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Présidentielle américaine : le pouvoir des grandes entreprises ou des oligarques
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Présidentielle américaine : le pouvoir des grandes entreprises ou des oligarques - Élucid
Lors de ces élections présidentielles, nous, citoyens américains, avons le choix entre le pouvoir des grandes entreprises et celui des oligarques. Le pouvoir des grandes entreprises a besoin de stabilité et d’un gouvernement technocratique. Le pouvoir oligarchique se nourrit quant à lui du chaos et du démantèlement de la structure administrative de l’État. Et ni l’un ni l’autre ne sont démocratiques.
Le pouvoir des grandes entreprises tout comme celui des oligarques ont pris pour proies la classe politique, les universités et la presse. Tous deux exploitent les citoyens en les appauvrissant et en les privant de tout pouvoir. Tous deux canalisent l’argent vers le haut, en direction de la classe des milliardaires. Tous deux démantèlent les réglementations, détruisent les syndicats, sabrent les services publics au nom de l’austérité, privatisent tous les aspects de la société américaine jusqu'à s'attaquer aux écoles, entretiennent des guerres sans fin, parmi lesquelles le génocide à Gaza, et musèlent des médias qui, s’ils n’étaient pas possédés par des grandes entreprises et des ultra riches, pourraient enquêter et dénoncer le pillage et la corruption de ces derniers.
Ces deux formes de capitalisme étranglent le pays, mais elles le font en recourant à des moyens différents et en poursuivant des objectifs divergents.
Kamala Harris, désignée par les plus riches donateurs du parti démocrate sans avoir reçu un seul vote lors des primaires, est le visage du pouvoir des grandes entreprises. Donald Trump est quant à lui la mascotte bouffonne des oligarques. Telle est la scission au sein de la classe dirigeante. Cette guerre civile au sein du capitalisme se joue sur la scène politique. La population n’est guère plus qu’un accessoire dans une élection où aucun parti ne fera avancer ses intérêts ou ne protégera ses droits.
George Monbiot et Peter Hutchison, dans leur livre « L’Invisible Doctrine : Histoire secrète du néolibéralisme », qualifient le pouvoir des grandes entreprises de « capitalisme bien élevé ». En effet, elles ont besoin de politiques gouvernementales cohérentes et d’accords commerciaux durables parce qu’elles ont fait des investissements qui exigent du temps, parfois des années, pour arriver à maturité. Les industries manufacturières et agricoles sont des exemples de « capitalisme bien élevé ».
Monbiot et Hutchison qualifient le pouvoir oligarchique de « capitalisme des seigneurs de la guerre ». Le capitalisme des seigneurs de la guerre veut l’éradication totale de tout ce qui pourrait faire obstacle à l’accumulation des profits, notamment les réglementations, les lois et les impôts. Il se rémunère en percevant des loyers, en érigeant des péages pour tous les services dont nous avons besoin pour survivre, et en percevant des droits exorbitants.
Les champions politiques du capitalisme des seigneurs de la guerre sont les démagogues de l’extrême droite, parmi lesquels on compte Donald Trump, Boris Johnson, Giorgia Meloni, Narendra Modi, Victor Orban et Marine Le Pen. Ils sèment la discorde en colportant des absurdités, comme la théorie du grand remplacement, et en démantelant les structures qui garantissent la stabilité, comme l’État providence. Cela engendre l’incertitude, la peur et l’insécurité. En nous faisant abandonner encore plus de droits et de libertés civiles, ceux qui orchestrent cette insécurité nous promettent qu’ils nous protégeront d’ennemis fantômes, tels que les immigrés, les musulmans et d’autres groupes diabolisés.
À l’épicentre du capitalisme des seigneurs de la guerre, on trouve les sociétés de capital-investissement. Il s'agit de groupes comme Apollo, Blackstone, Carlyle et Kohlberg Kravis Roberts, qui rachètent et spolient des entreprises. Elles accumulent les dettes, refusent de réinvestir, taillent dans le personnel et conduisent délibérément les entreprises à la faillite. L’objectif n’est pas de soutenir les entreprises, mais de les exploiter pour en récolter les actifs, afin de réaliser des profits à court terme. Les dirigeants de ces sociétés, Leon Black, Henry Kravis, Stephen Schwarzman et David Rubenstein, ont amassé des fortunes personnelles de plusieurs milliards de dollars.
