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    Le gouvernement va-t-il laisser faire le démantèlement d’Atos ?

    Lien publiée le 3 juin 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Le gouvernement va-t-il laisser faire le démantèlement d’Atos ? | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

    Le nom du repreneur du géant tricolore de l’informatique, en difficulté, devrait être connu d’ici au 31 mai. Avec le risque que le sauvetage d’Atos tourne au démantèlement, dans un contexte où l’Etat fait le strict minimum.

    Après deux ans de descente aux enfers et bien des rebondissements, le feuilleton Atos approche de son dénouement. Le géant informatique français s’est donné jusqu’à vendredi 31 mai pour présenter un plan de sauvetage qui lui évite le dépôt de bilan et recueille l’assentiment de ses créanciers. Sur la table, les actionnaires, les banques et les financiers qui détiennent la dette du groupe doivent trancher entre deux projets concurrents de reprise. En parallèle, le gouvernement envisage une nationalisation partielle des activités les plus souveraines1.

    A quelques jours de l’échéance, le sort du fleuron tricolore apparaît très incertain. Un des repreneurs potentiels laisse en effet planer le doute sur une vente à la découpe. Et alors que le Sénat appelle de ses vœux une intervention publique d’ampleur pour sauver l’intégralité du groupe, et pas uniquement quelques filiales, le gouvernement, après avoir traîné pour se saisir du dossier, limite son implication au strict minimum. Ce cocktail explosif laisse entrevoir la perspective d’un démantèlement d’Atos et d’une perte de compétences stratégiques pour l’économie hexagonale.

    Des activités très stratégiques

    L’entreprise est quasi inconnue du grand public mais « omniprésente dans le quotidien des Français », insistent ses défenseurs. Atos est, pour faire simple, une société de services numériques active dans la cybersécurité mais aussi l’intelligence artificielle, à travers surtout les importantes puissances de calculs (supercalculateurs) nécessaires pour faire tourner les algorithmes.

    Elle assure la conception, la mise en place, la gestion et l’hébergement de systèmes informatiques et de logiciels pour le compte de nombreux clients. Des entreprises privées, PME ou grands groupes comme PMU, AccorHotels, Sephora, Bouygues Telecom. Ou bien des entités publiques à l’activité souvent très sensible.

    Elle gère ainsi les systèmes informatiques de plusieurs ministères, de la carte vitale, de FranceConnect, du site des impôts, des douanes, de la CAF, de l’Assurance maladie, du système de régulation de la SNCF, du logiciel de création des passeports, des portails informatiques et logiciels des services d’urgence et de secours. Elle est également un partenaire historique du Comité international olympique : à ce titre, elle est le prestataire informatique de Paris 2024, que ce soit pour la cybersécurité, l’affichage et la transmission des résultats des athlètes ou encore la gestion des badges des bénévoles et salariés.

    Dans le secteur énergétique, Atos opère le logiciel du compteur Linky, ou celui des outils de contrôle-commande de dizaines de centrales nucléaire françaises, et participe à ce titre à la conception des logiciels pour les futurs EPR. Les technologies de l’entreprise sont également déployées dans les armées françaises au travers des connectiques des avions Rafale, des systèmes de captage et d’échange d’informations de tous les véhicules de l’armée de terre, du téléphone sécurisé des armées, etc.

    Enfin, les compétences d’Atos sont indispensables à la dissuasion nucléaire française, puisque depuis l’arrêt des essais nucléaires dans les années 1990, l’évaluation de la performance des armes françaises repose sur de hautes capacités de calcul et des programmes informatiques, gérés par le groupe qui a acquis Bull, héritier du plan calcul du président De Gaulle. Ces dernières activités très stratégiques sont logées au sein d’une filiale, Big Data & Security (BDS), qui excite les convoitises.

    Dette qui grossit et restructurations en série

    Mais qu’est-ce qui cloche alors chez ce discret géant de la technologie ? Le principal problème d’Atos est qu’il traîne une lourde dette.

