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Le NPA-B, la guerre et l’adhésion de l’Ukraine à l’UE

Lien publiée le 16 mars 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Le NPA-B, la guerre et l'adhésion de l'Ukraine à l'UE (revolutionpermanente.fr)

L’échec de l’accord pour les élections européennes entre LFI et le NPA a ouvert un débat autour de leurs divergences sur une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE. Une discussion qui témoigne d’un saut dans l’adaptation du NPA-B à la pression guerrière et impérialiste.

Le NPA-B, la guerre et l'adhésion de l'Ukraine à l'UE

En réalité, il n’y a pas eu de vrai débat entre le NPA-B et LFI [1]. Seulement un échange de communiqués exprimant les frustrations et les raisons d’un mariage électoral qui n’aura pas lieu, du moins pour les prochaines élections européennes. Mais celui-ci a ouvert une importante discussion sur la question de la guerre en Ukraine et la perspective de l’adhésion de ce pays à l’Union Européenne (UE). Loin de constituer de simples divergences tactiques, ce débat exprime des différences importantes qui permettent d’éclairer les positionnements des deux organisations sur la guerre en Ukraine et l’Union Européenne.

Dans un communiqué qui annonce l’échec des négociations en vue de la conformation d’une liste commune pour les élections européennes de juin prochain, le parti d’Olivier Besancenot et de Philippe Poutou explique que l’une des raisons de ce revers se trouve dans les positions divergentes de la France Insoumise (LFI) et du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) sur une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE. Alors que LFI se déclare totalement contre cette perspective, le NPA se dit au contraire favorable à l’entrée du pays au sein du bloc continental. Le NPA explique ainsi : « Nous pensons qu’une telle position de refus pourrait renforcer les courants les plus réactionnaires et leurs politiques qui visent à transformer l’Europe en forteresse assiégée. De plus, ce refus [quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE] ne répond pas à la demande des courants progressistes ukrainiens qui cherchent des points d’appuis dans la guerre contre Poutine ».

LFI n’a pas tardé à rétorquer : « le NPA nous a indiqué se prononcer en faveur de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. C’est une position contraire à nos engagements et à nos programmes jusqu’au programme de la NUPES qui posait comme objectif l’harmonisation sociale et fiscale au sein de l’Union européenne afin de tirer les droits vers le haut. Or, ces politiques ne sont pas aujourd’hui à l’ordre du jour et un tel élargissement menacerait nos droits sociaux, notre industrie et notre agriculture ».

Bien que ces deux positions semblent à première vue antagoniques, elles représentent deux voies qui n’ont rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière, en France comme en Ukraine, et avec la tradition internationaliste et anti-impérialiste défendue par les courants marxistes révolutionnaires. D’une part, le NPA s’inscrit une nouvelle fois dans une politique de « moindre mal », un possibilisme, menant droit à la capitulation face aux courants libéraux impérialistes qui prônent l’intégration de l’Ukraine dans l’UE comme un « progrès » démocratique, voire « civilisationnel ». D’autre part, LFI tord le bâton de l’autre côté et, enrobant son discours d’une pseudo défense des droits sociaux des travailleurs, glisse vers le protectionnisme des secteurs capitalistes industriels et agricoles qui seraient affectés, ou moins favorisés, par cette adhésion. Plus dangereux encore, les discours de LFI pour justifier sa position flirtent parfois avec ceux des courants d’extrême-droite nationalistes et xénophobes.

Pour des soucis de clarté, nous n’aborderons pas ci-dessous les fortes divergences que nous avons sur la question avec LFI tant aux plans stratégiques que programmatiques, mais nous nous centrerons sur plusieurs points de la prise de position du NPA-B, notamment concernant l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE et la guerre en Ukraine.

Des capitulations déguisées en « internationalisme »

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le NPA a adopté une position unilatérale de soutien au camp ukrainien, allant jusqu’à prôner ouvertement la livraison d’armes « défensives » comme offensives de la part des puissances impérialistes occidentales et le soutien « critique » à certaines sanctions contre la Russie.