Les partisans de Trump dans la Silicon Valley, Elon Musk en tête, en avaient, comme l’écrit le New York Times, « fini avec les Démocrates, les régulateurs, la stabilité, tout cela. Ils ont préféré opter pour le chaos en roue libre, générateur de fortune, hérité du monde des startups ». Ils prévoyaient d’« implanter des dispositifs dans le cerveau des gens, de remplacer les monnaies nationales par des jetons numériques non régulés [et] de remplacer les états majors par des systèmes d’intelligence artificielle ».
Le milliardaire Peter Thiel, fondateur de PayPal et partisan de Trump, a déclaré la guerre aux « impôts confiscatoires ». Il finance un comité d’action politique anti-impôts et propose la construction de nations qui supprimeraient l’impôt obligatoire sur le revenu.
La milliardaire israélo-américaine Miriam Adelson – veuve du magnat des casinos Sheldon Adelson, dont la fortune nette est estimée à 35 milliards de dollars – a fait un don de 100 millions de dollars à la campagne de Trump. Si Adelson, qui est née et a grandi en Israël, est une fervente sioniste, elle fait également partie du club des oligarques désireux de réduire les impôts des riches, impôts qui ont déjà été réduits par le Congrès, ou diminués grâce à une série d’échappatoires légales.
L’économiste Adam Smith avait prévenu que les revenus de l’économie de rente se devaient d'être lourdement taxés et réinjectés dans un système financier, afin d'éviter l’autodestruction de ce dernier. Le naufrage orchestré par les sociétés de capital-investissement et les oligarques frappe les travailleurs contraints d'accepter des petits boulots ubérisés et de voir disparaître les salaires stables et les avantages sociaux. Les fonds de pension, vidés en raison de frais usuraires ou tout bonnement liquidés, en pâtissent. Notre santé et notre sécurité en subissent les conséquences. Par exemple, les résidents des maisons de retraite qui appartiennent à des sociétés de capital-investissement connaissent 10 % de décès en plus — sans parler des frais plus élevés — en raison du manque de personnel et du non-respect des normes de soins.
Les sociétés de capital-investissement sont une espèce invasive. Elles sont également omniprésentes. Elles ont acquis des établissements d’enseignement, des entreprises de services publics et des chaînes de magasins, tout en saignant les contribuables à hauteur de centaines de milliards en subventions rendues possibles par des procureurs, des politiciens et des régulateurs soudoyés. Ce qui est particulièrement exaspérant, c’est que bon nombre des industries accaparées par les sociétés de capital-investissement — eau, assainissement, réseaux électriques, hôpitaux — ont été financées par des fonds publics. Ils cannibalisent la nation, laissant derrière eux des industries désaffectées et en faillite.
Gretchen Morgenson et Joshua Rosner expliquent les rouages du capital-investissement dans le livre « Voilà les véritables pilleurs : comment les fonds d’investissement privés dirigent et détruisent l’Amérique ». « Régulièrement félicités par la presse financière pour leurs transactions et encensés pour leurs dons “caritatifs”, ces capitalistes débridés ont organisé de coûteuses campagnes de lobbying pour continuer à s’enrichir grâce à des lois fiscales favorables », écrivent-ils :
« Des dons généreux leur ont permis d’accéder à des postes de pouvoir au sein de conseils d’administration de musées et de groupes de réflexion. Ils ont publié des livres consacrés au leadership, dans lesquels ils exaltent “l’importance de l’humilité et de la compassion” au sommet, tout en éviscérant ceux qui sont en bas de l’échelle. Leurs entreprises s’arrangent pour qu’ils ne paient aucun impôt sur les milliards de dollars de gains que leurs actions génèrent.
Et, bien sûr, ils mentionnent rarement que les entreprises qu’ils possèdent sont parmi les plus grands bénéficiaires des investissements gouvernementaux dans les autoroutes, les chemins de fer et les écoles primaires, bénéficiant de subventions massives et de politiques fiscales qui leur permettent de payer des taux d’imposition nettement inférieurs sur leurs bénéfices.