    Après une décennie ponctuée par des dizaines de rachats (voir notre article sur les raisons de la crise chez Atos), la machine s’est grippée début 2021, forçant la direction à renoncer à une énième acquisition du fait d’une dette inquiétante. Celle-ci n’a fait que progresser depuis, pour atteindre 4,9 milliards d’euros, dont le gros des créances arrive à échéance d’ici 2025. Le fruit en partie d’une grande instabilité à la tête du groupe.

    Pas moins de sept directeurs généraux se sont succédé depuis 2019. Cette instabilité s’est traduite par une série de réorganisations successives censées mettre l’entreprise sur les rails d’une nouvelle stratégie. Remodelage du groupe en six divisions sectorielles en 2020, puis abandon du plan début 2022 pour mettre sur pied une organisation autour de trois branches métiers. Puis mi-2022, c’est l’idée d’une scission de la multinationale qui est avancée et mise en place.

    Au-delà des chamboulements internes, ces réorganisations se sont avérées très coûteuses. Leur facture a grimpé de 283 millions d’euros en 2022 à quelque 700 millions d’euros en 2023. Ces sommes s’expliquent en partie par l’addition des plans de départ. Mais les seuls coûts de transformation et de séparation s’élèvent à 353 millions d’euros pour 2023. Une manne qui nourrit un véritable écosystème vivant de ces conseils en stratégie, financiers et juridiques. McKinsey, EY, Rothschild & CO, JP Morgan… le poids et le coût des cabinets de conseil sont largement dénoncés.

    « Nous avons eu trois réorganisations depuis 2020 dont aucune n’a fonctionné. A chaque fois ce sont des coûts en cabinet de conseil, des dépenses internes en équipe support pour séparer les réseaux, monter les serveurs. Nous sommes au moins à un milliard d’euros de frais de restructuration sur les trois dernières années », regrette Pascal Besson, délégué syndical central CGT.

    Le Sénat, qui a diligenté une mission d’information sur le cas de l’entreprise, arrive à la même conclusion en des termes plus policés :

    « Les rapporteurs s’étonnent du coût faramineux de la réorganisation du groupe, estimé à plus de 700 millions d’euros, surtout que ce montant représente plus de la moitié du besoin de financement global d’1,2 milliard d’euros annoncé par Atos pour les années 2024-2025. »

    C’est l’un des drames d’Atos : ses mauvais résultats économiques s’expliquent d’une part par ces coûts de restructuration faramineux, et d’autre part par l’envolée de la charge de l’endettement, lestée par la hausse des taux d’intérêt et la méfiance de ses créanciers. Ainsi, l’entreprise consomme plus de liquidités qu’elle n’en génère, faisant craindre la cessation de paiements.

    Mais si l’on regarde le résultat opérationnel d’Atos, c’est-à-dire les liquidités générées uniquement par son activité, le groupe dégage une marge opérationnelle positive, bien que faible. Raison pour laquelle plusieurs observateurs pensent le sauvetage d’Atos réaliste, à condition d’y réinjecter de l’argent, d’effacer une partie de sa dette, et de porter un projet industriel clair.

    Selon ses propres estimations, le groupe aurait besoin de 1,1 milliard d’euros pour boucler les années 2024-2025 et d’annuler l’équivalent de 3,2 milliards d’euros de dette. En attendant, sans véritable actionnaire de référence capable de renflouer ou d’assurer une stabilité du capital, Atos est malmené en bourse depuis deux ans.

    Le risque d’une vente à la découpe

    Le sauvetage d’Atos a cependant pris une autre tournure au printemps, avec une première intervention du gouvernement. Après avoir refusé à l’automne une proposition portée par un groupe de députés transpartisans (LR-PS) de nationaliser BDS (entité opérant les contrats avec l’armée) et la filiale liée au nucléaire civil, le gouvernement a changé de braquet fin avril en proposant une nationalisation partielle des activités les plus sensibles. Mais Bercy ne vise qu’une partie de BDS : les divisions détenant les contrats avec l’armée et la cybersécurité. Ce qui représente seulement 10 % du chiffre d’affaires d’Atos environ.