Le NPA caractérise la guerre en Ukraine comme une classique guerre de « libération nationale » dans laquelle deux acteurs s’affronteraient, avec d’un côté, l’agresseur russe qui aurait des velléités impérialistes, de l’autre l’Ukraine qui défendrait son droit à l’auto-détermination. L’aide militaire active de l’OTAN à travers la livraison d’armes, de fonds et de logistique semble être un « détail » totalement sous-estimé. Or, cette vision traduit une analyse unilatérale qui occulte ce facteur central de la guerre. En effet, l’implication des principales puissances impérialistes occidentales regroupées dans l’OTAN du côté ukrainien constitue un élément qui confère un caractère particulier à cette guerre la différenciant d’autres guerres de libération nationale, même si (pour le moment ?) les puissances impérialistes n’envoient pas de troupes au sol se battre.

Les puissances impérialistes dans leur ensemble ont pris parti pour la nation opprimée, pas au nom de principes de liberté et d’émancipation, mais pour mieux servir leurs propres intérêts collectifs : affaiblir et épuiser la Russie. Celle-ci, aux côtés de la Chine et d’autres puissances mineures, conteste (partiellement) l’ordre mondial dominé par les Etats-Unis dont bénéficient toutes les puissances « occidentales » (ici on inclut également le Japon même si celui-ci n’est pas une puissance occidentale). Dans ce cadre, une victoire de la Russie signifierait la soumission de l’Ukraine aux intérêts des capitalistes russes, mais une victoire de ce camp ukrainien, rendu totalement dépendant politiquement, économiquement et militairement de l’OTAN par les politiques de Zelensky et ses alliés/maîtres internationaux, n’aboutirait pas à la naissance d’une « Ukraine indépendante » mais plutôt à la constitution d’un Etat vassal, une sorte de protectorat militaire à la merci des puissances impérialistes.

Autrement dit, il est faux de dire que la guerre en Ukraine comporte surtout un caractère de libération nationale. Cet argument est d’ailleurs mis en avant par les pires puissances impérialistes qui oppriment des millions de personnes à travers le monde pour légitimer leur politique et pour occulter le vrai sens qu’ils donnent à cette guerre : utiliser la guerre en Ukraine au service de leurs propres intérêts. Cet élément relègue la question de l’auto-détermination ukrainienne au second plan. Les puissances impérialistes occidentales ont ainsi en quelque sorte pris en otage la résistance ukrainienne, la vidant de son sens lui donnant une signification utile à leurs intérêts et ambitions géopolitiques. Les déclarations guerrières de divers dirigeants européens ces dernières semaines le démontrent largement. La guerre en Ukraine dépasse donc les limites d’un conflit russo-ukrainien et comporte des enjeux bien plus larges sur le rapport de forces et la compétition entre puissances.

Tous ces éléments sont négligés et sous-estimés, voire directement occultés, par le NPA. Dans un article publié quelques jours seulement avant de rendre public l’échec des négociations avec LFI, Catherine Samary, dirigeante historique du courant LCR-NPA, affirme : « Nous critiquions les postures ignorant la dimension essentielle de lutte de libération nationale de l’Ukraine contre l’occupation russe » (souligné par nous). Cette analyse nous semble une simplification unilatérale de la guerre en Ukraine et permet au NPA de faire passer sa capitulation face à la politique de l’OTAN et des gouvernements des principales puissances impérialistes, dont la France, comme de la « solidarité internationaliste ».

Qu’il y ait une dimension d’oppression nationale dans la relation générale et dans l’agression russe contre l’Ukraine en particulier est indéniable. Cependant, les révolutionnaires doivent prendre en compte tous les éléments de la guerre pour ne pas se trouver à la traîne d’un camp bourgeois ou d’un autre. En suivant une analyse unilatérale et au nom d’un pseudo-internationalisme, le NPA incarne dans les faits l’aile « critique » du camp Zelensky-OTAN. Pour nous il s’agit d’une énorme faute car le devoir des révolutionnaires dans les États impérialistes est avant tout de s’opposer à leur propre impérialisme.

Campismes

Pour justifier sa prise de position, le NPA n’hésite pas à mobiliser des arguments très proches de la propagande atlantiste antirusse. Dans l’article de Samary, qui semble être destiné à répondre à LFI, on tente de mettre en garde contre les « campismes », s’adressant notamment à ceux qui seraient tentés de soutenir, même de façon critique, la Russie face aux puissances de l’OTAN. Ainsi, Samary affirme qu’il faudrait « surmonter divers « campismes » ou choix d’un « ennemi principal » conduisant à soutenir l’« ennemi de mon ennemi » en taisant ses propres politiques réactionnaires ». Mais tout de suite après, l’autrice explique avec des arguments qui ressemblent à de la propagande pro-OTAN que « nous ne sommes pas confrontéEs seulement à un impérialisme occidental, historique, notamment incarné par les États-Unis et l’OTAN. En Europe de l’Est, l’agresseur ou la menace directe est l’impérialisme russe de Poutine soutenu par toutes les extrêmes droites mondiales » (souligné par nous).