Ces hommes sont les barons voleurs de l’Amérique moderne. Mais à la différence de nombre de leurs prédécesseurs du XIXe siècle, qui ont amassé des richesses stupéfiantes en extrayant les ressources naturelles d’une jeune nation, les barons d’aujourd’hui tirent leur richesse des pauvres et de la classe moyenne par le biais d’opérations financières complexes. »
Les capitalistes « bien élevés » sont représentés par des personnalités politiques comme Joe Biden, Kamala Harris, Barack Obama, Keir Starmer et Emmanuel Macron. Mais le « capitalisme bien élevé » n’en est pas moins destructeur. Il a imposé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), la pire trahison à l’encontre de la classe ouvrière américaine depuis la loi Taft-Hartley de 1947, qui imposait des restrictions draconiennes en matière d’organisation des syndicats. Il a révoqué la loi bancaire de 1933 (Glass-Steagall) qui séparait les banques commerciales des banques d’investissement. C’est ce qui a conduit à l’effondrement financier mondial en 2007 et 2008, et notamment à la faillite de près de 500 banques.
Sous la présidence de Ronald Reagan, il a poussé la Commission fédérale des communications à abroger la doctrine de l’équité puis, sous la présidence de Bill Clinton, la loi sur les télécommunications, ce qui a permis à une poignée d’entreprises de consolider leur contrôle sur les médias. Il a détruit l’ancien système d’aide sociale, dont 70 % des bénéficiaires étaient des enfants. Il a doublé notre population carcérale et militarisé la police.
En délocalisant la production dans des pays comme le Mexique, le Bangladesh et la Chine, où les travailleurs sont exploités dans des ateliers clandestins, il a conduit 30 millions d’Américains à être victimes de licenciements à grande échelle, selon les chiffres compilés par l’Institut du travail. Pendant ce temps, il a accumulé des déficits colossaux — le déficit du budget fédéral a atteint 1 800 milliards de dollars en 2024, la dette nationale totale approchant les 36 000 milliards de dollars — et négligé nos infrastructures de base, notamment les réseaux électriques, les routes, les ponts et les transports publics, tout en dépensant plus pour notre armée que toutes les autres grandes puissances de la planète réunies.
Ces deux formes de capitalisme appartiennent au capitalisme totalitaire, ou ce que le philosophe politique Sheldon Wolin appelle le « totalitarisme inversé ». Dans chacune de ces formes de capitalisme, les droits démocratiques disparaissent. La population est sous surveillance constante. Les syndicats sont démantelés ou affaiblis. Les médias sont au service des puissants et les voix dissidentes sont réduites au silence ou criminalisées. Tout est marchandisé, du monde naturel à nos relations. Les mouvements populaires sont mis hors la loi. L’écocide se poursuit. Le monde politique est devenu un spectacle burlesque.
L’esclavage de la dette et la stagnation des salaires sont les garants à la fois du contrôle politique et de la poursuite de la consolidation des richesses. Les banques et les sociétés financières réduisent en esclavage non seulement les individus, mais aussi les villes, les municipalités, les États et le gouvernement fédéral. La hausse des taux d’intérêt, associée à la baisse des recettes publiques, notamment par le biais de la fiscalité, est conçue comme un outil permettant d’extraire les dernières parcelles de ressources des citoyens, ainsi que du gouvernement.
Lorsque les particuliers, les États ou les agences fédérales ne peuvent plus payer leurs factures — et pour de nombreux Américains, il s’agit souvent de factures médicales —, les actifs sont vendus à des sociétés ou saisis. Les terres, les propriétés et les infrastructures publiques, ainsi que les régimes de retraite, sont privatisées. Les particuliers sont chassés de leur logement et plongés dans une situation de détresse financière et personnelle.
« Le directeur de Goldman Sachs a déclaré que les travailleurs de Goldman Sachs étaient les plus productifs au monde », m’a dit l’économiste Michael Hudson, auteur de Tuer la société hôte : comment les parasites financiers et la dette détruisent l’économie mondiale :
« Voilà pourquoi ils sont payés comme ils le sont. En Amérique, le concept de productivité consiste à diviser le revenu par le travail. Ainsi, si vous êtes Goldman Sachs et que vous vous versez 20 millions de dollars par an en salaire et en primes, on considère que vous avez ajouté 20 millions de dollars au PIB, ce qui est extrêmement productif. Il s’agit donc d’une tautologie. Il s’agit d’un raisonnement en boucle.
