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Sandrine Rousseau : "Je soutiens la procédure de destitution d’Emmanuel Macron"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Comment analysez-vous le refus d’Emmanuel Macron de nommer un gouvernement issu du Nouveau Front populaire ?
Sandrine Rousseau : Je trouve incroyable de la part d’Emmanuel Macron d’invoquer la stabilité institutionnelle pour justifier ce refus, alors que c’est lui qui a dissous l’Assemblée un soir d’élection européenne où le Rassemblement national est arrivé en tête. C’est honteux.
Réélue députée de Paris aux élections législatives de juillet 2024, Sandrine Rousseau condamne fermement le refus d’Emmanuel Macron de nommer à Matignon une personnalité proposée par le Nouveau Front populaire.
Pour l’élue écologiste et docteure en économie, la séquence politique récente montre que la Constitution de la Ve République manque de contre-pouvoirs face à la volonté présidentielle. Elle juge qu’un rapprochement politique est à l’oeuvre entre le centre, la droite et l’extrême droite pour maintenir une politique libérale rejetée par les Français.
Dans Ce qui nous porte, un ouvrage terminé juste après sa réélection et à paraître le 13 septembre au Seuil, Sandrine Rousseau écrit que la société française est pourtant prête à prendre un tournant social et écologique. A condition que ses représentants politiques, y compris de gauche et écologistes, abandonnent leur nostalgie de la croissance et des Trente Glorieuses.
Comment analysez-vous le refus d’Emmanuel Macron de nommer un gouvernement issu du Nouveau Front populaire ?
Sandrine Rousseau : Je trouve incroyable de la part d’Emmanuel Macron d’invoquer la stabilité institutionnelle pour justifier ce refus, alors que c’est lui qui a dissous l’Assemblée un soir d’élection européenne où le Rassemblement national est arrivé en tête. C’est honteux.
Le président veut en fait dissoudre le NFP. Il veut qu’une majorité s’organise autour d’un bloc central, mais ce n’est pas ce qu’ont voulu les Français, qui ont placé le NFP en tête des législatives. La décision du Président est unilatérale. Nous touchons une limite grave, jamais atteinte, dans cette Ve République.
Que doit faire la gauche désormais ?
S. R. : La gauche doit appeler à des manifestations massives, et adopter une motion de censure contre tout gouvernement non issu du NFP.
Soutenez-vous la motion de destitution du président de la République que La France insoumise a annoncé vouloir présenter au bureau de l’Assemblée nationale ?
S. R. : Quand l’option de la destitution a été mise sur la table par LFI, je penchais pour la prudence, car il s’agit de notre unique arme en cas de non-respect de la démocratie. Je suis désormais pour soutenir cette procédure de destitution.
Ce blocage révèle-t-il selon vous des faiblesses de la Constitution de la Ve République ?
S. R. : Notre Constitution est trop faible face à un chef de l’Etat qui ne veut pas jouer le jeu. Nous disposons de très peu de contre-pouvoirs. C’est la découverte que j’ai faite lors de cette crise : la Constitution protège énormément le Président, mais ne protège pas les Français contre le Président.
Plus largement, la volonté des partis du centre, de droite et d’extrême droite de censurer tout gouvernement issu du NFP pose une question démocratique fondamentale. Ils s’entêtent dans une politique libérale, telle que Macron la conduit, et qui a été rejetée. Ils préfèrent cela à un programme de redistribution venu de la gauche qui est arrivée en tête des élections.
Leur point commun, qui est de vouloir favoriser les intérêts économiques, provoque un rapprochement politique. On le voit déjà concrètement à l’Assemblée, où la proximité interpersonnelle entre le RN et les macronistes est évidente. Je souscris à l’analyse de Karl Polanyi, qui disait que le désencastrement de l’économie vis-à-vis de la société – c’est-à-dire la constitution du marché comme pouvoir autonome – mène au fascisme.
Craignez-vous qu’une partie de la gauche non insoumise réponde favorablement à la demande d’Emmanuel Macron de coopérer avec les partis plus à droite ?