Cette affirmation est un cadeau pour les propagandistes pro-impérialistes. Il s’agit d’une autre simplification et analyse unilatérale qui ne tient pas compte de l’histoire récente de la région ni de plusieurs éléments qui appelleraient à relativiser ou à équilibrer cette vision. La Russie mène clairement une politique d’oppression vis-à-vis des États voisins issus de l’Union Soviétique et de l’ancien bloc socialiste. L’Etat russe opprime également les populations non-russes à l’intérieur du pays. La politique de la nouvelle classe capitaliste russe, qui a pris le contrôle du pays après la dissolution de l’URSS grâce à l’aide active d’institutions impérialistes internationales et leurs conseillers (aujourd’hui devenus profondément antirusses) dans les années 1990, cherche ainsi à s’assurer le contrôle « d’États satellites » pour maintenir une zone d’influence.
L’opposition partielle de Poutine à « l’ordre mondial » dominé par les Etats-Unis se base sur le refus des principales puissances impérialistes de considérer comme légitimes les intérêts du capitalisme russe. Les mois qui ont précédé l’agression russe en 2022 ont exposé cela : Poutine demandait ouvertement à Biden que celui-ci reconnaisse ses intérêts en Ukraine supposément afin d’éviter l’utilisation de la force. Cette politique réactionnaire de la Russie est indéniable et est totalement opposée aux intérêts des travailleurs russes, ukrainiens et de toute la région. Ce sont ces intérêts qui amènent le régime de Poutine à mener des politiques d’oppression à l’égard de ses voisins, même si en fin de comptes il s’agit essentiellement d’une stratégie défensive dans le cadre de la concurrence entre puissances capitalistes.

Cependant, affirmer que la Russie est le principal danger en Europe de l’Est signifie alimenter le récit de l’impérialisme occidental et surtout perdre la boussole des intérêts de la classe ouvrière de la région. Dire cela signifie oublier que l’OTAN a absorbé presque tous les États issus du « bloc socialiste » à partir des années 1990 sous prétexte d’une menace russe alors que cette expansion s’est faite profitant justement de la faiblesse de la Russie en ces années-là. Cet élargissement permettait aux Etats-Unis d’avoir militairement un pied en Europe, où se trouvent d’ailleurs plusieurs États impérialistes potentiellement concurrents sur l’arène mondiale, mais aussi d’encercler la Russie et, entre autres, de l’empêcher de créer une alliance avec des puissances européennes (principalement l’Allemagne). Il ne faudrait pas oublier que la nouvelle bourgeoisie russe et ses dirigeants politiques, à commencer par Boris Eltsine mais aussi Poutine, ont essayé d’intégrer la Russie à l’OTAN, à l’UE et plus en général à « l’Occident ».

A ce propos, dans son livre Russia Without Putin (Verso, 2018), Tony Wood écrit : « le gouvernement Eltsine a évoqué à plusieurs reprises l’idée d’adhérer à l’OTAN, mais l’adhésion de la Russie n’a jamais été sérieusement envisagée. Malgré sa faiblesse dans les années 1990, la Russie était encore un État trop grand et trop puissant pour s’intégrer facilement dans le système tel qu’il était. Selon Brzezinski [ancien conseiller de sécurité nationale des Etats-Unis], "le fait politiquement décisif est que la Russie est trop grande, trop arriérée actuellement et trop puissante potentiellement pour être assimilée à un simple membre supplémentaire de l’Union européenne ou de l’OTAN. Elle diluerait le caractère occidental de la communauté européenne et la prépondérance américaine au sein de l’alliance". En tant que membre de l’OTAN ou d’une UE élargie, par exemple, elle aurait été sur un pied d’égalité avec l’Allemagne ou la France en termes d’influence décisionnelle, capable de s’allier avec l’une ou l’autre pour bloquer les desseins des États-Unis. L’ensemble de la politique américaine à l’égard de l’Europe au cours de cette décennie visait précisément à éviter un tel scénario ». De ce point de vue, maintenir une présence de l’OTAN aux frontières occidentales russes, indépendamment des intentions conjoncturelles des impérialistes, constituait une manière d’entretenir une situation de tension et de conflit potentiel dans la région. La « menace de l’OTAN » contre la Russie ne relevait pas seulement d’une forme de « paranoïa » de Poutine.