La question est donc de savoir si Goldman Sachs, Wall Street et les entreprises pharmaceutiques prédatrices ajoutent réellement un “produit” ou s’ils ne font qu’exploiter d’autres gens. C’est la raison pour laquelle je parle de parasites dans le titre de mon livre. Les gens pensent qu’un parasite se contente de prendre de l’argent, de prélever le sang d’un hôte ou de retirer de l’argent de l’économie. Mais dans la nature, c’est beaucoup plus compliqué.
Le parasite ne peut pas simplement entrer et prendre quelque chose. Tout d’abord, il doit engourdir l’hôte. Il possède une enzyme qui fait que l’hôte ne se rend pas compte de sa présence. Ensuite, ils ont une autre enzyme qui prend le contrôle du cerveau de l’hôte. L’hôte en vient à croire que le parasite fait partie de son propre corps, qu’il fait partie de lui-même et qu’il doit donc être protégé.
C’est en gros ce qu’a fait Wall Street en se dépeignant comme faisant partie de l’économie. Non pas comme quelque chose qui l’entoure, non pas comme un élément extérieur, mais comme une partie qui aide le corps à se développer et à qui on doit en fait la majeure partie de la croissance. Mais en réalité, c’est le parasite qui prend le contrôle de la croissance.
Le résultat en est une inversion de l’économie classique. Adam Smith est mis sens dessus dessous. Selon cette inversion, ce que les économistes classiques considéraient comme improductif – le phénomène de parasitisme – est en fait l’économie réelle. De plus, les parasites sont alors le travail et l’industrie qui se mettent en travers de ce que veut le parasite, à savoir se reproduire, et non aider l’hôte, c’est-à-dire le travail et le capital. »
La « weimarisation » de la classe ouvrière américaine est voulue. Il s’agit de créer un monde de maîtres et de serfs, avec une élite oligarchique et corporative qui a le pouvoir et une population qui n’en a aucun. Et ce ne sont pas seulement nos ressources qui nous sont enlevées. C’est aussi notre liberté. Le marché qui était censé s’autoréguler, comme l’écrit l’économiste Karl Polanyi dans « La grande transformation », débouche immanquablement sur un capitalisme et un système politique mafieux. Tout système qui s’autorégule, prévient Polanyi, conduit à « la démolition de la société ».
Que vous votiez pour Harris ou pour Trump — et je n’ai aucune intention de voter pour un candidat qui soutient le génocide à Gaza — vous votez pour une forme de capitalisme rapace dans les deux cas. Deux formes qui se font face dans une guerre interne au capitalisme, et qui utilisent les polémiques sociétales pour mieux masquer la réalité de cette guerre de pouvoir.
Le comble de l’ironie, c’est que l’avidité incontrôlée des « capitalistes bien élevés » a créé un petit nombre de milliardaires qui sont devenus leur Némésis, les « capitalistes seigneurs de la guerre ». Si nous ne mettons pas fin au pillage, si nous ne rétablissons pas, par des mouvements populaires, le contrôle de l’économie et du système politique, les capitalistes seigneurs de la guerre triompheront. Ils scelleront le néo-féodalisme, tandis que l’attention de la population sera détournée et que la société sera clivée par les pitreries de clowns politico-médiatiques tels que Donald Trump.
Je ne vois rien à l’horizon qui nous permette d’échapper à ce destin.
Trump, pour l’instant, est la figure de proue du capitalisme des seigneurs de la guerre. Mais il ne l’a pas créé ; il ne le contrôle pas et il peut facilement être remplacé. Harris, dont les divagations absurdes peuvent faire passer Biden pour quelqu’un de réfléchi et de cohérent, est le style de costard vide que les technocrates adorent.
À vous de choisir votre poison. Une destruction par le pouvoir des grandes entreprises ou une destruction par celui des oligarques. C’est ce que les deux partis au pouvoir nous proposent en fin de compte.
Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges.
Source : Scheerpost — 18/10/2024