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http://www.zones-subversives.com/2024/10/le-rassemlement-democratique-revolutionnaire.html
Le RDR permet un renouveau politique de la gauche au début de la guerre froide. Ce petit parti s''effondre rapidement. Cependant, le RDR exerce une influence intellectuelle majeure, notamment dans les journaux et les revues. Cette mouvance hétéroclite préfigure le courant de la gauche non communiste qui critique autant le stalinisme que le capitalisme.
L’aventure du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) se révèle brève mais fulgurante. Entre 1948 et 1950, ce parti refuse le campisme de la guerre froide. Il dessine une troisième voie entre l’URSS et le bloc atlantiste. Dans un moment de recomposition politique, le RDR propose une entreprise pour renouveler la gauche. La Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) est considérée comme trop bourgeoise tandis que le Parti communiste français (PCF) apparaît comme trop stalinien. Le RDR doit également affronter les gaullistes du Rassemblement pour le peuple français (RPF).
Le RDR se lance en mars 1848. Il diffuse le journal La Gauche. Des comités locaux émergent à travers le pays. Des réunions publiques doivent permettre de mobiliser les militants, de recruter de nouveaux membres et de diffuser ses prises de position. La lutte contre le colonialisme distingue également le RDR. Ce groupe politique est fondé par des écrivains, des journalistes, des parlementaires et des syndicalistes. Surtout, ce nouveau parti apparaît comme un regroupement d’intellectuels engagés. Jean-Paul Sartre devient un de ses fondateurs. Bastien Amiel propose une histoire sociale du RDR dans le livre La tentation partisane.
Trajectoires militantes
En 1945, les communistes bénéficient du prestige de la Résistance et des victoires militaires décisives de l’URSS. Le PCF prétend représenter la classe ouvrière et s’appuie sur cette légitimité. Son implantation locale lui permet également d’occuper une position politique centrale. Mais le PCF participe à la remise en ordre avec le désarmement des milices patriotiques. Ensuite, les élections permettent de normaliser la lutte pour le pouvoir. En 1947, les grèves à Renault Billancourt débouchent vers la démission des ministres communistes. Le PCF entre dans une posture d’opposition durable au régime de la IVe République.
La revue Les Temps modernes permet de conjuguer la légitimité du philosophe d’avant-garde avec celle de l’intellectuel libre qui intervient dans l’ensemble des débats de l’époque. La littérature dispose d’une « fonction sociale ». Jean-Paul Sartre, fondateur de la revue, affirme que « le mot est donc un véhicule d’idée ». L’art et la littérature ne peuvent que prendre position. La revue Esprit partage une même conception de l’engagement intellectuel.
Une majorité de membres du RDR dispose d’un important capital scolaire et culturel. Beaucoup ont suivi des études supérieures, notamment en Lettres et en Droit. Ce qui détermine leur pratique militante. Certains subissent une socialisation politique avec des familles socialistes. Ils connaissent des expériences de campagnes électorales, de manifestations et de réunions politiques.
L’engagement de militants du RDR s’amorce durant les années 1930. Beaucoup participent aux Jeunesses socialistes, l’organisation de jeunesse de la SFIO. Néanmoins, certains militants trotskistes y militent par entrisme. Ces militants sont familiarisés très jeunes avec le quotidien de l’engagement avec des réunions publiques, des meetings ou des tractages. Cette socialisation permet d’acquérir un sentiment de compétence qui facilite la maîtrise du débat contradictoire et de l’argumentation politique. Certains sont même devenus des cadres des Jeunesses socialistes.
Plus de la moitié des membres du RDR milite au parti socialiste. La SFIO participe surtout à des campagnes électorales. Mais la plupart militent dans l’aile gauche de la SFIO. Certains sont des militants trotskistes qui ont d’abord été exclus du Parti communiste avant de rejoindre les socialistes. Toutefois, ces militants savent s’organiser et s’adapter. Ils acquièrent des dispositions minoritaires.
Diversité politique
En 1948, les professions intellectuelles demeurent surreprésentés au sein du RDR. Les enseignants, les journalistes et les avocats sont particulièrement présents dans le comité directeur. Les enseignants bénéficient d’une importante base syndicale et d’une présence significative au sein de la SFIO. La FEN devient un syndicat autonome qui refuse la logique des deux blocs atlantiste et communiste. L’élite journalistique se renouvelle après l’épuration de 1945. Ce sont les amitiés et les liens politiques qui favorisent l’accès à la profession de journaliste. Les avocats du RDR défendent des individus et des causes, comme celle des indépendantistes algériens.