Dire que la Russie est la principale menace pour l’Europe de l’Est signifie également occulter la soumission semi-coloniale des États de la région permise par les différents élargissements de l’Union Européenne. Même les États qui ont le plus « bénéficié » de cette intégration sont devenus l’arrière-cour des principales puissances impérialistes de l’UE, à commencer par l’Allemagne (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie…). Depuis quand la semi-colonisation de cette région tout entière par l’UE ne constitue pas un danger direct pour les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière et les classes populaires qui y vivent ? Ce discours représente une vraie adaptation à la propagande impérialiste, surtout que, comme nous le verrons plus tard, l’adhésion à l’UE n’a pas signifié un grand progrès pour les travailleurs dans plusieurs des États de la région.

Mais Catherine Samary et le NPA nous préviennent aussi sur le risque de tomber dans une forme de campisme pro-occidental : « il faut contester aussi un campisme « antirusse », apologétique de l’Occident (…) les fronts larges de solidarité avec l’Ukraine peuvent englober – et c’est important – une immigration ukrainienne « antirusse » soutenant les politiques néolibérales comme celles de Zelensky, et acritique sur l’UE et OTAN. Il est essentiel d’œuvrer au respect d’un pluralisme au sein de ces fronts ». Cet avertissement n’est que plus révélateur de leur logique politique opportuniste à l’égard des courants pro-OTAN/pro-UE : face à l’agression russe et en défense du droit à l’auto-détermination de l’Ukraine, les anticapitalistes devraient-ils faire des « fronts communs » avec des courants « soutenant les politiques néolibérales comme celles de Zelensky, et acritique sur l’UE et OTAN » ?

Il s’agit ici d’une nouvelle expression de la perte de boussole de classe du NPA, qui l’amène à participer à des manifestations pro-Ukraine organisées par des courants totalement bourgeois et pro-impérialistes comme le PS et même le macronisme. Drôle de conception du « front unique ».

Changer l’UE de l’intérieur ?

Dans son communiqué, le NPA appelle à soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’UE au nom des demandes de « courants progressistes » ukrainiens (même si sa direction a tenté récemment de relativiser sa position). Évidemment, on ne nous dit pas grande chose sur ce que sont ces courants, et surtout, cette façon de présenter les choses fait croire qu’il y aurait une unanimité sur ce sujet au sein de ce spectre « progressiste » flou. Ce que nous comprenons c’est que le NPA a décidé de se faire le porte-parole acritique en France des courants d’une certaine gauche « pragmatique » et « possibiliste » qui adopte des positions de « moindre mal » pro-UE et pro-OTAN compatibles avec les objectifs politiques du gouvernement de Zelensky et l’essentiel de la classe capitaliste ukrainienne. Cela malgré un contexte de loi martiale et de répression contre les voix dissidentes face à la ligne officielle. Dans un article récent de Mediapart sur la gauche ukrainienne, on peut ainsi lire : « puisque les conditions d’une négociation ne sont pas réunies, et pour tenter de gagner cette guerre, la gauche anti-autoritaire ukrainienne en appelle donc, comme depuis début 2022, à soutenir les livraisons d’armes. Et pour s’assurer que cette guerre soit la dernière, nombre de ses militant·es estiment que l’Ukraine n’a pas d’autre choix que d’intégrer l’Otan ».

Ce type de positions vise à naturaliser l’idée qu’il n’y aurait pas « d’autre alternative » (comme le célèbre adage de Margaret Thatcher) pour l’Ukraine que d’intégrer l’OTAN et l’UE pour soi-disant s’assurer une existence en tant qu’Etat indépendant. Le NPA base sa prise de position en faveur d’une adhésion de l’Ukraine à l’UE sur l’opinion de ces courants. Le NPA répondrait ainsi à la « demande des courants progressistes ukrainiens », et ne pas le faire « pourrait renforcer les courants les plus réactionnaires et leurs politiques qui visent à transformer l’Europe en forteresse assiégée ». Une position qui va jusqu’à présenter l’élargissement d’une organisation impérialiste comme l’UE, créée pour mieux exploiter les travailleurs européens et mieux piller les ressources des pays dominés par l’impérialisme, comme un évènement « progressiste » et de lutte contre l’extrême-droite raciste et xénophobe.

