraient-ils de quoi étayer leur propos ? Alors face aux racismes, face à l’extrême droite, le peuple doit tenir bon. Et nous aussi, même les jours où la violence et l’injustice nous meurtrissent.

O. XXI. – L’injonction du mot « terrorisme » est devenue une arme politique sans que personne ne le définisse. Le Hamas, c’est une organisation que se sont donnée les Palestiniens. Dire que c’est une organisation terroriste signifie qu’on ne peut pas discuter avec eux. Est-ce que le Hamas est une organisation de résistance ?

J.-L. M. — Je le redis, il y a bien sûr des actes terroristes, des actes dont le but est de semer la terreur, la sidération pour séparer à jamais des protagonistes. Ces actes terroristes sont punis comme crimes de guerre ou comme crimes contre l’humanité. Ils peuvent être jugés par la CPI. La caractérisation « organisation terroriste », c’est autre chose. C’est le résultat d’un rapport de force. Le Sinn Feinn était par exemple considéré comme une organisation terroriste. Il gouverne aujourd’hui l’Irlande, il est majoritaire au nord comme au sud. Va-t-on dire qu’il s’agit de deux pays terroristes ? Tout cela n’a pas de sens. Qu’on en discute, je l’admets parfaitement. C’est utile. Mais ce n’est pas notre priorité dans l’épreuve de la guerre réelle à Gaza. Notre priorité, c’est le droit. Si nous menons une bataille contre le terrorisme, alors nous sortons du cadre du droit. Car la thèse de la guerre au « terrorisme » produit un clivage nullement secondaire. C’est un clivage idéologique en vue d’un alignement politique. Au bout de cette voie, il y a le centre de torture de Guantanamo, les bombes au phosphore à Gaza et ainsi de suite. Le droit n’existe plus. Tous les moyens sont légitimes dans « la lutte du bien contre le mal ». Tous ceux qui s’opposent aux États-Unis d’Amérique sont considérés comme terroristes. C’est la doctrine propagée par Samuel Huntington. Il s’agit de substituer au droit international, par nécessité universaliste, une vision ethnocentrée. Le passage de l’un à l’autre n’est pas neutre. Le mot « terrorisme » ne nous place pas dans une simple bataille de choix de mot, il nous installe dans une bataille politique. Il faut l’assumer.

DES SANCTIONS ÉCONOMIQUES SONT POSSIBLES

O. XXI. – À un moment, la France avait classé comme terroriste l’aile militaire, mais pas l’aile politique du Hamas. Et au Liban, c’est difficile d’agir si on ne discute pas avec le Hezbollah.

J.-L. M. — Regardez la puissance dislocatrice de ces concepts. Parce que si vous êtes d’accord avec ce concept à un endroit, il va falloir l’être à un autre. Va-t-on être aussi d’accord pour une intervention armée au Liban ? Évidemment le jeu de mes adversaires est de faire dire que nous sommes favorables au terrorisme. Nous sommes plongés dans une ambiance suffocante, où l’on finit même par craindre de parler. Ce n’est pas mon cas. Je n’ai pas peur, j’ai dénoncé la situation dès l’opération Plomb durci, et depuis cela me vaut des inimitiés coriaces, mais ne me fera pas changer d’avis. Il n’y a pas de compromis à propos d’un massacre comme celui qui est en cours à Gaza. Il faut défendre un ordre mondial non aligné.

O. XXI. – La solution à deux États est-elle encore possible, ou peut-on imaginer autre chose ?

J.-L. M. — Pour l’instant, je m’en tiens aux décisions des Nations unies. C’est un point d’appui très fort. Les Nations unies ont dit qu’il fallait deux États. Si ceux qui discutent des frontières des deux États aboutissent à proposer un seul État plurinational, ou une autre solution viable mutuellement acceptée, alors nous serions également d’accord si c’est pour la paix juste.

O. XXI. – Est-ce qu’un geste serait pour la France la reconnaissance de l’État de Palestine, qui a été votée par l’Assemblée nationale sous la présidence de François Hollande ?

J.-L. M. — Il faudrait le faire dans des conditions utiles. Dans l’immédiat l’urgence est de sanctionner le gouvernement Nétanyahou. Israël est un partenaire privilégié de l’Union européenne (UE). Des sanctions économiques sont possibles et nous en sommes partisans. Si c’était le cas, le rapport de forces serait immédiatement modifié, compte tenu de l’implication de l’économie israélienne dans l’économie européenne. L’aveu du deux poids deux mesures signe l’alignement aveuglé de l’UE sur Nétanyahou. Car si vous êtes aligné, vous êtes obligé de tout cautionner, et quelquefois courir devant. Comme l’a fait par exemple Monsieur Macron lorsqu’il a proposé une « coalition internationale contre le Hamas du type de celle contre Daech ». Cela voudrait-il dire que la France doit s’impliquer dans le génocide en cours à Gaza ? Monsieur Macron a mis 35 jours pour demander un cessez-le-feu. Ce sont 35 jours de bombardements, une bombe toutes les 30 secondes, 60 % des bâtiments détruits, plus de 15 000 morts, davantage en un mois et demi qu’en quatre ans du siège de Sarajevo. Nous sommes les contemporains d’un carnage. De nombreux hauts représentants d’agences de l’ONU ont averti du risque de génocide. Gaza, c’est le Guernica du XXIe siècle. Maintenant, compte tenu du mode d’organisation de l’être humain dans des structures urbaines immenses, donc incontrôlables, les occupations de territoires conduisent les agresseurs à la déportation des populations. Ce résultat est obtenu par des massacres de masse et des déplacements forcés. Cela fait maintenant partie des stratégies ordinaires de la guerre.

O. XXI. – Dans la foulée d’ONG palestiniennes puis israéliennes, deux grandes organisations spécialisées sur les droits humains, Human Right Watch et Amnesty International utilisent avec des nuances le terme « apartheid » pour qualifier les discriminations dont sont victimes les Palestiniens. Pourtant l’usage de ce mot divise la gauche. Il est rejeté par le Parti socialiste (PS), et au Parti communiste (PCF) comme chez les écologistes il n’y a pas unanimité sur son usage et son champ d’application. Comment expliquez-vous ces résistances à ce propos ?

J.-L. M. — Nous sommes tous engagés par notre programme et je ne crois pas que nous ayons délibéré de cette question-là. Le tempérament global venant des dirigeants et animateurs de notre mouvement est qu’il s’agit d’une politique d’apartheid. Il y a une définition de ce qu’est l’apartheid, et il a déjà été condamné dans le passé. L’apartheid décrit une situation. Il implique évidemment un jugement moral totalement négatif. Mais ceux qui veulent se débarrasser du jugement moral n’ont qu’à nous débarrasser de la pratique qui le provoque. Oui je pense qu’il y a une volonté de « développement séparé discriminant », doublée de brutalités, d’expropriations, de violences de toutes sortes et d’une pratique coloniale. Ce sont des faits avérés, y compris par une partie de la population israélienne qui s’y oppose et manifeste, avec un courage incroyable. C’est la raison pour laquelle je persiste dans mon adhésion à l’idée d’une humanité universelle capable de constituer un peuple humain sur des principes qui la rassemble. Il faut faire le pari de l’optimisme dans l’histoire, et toujours s’appuyer sur l’exigence la plus juste. Le mot juste n’est pas le mot le plus fou, mais il nous ramène à la notion de droit. Je suis optimiste, car moralement nous avons gagné la partie dans les consciences populaires. Nous restons le camp de la paix.