    L’exécutif fait donc un pas vers un éventuel démantèlement, qui serait l’aboutissement du dernier plan de réorganisation datant de 2022 qui avait acté la scission du groupe.

    Depuis, l’entreprise est coupée en deux avec d’un côté, Eviden, qui regroupe les activités réputées en croissance et liées à l’armée, le nucléaire, les supercalculateurs ou la cybersécurité. Et de l’autre, Tech Foundations qui englobe les métiers réputés plus difficiles : l’infogérance. C’est-à-dire le fait de gérer et stocker pour un tiers les systèmes d’information, qu’il s’agisse d’un site ou d’une application, par exemple. L’objectif de cette scission était d’attirer des capitaux différents, et notamment des investisseurs pour les activités réputées valorisables, c’est-à-dire Eviden, qui contient entre autres la filiale BDS.

    Mais cette scission est loin de faire l’unanimité. Notamment au Sénat :

    « Les deux commissions du Sénat [Affaires étrangères et économie et finances, NDLR] souhaitent éviter à tout prix une "vente à la découpe" […]. Elles regrettent que l’hypothèse d’un maintien du groupe en entier ne soit presque jamais considérée sérieusement par les services de l’État. Elles estiment qu’aucune entité, Eviden ou Tech Foundations, ne peut porter à elle seule le poids de la dette, même restructurée, ce qui justifie d’autant plus un maintien du groupe dans son entièreté. »

    Au-delà des aspects financiers, c’est également sur le plan organisationnel qu’un tel découpage est contesté.

    « Il existe des flux croisés non négligeables entre les deux entités, une partie des contrats sont portés par des équipes de part et d’autre créant mécaniquement de l’interdépendance entre Eviden et Tech Foundation », souligne un observateur du secteur.

    Un tel découpage romprait la promesse qu’Atos peut faire à ses clients de tout gérer de bout en bout : de la cybersécurité à l’infogérance, en passant par les outils d’intelligence artificielle.

    David contre Goliath pour la reprise du groupe

    Deux candidats, le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky et David Layani, patron et principal actionnaire du groupe technologique OnePoint, s’opposent aujourd’hui pour reprendre le groupe mais avec des projets et moyens financiers différents.

    Le projet de reprise de Daniel Kretinsky fait craindre une accélération de ce plan de scission avec une vente à la découpe de Tech Foundation. Le Tchèque ne s’en cache d’ailleurs pas et affirme ne pas avoir de « position dogmatique » sur le sujet.

    A l’inverse, son concurrent pour la reprise, David Layani, se veut le promoteur d’un projet préservant « l’intégrité d’Atos ». Mais la principale limite à l’offre de ce dernier est son manque de moyens. David Layani a l’avantage d’être un professionnel du secteur et français, mais il est beaucoup moins fortuné que son concurrent tchèque.

    Le Français injecterait seulement 350 millions d’euros dans Atos, contre 600 millions pour Daniel Kretinsky. OnePoint est en effet un groupe de seulement 3 000 salariés affichant un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros qui veut avaler les 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires et les 100 000 salariés d’Atos. A l’inverse, la firme de Daniel Kretinsky totalise plus de 100 milliards d’euros de revenus, via principalement ses activités énergétiques européennes.

    Les salariés d’Atos sauront d’ici au 31 mai à quelle sauce ils seront mangés. Mais il ne faut pas s’y tromper : l’emploi n’est pas ici qu’un enjeu social. Dans un groupe dont 80 % de la masse salariale correspond à des postes d’ingénieurs, il représente des compétences et des savoir-faire critiques.