Catherine Samary va jusqu’à présenter l’entrée de l’Ukraine dans l’UE comme un moyen de changer la nature et « gouvernance » de celle-ci, de l’intérieur : « il faut que les aspirations populaires qui s’expriment en Ukraine, largement partagées par les populations européennes, servent à questionner la « gouvernance » de l’UE, qui est prête à s’élargir avec pour objectif d’avancer une alternative progressiste sur tout le continent (…) C’est pourquoi le choix de construire une union élargie à l’Ukraine et aux autres pays candidats peut être associé à une remise en cause radicale des politiques basées sur la concurrence de marché et les privatisations ». Ces perspectives relèvent de rêveries opportunistes qui n’ont rien à voir avec la réalité. Même en adoptant cette perspective, à aucun moment dans le texte on nous explique quelle force sociale serait capable d’imposer un tel agenda aux gouvernements impérialistes de l’UE. Cela semble indiquer que la perspective que le NPA défend se limiterait à une stratégie électorale ou de lobbying. Nous avons connu il y a quelques années la tragédie des défenseurs d’un « Brexit anticapitaliste », le NPA semble vouloir nous servir la farce d’un « élargissement anticapitaliste » de l’UE…

Quant aux aspirations des travailleurs ukrainiens, ils pourraient demander aux travailleurs grecs comment l’UE a respecté leurs « aspirations populaires » à l’époque de la profonde crise économique des années 2010. Ils pourraient demander aussi aux travailleurs et aux classes populaires bulgares ou roumains qui sont rentrés dans l’UE en 2007 mais qui continuent à être parmi les plus pauvres du continent. Dans un article de janvier 2022 faisant le bilan de 15 ans d’adhésion à l’UE de ces deux pays, publié dans EuObserver, on peut lire : « les deux pays restent en queue de peloton de l’UE en termes de salaires, d’infrastructures de transport, de santé et d’éducation. La Bulgarie reste le membre le plus pauvre de l’UE, suivie par la Roumanie. Dans ces deux pays, la productivité du travail et la compétitivité sont au plus bas. Ces dernières années, les systèmes de santé de ces deux pays ont toujours été classés parmi les pires de l’UE selon l’indice Euro Health Consumer. La Roumanie (661 euros par habitant) et la Bulgarie (626 euros par habitant) dépensent moins pour leur système médical que n’importe quel autre pays de l’UE, selon Eurostat, loin derrière les pays les plus performants tels que le Luxembourg, la Suède et le Danemark, qui dépensent chacun plus de 5 500 euros par habitant chaque année. Le dernier rapport sur la santé de la Commission européenne place également les pays du sud-est de l’Europe en dernière position en ce qui concerne la durée de vie globale de leurs citoyens. Les Roumains et les Bulgares meurent encore plus jeunes qu’avant ».

Les négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’UE pourraient prendre au moins 10 ans et il existe énormément de contradictions et de complications qui rendent cette intégration très difficile. Cependant, si elle aboutit, elle ne signifiera dans aucun cas une victoire pour les travailleurs et les classes populaires ukrainiennes. Au contraire, dans un contexte « d’épuisement impérial », de concurrence économique et militaire acharnée entre puissances mondiales dans le cadre d’un monde beaucoup plus dangereux et propice au déclenchement de guerres locales et régionales, et le danger toujours latent de conflit mondial, l’intégration de l’Ukraine à l’UE constituerait en fin de comptes (et malgré les contradictions) une victoire pour les capitalistes européens. Les richesses agricoles et les ressources du pays pourraient contribuer à renforcer la sécurité économique de l’UE face aux concurrents des capitaux impérialistes européens.

