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Les péripéties du remaniement gouvernemental et leur signification
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’exécutif macronien vient de passer une semaine calamiteuse dont il est important de mesurer l’ampleur et de tirer les leçons.
Notons d’abord qu’à la date du 1° février dernier, il semblait pourtant tiré d’affaire envers le risque d’une montée paysanne massive sur Paris, les gros capitalistes dirigeant la FNSEA et la Coordination rurale s’étant dépensés tant et plus avec leurs gros engins pour que la vague n’aille pas plus loin que Rungis et n’obtienne rien d’autre que la liquidation du peu de mesures de protection des eaux et des sols contre la pollution massive de l’agro-industrie, qui détruit les espèces et empoisonne celles et ceux qui travaillent réellement la terre, et bien d’autres encore.
Il nous faudra revenir sur le pathétique, mais aussi sur le potentiel, de cette vague de révoltes impuissantes mais violentes des derniers secteurs de petit producteurs faussement « indépendants », balayant toute l’Europe en poussant un cri de désespoir et un appel à la survie et en ne servant à rien d’autre dans l’immédiat, que d’alibi de la pollution décomplexée et subventionnée matinée d’une pincée de chauvinisme anti-ukrainien.
Ce n’est, en tout cas, force est de le constater, pas cela qui présentait un facteur de déstabilisation pour tout l’exécutif macronien. Le 1° février, sans être une déferlante, la grève unitaire dans l’enseignement public était un puissant coup de boutoir exprimant la mise en marche d’une force profonde, celle du monde enseignant, et, derrière elle, la possibilité d’un ébranlement de la jeunesse, première victime de la destruction de l’enseignement professionnel public, du « choc des savoirs » avec ses groupes de niveaux en collège, des uniformes, du « Service national universel » d’abrutissement assermenté.
Selon le Canard Enchaîné du mercredi 7 février, Macron a reconnu qu’Oudéa-Castéra devait être exfiltrée de l’Éducation nationale le vendredi 2, lorsque le recteur de Paris, M. Kerrero, a annoncé sa démission (qu’il n’avait pas voulu annoncer la veille en même temps que la grève), ayant été désavoué par sa ministre à propos des sections de classes prépas qu’il voulait fermer sur Paris. Cet ancien directeur de cabinet de Blanquer a été présenté dans les médias comme un chevalier de la « mixité sociale », ce qui relève de la bouffonnerie. Il n’est le chevalier de rien d’autre que de l’enseignement privé et des fermetures de sections publiques, comme Mme Oudéa-Castéra. C’est bien le fait que celle-ci ait dû céder sur les revendications des personnels qui semble, en fait, avoir décidé Macron. Elle n’était pourtant pas une erreur de casting.
Donc, la seconde vague de nominations gouvernementales a bien dû démarrer alors que le mouvement d’ensemble des personnels de l’enseignement public et avec eux, derrière eux, de la population travailleuse (les « parents d’élèves »), et de la jeunesse, est en train de se chercher, imposant pour l’heure l’unité de toutes les organisations de ce secteur dans l’opposition au prétendu « choc des savoirs ». Il fallait sacrifier Mme Oudéa-Castéra sur l’autel du « choc des savoirs » que Macron et Attal veulent imposer contre l’école publique et contre la jeunesse. Mais devoir la sacrifier, c’est déjà une défaite directe et personnelle du chef de l’État, pilier de la V° République, Macron !
Là-dessus, arrive le joker, présenté et imaginé par les médias comme l’atout surprise de Macron : Bayrou ! Bayrou allait en effet être « innocenté » lundi, « relaxé au bénéfice du doute » puisqu’il ne serait, paraît-il, pas possible de prouver qu’il était au courant du fait que toute l’équipe qu’il dirigeait détournait allègrement des fonds publics. Il n’était donc au courant de rien, ce qui n’est pas grave aux yeux des juges dans notre système social. Moyennant quoi il pouvait revenir : au ministère de l’Éducation nationale, annonçait la rumeur des commentateurs avisés !