S. R. : Le NFP a été élu sur un mandat et un programme. Peut-être que certains responsables de gauche ou écologistes sont tentés de s’allier au centre ou à la droite, mais ce serait trahir les électeurs que de céder à cette demande d’Emmanuel Macron. Le Président ne peut pas casser le NFP. Il n’y a pas d’alternative à un gouvernement issu du NFP qui viendrait trouver des majorités texte par texte avec les autres forces de l’Assemblée.
Pensez-vous toujours qu’un hypothétique gouvernement de gauche puisse trouver des majorités à l’Assemblée sur des points centraux du programme du NFP ?
S. R. : Oui. Mais tout d’abord, une partie du programme peut être appliquée par décrets, par exemple le rétablissement des critères de pénibilité au travail supprimés sous le mandat Macron. Cela changerait concrètement la vie des gens. Ensuite, un gouvernement de gauche pourrait proposer un ensemble de textes qui trouveraient leur majorité à l’Assemblée, par exemple sur le statut des familles monoparentales, ou sur le soutien au secteur public hospitalier.
On peut aussi imaginer des lois qui ne sont pas dans le cœur du programme du NFP mais qui seraient souhaitables, comme le retour de la police de proximité. Même des mesures environnementales peuvent trouver une majorité, par exemple la lutte contre les passoires thermiques, à condition que l’Etat ne fasse pas peser toute la charge sur les propriétaires.
Justement, comment financer toutes ces mesures alors que la droite et le centre s’opposent à toute augmentation des impôts ?
S. R. : J’ai du mal à imaginer que les députés ne trouvent pas une majorité pour augmenter, par exemple, les taxes sur les superprofits des multinationales. Plus largement, on ne peut que constater que la charge fiscale qui pèse sur les petites entreprises est plus élevée que celle qui touche les grandes entreprises, qui peuvent faire de l’optimisation voire de la fraude plus facilement. On peut donc s’entendre sur des mesures de justice fiscale simples. Si des députés votent contre, qu’ils aillent l’expliquer aux artisans et aux commerçants.
Dans votre dernier livre, à paraître mi-septembre, vous critiquez la nostalgie des Trente Glorieuses, qui nous empêche selon vous de changer d’approche économique. Le programme du NFP, axé sur le progrès du pouvoir d’achat et la relance économique, incarne-t-il ce sentiment ?
S. R. : Le programme du NFP n’est pas le programme que j’aurais écrit, c’est sûr. Il dénote une forme de nostalgie des Trente Glorieuses. Cette période a eu une dimension positive que je ne nie pas, mais aussi des aspects négatifs souvent passés sous silence, sur le plan écologique et social.
Une partie de la gauche et du camp écologiste reste enfermée dans le mode de pensée hérité de cette période, qui nous met collectivement en danger. On pense encore en termes de croissance, de productivité. Au-delà de la gauche, les mesures sociales sont appréhendées comme des cadeaux.
Il faut changer de logiciel et inverser l’ordre des priorités : l’économie ne peut être qu’un moyen et pas une fin en soi. Faire de la croissance l’objectif premier d’une politique, en pensant que c’est la condition pour pouvoir redistribuer, c’est se tromper. On ne peut trouver des solutions en réfléchissant de la même manière que ce qui a généré le problème.
A quoi ressemblerait concrètement ce changement de logiciel ?
S. R. : Un programme de gauche et écologiste doit réinvestir en premier lieu la question des temps sociaux. Le système économique actuel est axé sur l’objectif de ne pas nous faire « gaspiller » de temps, mais cette notion de gaspillage doit être interrogée, car gaspiller du temps, c’est en fait en prendre pour soi, pour se reposer, s’occuper d’autrui, se cultiver. En voulant faire « gagner du temps » aux facteurs sur leur tournée, par exemple, on leur a enlevé du temps qui leur permettait de créer du lien social.
La gauche doit également réinvestir la question du mérite – professionnel, scolaire, mais aussi écologique – qui est aujourd’hui accaparée par les élites. Demandons-nous qui fait vraiment des efforts.
En se positionnant sur ces questions, on serait beaucoup plus en phase avec les attentes de la société. Car les enquêtes sociologiques montrent que la France ne s’est pas droitisée et que les valeurs progressistes sont largement partagées.
Quelle mesure immédiate auriez-vous suggérée à Lucie Castets, ou à un gouvernement de gauche ?