Autrement dit, la guerre en Ukraine a rendu envisageable quelque chose qui semblait très lointain il y a un peu plus de deux ans, comme l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Cela ne veut pas dire que le processus aboutira à la fin, mais les puissances de l’UE chercheront de toutes façons des manières de spolier les ressources de l’Ukraine. Dans ce contexte, prôner l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, même à travers des arguments fantaisistes sur des « transformations progressistes » de celle-ci, est une capitulation totale face à l’impérialisme.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, le NPA prétend suivre une ligne internationaliste intransigeante vis-à-vis du droit de l’Ukraine à l’auto-détermination, ce qui le conduit en fin de compte à se mettre à la remorque de l’OTAN et de l’impérialisme français. En négligeant ou occultant le rôle des impérialistes dans la guerre, le NPA s’est embarqué dans des prises de position allant dans le sens des discours et des intérêts de l’impérialisme français et ses partenaires. De la critique unilatérale de la Russie jusqu’à sa position sur les livraisons d’armes, et maintenant en soutenant l’intégration de l’Ukraine à l’UE, le NPA multiplie les prises de positions dont on a du mal à voir en quoi elles s’opposent aux orientations générales du gouvernement français, au-delà de quelques détails. Ces positions sont d’autant plus scandaleuses dans un contexte de montée des discours guerriers de la part des bourgeoisies européennes, Macron en tête.

Ce possibilisme opportuniste du NPA exprime un abandon progressif de la perspective de l’instauration d’un pouvoir des travailleurs, le remplaçant par des formules de gouvernement floues, s’inscrivant dans le cadre du système capitaliste (une « Ukraine indépendante et démocratique »). En ce sens, il n’y a plus besoin de réfléchir à la façon dont la classe ouvrière ukrainienne, en alliance avec ses frères et sœurs de classe russes, pourrait se battre de façon indépendante de Zelensky et de l’OTAN contre l’armée de Poutine, aux alliances de classe. Les formes de lutte défendues sont liées aux formes de pouvoir envisagées. Dans le meilleur des cas, ces prises de positions représentent une forme d’« étapisme », mais sûrement pas de l’internationalisme prolétarien.

Les États-Unis Socialistes d’Europe, la seule issue progressiste

Si la classe ouvrière ukrainienne, en alliance avec les autres classes exploitées du pays et notamment avec les travailleurs russes, est incapable de vaincre l’invasion de l’armée de Poutine, c’est une très mauvaise nouvelle pour le mouvement ouvrier international. Mais si les travailleurs ukrainiens réussissent à vaincre Poutine de la main de l’OTAN et que cette victoire est accaparée par la bourgeoisie nationale et les impérialistes occidentaux, cela serait également une très mauvaise nouvelle pour le mouvement ouvrier international. Dans les deux cas, ce sont les forces capitalistes et l’impérialisme qui se renforcent d’une manière ou d’une autre au détriment du prolétariat. Cela comporterait des dangers mortels comme l’ouverture totale de la voie vers le bellicisme et le renforcement des tendances guerrières, mettant possiblement le monde entier au bord de la catastrophe.

Autrement dit, les perspectives actuelles qui s’offrent au prolétariat ukrainien (et russe) sont très sombres. La violence militaire et politique d’un camp comme de l’autre rendent très difficile le surgissement d’une voie alternative, de classe, pour les travailleurs, au milieu de la guerre. Les syndicats et les partis ukrainiens de gauche se réclamant de la classe ouvrière, pour des raisons multiples, qui auraient pu mener un travail préparatoire dans le sens d’impulser une alternative de classe face aux différents fractions bourgeoises, sont arrivés très faibles au moment du déclenchement de la guerre. Cependant, cette faiblesse ne peut pas être utilisée comme prétexte pour abandonner toute perspective d’indépendance de classe au nom d’un supposé « réalisme » qui a comme résultat l’alignement derrière un camp bourgeois ou un autre.

C’est en ce sens que nous considérons que le NPA commet une faute politique grave se plaçant de fait dans le camp atlantiste au nom d’une interprétation unilatérale de la guerre en Ukraine comme une guerre principalement de libération nationale. Bien évidemment, nous nous opposons également à ceux qui nient la question de l’oppression nationale ukrainienne ou la minimisent à tel point qui au nom d’un faux anti-impérialisme finissent derrière le camp militaire de Poutine. Pour notre part, comme nous l’avons dit dès le début de la guerre dans un article de mars 2022, « rejeter toute ingérence de l’OTAN en Ukraine ne signifie pas mettre de côté la question nationale ukrainienne et la légitime résistance des Ukrainiens face à l’invasion russe. C’est au contraire affirmer que la lutte contre l’oppression de l’Ukraine par la Russie ne peut se faire sous l’égide de l’OTAN, qui, en tant qu’alliance impérialiste, n’a jamais permis à aucun peuple d’accéder à une indépendance véritable. En ce sens, l’émancipation du peuple ukrainien est indissociable de la perspective de la révolution socialiste et, par conséquent, dans la guerre actuelle, d’une politique indépendante qui permette, dans des conditions difficiles, d’avancer vers la seule issue progressiste : une Ukraine indépendante, ouvrière et socialiste ».