François Bayrou passe pour avoir été le seul ministre de l’Éducation nationale qui comprenait quelque chose au métier de prof, car dans la V° République jamais un prof (un vrai) ne peut être ministre de l’école, pas plus qu’un paysan (un vrai) ne peut être ministre de l’agriculture, ou qu’un ouvrier ne peut être ministre de l’industrie. Les avisés commentateurs oubliaient tout de même de se rappeler qu’en voulant lever les derniers obstacles légaux au financement public de l’enseignement privé, F. Bayrou avait en son temps produit la dernière très grande manifestation laïque de l’histoire de ce pays …
Toujours est-il qu’il devait être l’atout maître, la carte rebattant le jeu. Il rencontrait Macron dès lundi et Attal mardi. On pouvait se douter qu’il serait difficile à Macron d’introniser dans son gouvernement un vieux singe « présidentiable », avouant ainsi sa propre faiblesse de petit Bonaparte assis sur un siège éjectable, mais toujours au pouvoir. On pouvait donc se douter que ça ne prendrait pas. Cependant, ce qui a apporté tout son piment à l’épisode, ce sont les déclarations de F. Bayrou commentant goulûment ses aventures.
Il fit donc savoir qu’il avait refusé (c’est sa version, d’ailleurs non confirmée à l’Élysée ou à Matignon, mais non démentie) l’Éducation nationale en raison d’un « désaccord de fond » sur la « méthode » : « je partage vos objectifs mais vous vous y prenez comme des manches ». Ce qui est, disons-le, injuste. Si, si ! Car la politique de Macron-Attal-Bayrou ne requiert qu’une seule méthode, celle de Macron-Attal, et aussi de Darmanin, et aussi d’Oudéa-Castéra !
Poursuivant sans qu’on ne lui ait rien demandé, Bayrou ajoutait qu’il aurait voulu une espèce de grand ministère des territoires et de la décentralisation, mais que Macron ne sait pas faire, et, coup de pied de l’âne final, que ces abrutis de parisiens du gouvernement lui avaient proposé le ministère des Armées, qui serait, paraît-il, la seule institution qui tient à peu près la route dans ce pays !
Outre que Bayrou semble se faire des illusions sur l’armée, il faisait ainsi savoir sans en avoir l’air que Macron et Attal avaient aussi pensé se séparer de Sébastien Lecornu à peine nommé, affaiblissant également celui-ci et tout l’exécutif avec lui !
Pendant environ 24 heures, Bayrou a répondu à tous les micros tendus, avec un air goulu de faux innocent en goguette. Là-dessus, le parquet a fait appel de sa relaxe. Étonnant, non ?
Ainsi donc, celui qui devait être l’atout maître de Macron, un vieux politicien n’ayant plus très grande importance en soi, devenait par la magie de la crise politique une sorte de séraphin comique soufflant à s’exploser les bronches dans la trompette du jugement dernier pour Macron !
Même avec Mme Belloubet appelée en catastrophe à l’Éducation nationale, ce gouvernement « complété », qui est en fait déjà un gouvernement Macron/Attal II, est très affaibli. Pis : il constitue par son existence même et les modalités de son long et pénible accouchement, un signe et un facteur d’affaiblissement de la présidence, et du régime.
La voilà, la leçon clef de cette « séquence ». Elle doit être expliquée, pour qu’elle sonne aux oreilles des exploités, des opprimés, des défenseurs de l’école publique, de la jeunesse, comme le signe qu’il est possible, qu’il est nécessaire, d’affronter ce président, cet exécutif, ce régime, maintenant, que là serait la voie du salut par rapport à « 2027 ». Un affrontement social plusieurs fois amorcé, à chaque fois débranché, mais qui revient toujours tant il est nécessaire, comme moyen de mettre fin à ce régime, d’imposer une véritable assemblée constituante : ce n’est pas là un thème pour dimanche et jours de fêtes, c’est la question qui est derrière toutes les poussées sociales contre Macron.
09-02-2024.