S. R. : La priorité est de ralentir le travail. Cela peut passer par l’ouverture de discussions sur la semaine de 32 heures, mais aussi par une augmentation immédiate des temps de pause au cours de la journée de travail, qui ont été sacrifiés lors du passage aux 35 heures.
Dans nombre de métiers, notamment les services à la personne mais pas que, freiner permet d’effectuer un travail de meilleure qualité. Plus largement, c’est un moyen de ne plus avoir la tête dans le guidon. On ne peut pas prendre soin de la planète si on ne prend pas soin de soi.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la « valeur travail », dont on entend qu’elle est largement partagée par les classes populaires ?
S. R. : Beaucoup des prétendus défenseurs de la « valeur travail » ne pensent qu’à une chose : détruire la valeur monétaire du travail car, selon eux, celui-ci coûte toujours trop cher. Je ne pense pas que les Français soient attachés à cette vision de la « valeur travail » mais plutôt au travail de valeur, qui rémunère correctement et qui a une valeur sociale, c’est-à-dire du sens pour la société et pour soi-même.
Cette question-là me semble sous-investie par la gauche, qui doit se battre pour que les travailleurs soient respectés, dans leur travail mais aussi dans leur temps de non-travail. Borner le temps de travail, c’est respecter les travailleurs mais aussi la planète.
Vous critiquez dans votre ouvrage un autre aspect de l’imaginaire des Trente Glorieuses : la planification. Mais celle-ci n’est-elle pas nécessaire vu l’ampleur des chantiers à mener ?
S. R. : Planification et centralisation ont trop souvent été confondues, et on a fait l’erreur de penser la planification sans définir la stratégie que celle-ci doit mettre en place. Je ne remets pas en cause l’idée que l’Etat encadre l’économie et les temps sociaux, ce qui me semble nécessaire.
Mais dans les nombreux territoires où la transition écologique est impopulaire, la planification est perçue comme des mesures venues de Paris et appliquées uniformément partout. Or la transformation écologique dans la Creuse ne peut pas prendre le même chemin qu’à Paris, même s’il y a des points communs : isoler les logements, changer les modes de chauffage, développer les transports publics.
Pour s’approprier la nécessaire transformation écologique, il faut en laisser une partie aux collectivités locales, et imaginer quelque chose d’un municipalisme libertaire. Sans l’implication des populations concernées, nous n’y arriverons pas. Ce n’est pas suffisamment présent dans les programmes de gauche.
Vous écrivez qu’on ne peut pas se limiter à « promettre des chaudières moins polluantes et plus de pouvoir d’achat ». Que promettre alors ?
S. R. : Si l’on reste dans un prisme consumériste, on fait de la capacité à consommer un moyen de s’intégrer dans le récit national. La gauche doit selon moi partir des besoins. Vivre dans un logement où la température est correcte en hiver est un besoin qui peut nécessiter un changement de chaudière. Mais cette chaudière n’est qu’un moyen, pas un trophée qui nous permet d’entrer dans le grand récit du progrès économique.
Nous avons besoin de culture, de mobilité, de nourriture, de soin, d’éducation, de dignité. Interrogeons-nous sur les manières de les satisfaire, au lieu de poser comme préalable la question du pouvoir d’achat. Je préfère donc parler de « pouvoir de vivre », même si en répondant à ces besoins, notamment grâce aux services publics, on fera nécessairement progresser le pouvoir d’achat de celles et ceux qui n’en ont pas.
Faut-il alors assumer de parler de décroissance, un mot auquel vous avez été très associée, quitte à cliver ?
S. R. : Il faut assumer d’utiliser le mot « décroissance », mais pour défendre une sortie de l’idéologie de la croissance. Le problème du mot décroissance, c’est qu’il renvoie toujours en creux à la croissance. Si le terme permet d’ouvrir les « chakras » des gens, tant mieux, mais peut-être faut-il lui préférer « a-croissance ».
Vous affirmez que les Français ne sont « majoritairement ni nostalgiques ni réactionnaires ». Alors pourquoi ne votent-ils pas plus à gauche ?