En ce sens, envisager l’intégration de l’Ukraine à l’UE, un bloc impérialiste, comme une perspective permettant de renforcer des « partis progressistes » est une claire capitulation devant des intérêts de fractions importantes de la bourgeoisie ukrainienne et surtout du capital impérialiste européen. L’alternative consistant à s’opposer à l’intégration de l’Ukraine à l’UE au nom d’une « concurrence déloyale » ou la protection des producteurs européens constitue également une adaptation aux intérêts d’autres fractions bourgeoises européennes.

En réalité, les termes du débat (« pour ou contre ») sont biaisés et n’admettent que des réponses simplistes qui enferment les options dans une discussion entre différentes alternatives bourgeoises. L’adhésion de l’Ukraine à l’UE ne peut signifier que la soumission de ce pays aux intérêts des principales puissances impérialistes du continent. D’un point de vue d’une perspective de la constitution d’un pouvoir de la classe ouvrière, de la construction d’un Etat ouvrier et socialiste, jamais l’intégration de l’Ukraine à l’UE peut signifier une mesure tactique et transitoire vers cette perspective ou vers la perspective de la construction d’une « Europe des travailleurs ». Au contraire.

Comme dit plus haut, la garantie pour une Ukraine véritablement indépendante ce serait que la résistance contre l’agression russe se transforme en lutte du prolétariat pour le pouvoir contre les oligarques en Ukraine mais aussi en Russie, dans une perspective socialiste. Une Ukraine ouvrière et socialiste constituerait un élan puissant dans toute l’Europe et au-delà pour la lutte de la classe ouvrière. C’est précisément cela qui permettrait vraiment de remettre en cause l’UE impérialiste, et non le contraire, à savoir : l’absorption de l’Ukraine par l’UE impérialiste. Une politique de classe ne peut pas se baser sur un supposé « moindre mal » qui serait dans ce cas l’adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Cependant, si la perspective d’une « intégration européenne » n’a rien de progressiste pour l’Ukraine, adopter une position déposant les espoirs dans des négociations diplomatiques correspond également à une politique de moindre mal. En effet, des négociations entre Poutine et Zelensky, soutenu par l’OTAN, ne garantissent rien du tout. Ni l’auto-détermination de l’Ukraine, ni une paix durable, ni un avenir un tant soit peu progressiste pour les travailleurs et les classes populaires. Au contraire, même avec une fin de guerre négociée nous pouvons être presque sûrs qu’il y aura une militarisation accrue de la région.

Les perspectives immédiates pour le prolétariat ukrainien sont catastrophiques. La résistance face à l’agression de Poutine est menée par une coalition composée du gouvernement de Zelensky et des gouvernements impérialistes de l’OTAN. Comme depuis le début de la guerre, nous continuons à considérer que face à ces deux camps réactionnaires, la classe ouvrière a besoin de constituer un troisième camp d’indépendance de classe, ce qui est aujourd’hui une perspective très compliquée. Cependant, ces difficultés ne peuvent pas justifier l’adoption de raccourcis opportunistes. Pour les exploités et opprimés d’Ukraine, et de Russie, ni le nationalisme réactionnaire ni l’intégration à l’UE ne constituent des options progressistes, la seule perspective progressiste est celle de la lutte pour un pouvoir ouvrier et socialiste dans la perspective des États-Unis Socialistes d’Europe.

[1] Quand nous parlons ici du NPA, nous nous référerons à la formation de Philippe Poutou et d’Olivier Besancenot et non à « l’autre NPA », ou « NPA-C ». Ce dernier est composée des anciennes tendances de la gauche de cette organisation et partagent sur la question ukrainienne plusieurs points en commun, mais n’est pas ici l’objet de la discussion.