S. R. : Je n’ai pas de réponse miracle, mais j’ai le sentiment que la gauche ne s’est pas suffisamment distanciée de cette nostalgie. La gauche n’est pas suffisamment synonyme d’une autre manière de vivre, mais plutôt d’une même vie un peu améliorée. Or, elle a toujours gagné quand elle a défendu la possibilité de vivre autrement.
Comment analysez-vous le rôle des médias dans cette nostalgie des Trente Glorieuses et du progrès matériel ?
S. R. : Leur responsabilité est énorme. Certains ont un projet politique clair : nous enfermer dans cette idéologie, notamment les médias détenus par Vincent Bolloré. D’autres n’ont pas ce projet politique mais sont incapables de faire un pas de côté pour laisser s’exprimer d’autres manières de voir le monde. Je suis frappée, depuis que je suis députée, par la difficulté d’imposer une parole différente, tant je suis submergée par des questions sur l’actualité politicienne.
Dans ces mêmes médias, ce sont l’écologie, et plus largement les sujets que vous portez, qui sont accusés d’être clivants. Que répondre à cette accusation ?
S. R. : On m’accuse car j’ouvre des portes, mais ces sujets ne sont en réalité pas si clivants. Au moment où j’ai parlé du barbecue et de la place de la viande, une enquête de l’Ifop montrait que 62 % des Français estimaient qu’il fallait « déviriliser » le rapport à la viande.
Beaucoup de médias ont traité le sujet comme si tout le monde le découvrait alors que ce n’est pas le cas : c’était une idée déjà partagée. D’ailleurs, il y a trois fois plus de végétariens que de chasseurs. J’ai l’impression d’avoir levé un voile sur quelque chose qui était déjà là mais que beaucoup de personnes ne savent pas appréhender.
Vous défendez dans votre livre le droit à la paresse ou encore l’idée qu’il faut refonder nos relations avec les animaux. Ce sont là aussi des opinions déjà partagées ou des idées minoritaires que vous voulez faire avancer ?
S. R. : Je pense qu’elles sont déjà majoritaires. Un autre sondage de l’Ifop a montré que 69 % des Français soutiennent le droit à la paresse. Plus largement, si je prends l’exemple de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, j’ai l’impression d’avoir vu éclater à la face du monde tout ce pourquoi je milite, et qui m’a valu beaucoup de coups sur la tête… Thomas Jolly a eu beaucoup de courage.
Sur la viande, c’est la même chose : les mentalités ont déjà changé. C’est comme un iceberg dont la partie inférieure est cachée jusqu’à ce qu’il bascule sans qu’on sache vraiment pourquoi. C’est ce qui s’est passé sur le féminisme avec #MeToo, et c’est ce qui est en train d’advenir avec notre relation aux animaux.
Quelles divergences subsistent au sein du NFP ? Reste-t-il de vrais désaccords programmatiques ou ne s’agit-il que d’oppositions de style politique ?
S. R. : Je ne crois pas que les programmes se soient tant rapprochés. En s’alliant pour promettre « du pouvoir d’achat et des chaudières », on a mis sous le tapis des divergences profondes, notamment sur le productivisme. Je souhaiterais qu’on ait un débat, à gauche, sur ce sujet, et je doute que tous les partis aient le même avis. On a juste trouvé le moyen de mettre cette question au second plan au lieu de l’affronter, ce qui est une erreur.
Quant à la méthode, ou au style politique, j’ai l’impression que quand on reproche à une personnalité de gauche d’être clivante – c’est mon cas – on reprend en fait les arguments de la droite. Une parole de gauche incarne nécessairement un affrontement avec un projet de droite. Il faut en faire une fierté.
Assumer cette conflictualité n’empêche-t-il pas d’élargir sa base électorale, voire de braquer certains électeurs potentiels ?
S. R. : Pour l’assumer, il y a je crois un chaînon manquant dans les récits à gauche : dénoncer l’attachement à la croissance et au « c’était mieux avant », qui s’appuient sur une vision biaisée de l’histoire et occultent les dégâts sociaux et environnementaux.
Il faut être capable de les nommer, sans être ingrat ni oublier ce que l’on doit aux dirigeants ou à nos parents qui ont vécu à cette époque. Il ne s’agit pas de changer pour changer, mais de poursuivre une perspective d’émancipation, de liberté et de respect pour les jeunes d’aujourd’hui.