Des élus et militants de la SFIO participent au RDR et revendiquent une rénovation du parti socialiste. Ils lancent des revues externes à l’organisation, comme La pensée socialiste ou Libertés, pour tenter d’en redéfinir la ligne. Ces cadres socialistes critiquent la « Troisième force » qui repose sur l’alliance de la SFIO et de la démocratie chrétienne. Jean Rous fustige un « centrisme parlementaire et gouvernemental ». Ces militants socialistes critiquent également le colonialisme. Le RDR préfigure la gauche non communiste située aux côtés des peuples colonisés. Mais la SFIO finit par refuser la double appartenance avec le RDR.
L’Action socialiste révolutionnaire (ASR) apparaît comme un courant de la SFIO en 1947 qui s’autonomise progressivement avant de rejoindre le RDR. Yves Dechezelles critique la participation de ministres socialistes au gouvernement Ramadier. Il propose également une unité d’action avec le PCF. L’échec de sa motion face à celle de Guy Mollet provoque la création de l’ASR comme tendance de la SFIO. Mais l’ASR s’éloigne du parti socialiste avec le Jeunesses socialistes. Ces courants se rapprochent des trotskystes du PCI. L’ASR finit par rejoindre le RDR pour construire un programme qui repose sur une unité d’action large, y compris avec le PCF et la CGT.
Le parti trotskyste du PCI reste divisé en diverses tendances qui s’opposent sur le soutien relatif ou l’hostilité à l’égard de l’URSS et du PCF. Les « droitiers » veulent mettre en pratique leur position d’ouverture. Le RDR doit leur permettre de constituer un parti révolutionnaire de masse. « Leurs dispositions à la lutte de fraction, au réinvestissement rapide de leurs ressources dans des espaces fluctuants, leurs dispositions à l’hétéropraxie militante enfin, permettent de mieux comprendre l’investissement des minoritaires dans le RDR », indique Bastien Amiel.
Le journal Franc-tireur est issu de la Résistance. Il regroupe des communistes, des socialistes et même des gaullistes. Mais les clivages de la guerre froide contribuent à diviser la rédaction. Les communistes partent et des journalistes de Franc-tireur participent au RDR. La presse communiste dénigre son rival comme socialiste voire gaulliste. Les catholiques de gauche de la Jeune République rejettent la droitisation du parti démocrate-chrétien et rejoignent le RDR. La revue Esprit de Jean-Marie Domenach participe également au RDR.
Intellectuels engagés
Jean-Paul Sartre participe à la fondation du RDR tandis que des rédacteurs de la revue Les Temps modernes sont adhérents. Sartre est alors une figure majeure du paysage intellectuel. Il dispose d’une importante notoriété comme philosophe mais aussi auteur de romans et de pièces de théâtre. Le RDR permet à Sartre d’investir le champ politique partisan et de ne plus se limiter à un engagement par la seule littérature.
David Rousset rejoint les trotskystes de la Ligue communiste. Il adhère au parti socialiste dans une perspective d’entrisme. Exclu de la SFIO, il participe à la création du Parti ouvrier internationaliste (POI) et milite dans les milieux anticolonialistes. David Rousset est incarcéré en 1943. Il publie des articles sur cette expérience avec « L’Univers concentrationnaire ». Il obtient ainsi une notoriété littéraire. Son ouvrage se situe entre roman et témoignage sur les camps. David Rousset s’appuie sur son capital militant et sur sa position dans le champ culturel pour participer à la création du RDR.
Les pratiques politiques des militants du RDR se rapprochent davantage de celles des milieux intellectuels plutôt que des syndicalistes et des militants ouvriers. Les revues Esprit et Les Temps modernes publient des articles qui portent le point de vue du RDR. Même si ces revues tiennent à afficher une indépendance politique. Ensuite, les militants du RDR interviennent également à travers des conférences. Ce qui reflète les pratiques paternalistes des avant-gardes politiques et intellectuelles.
« Les modalités d’action utilisées et revendiquées sont celles des professions enseignantes et reproduisent la relation asymétrique de la transmission d’un savoir en fonction de la reconnaissance d’une autorité symbolique vers une « masse » supposée plus ou moins ignorante », observe Bastien Amiel. Cette transmission du savoir verticale et autoritaire rejoint le projet de l’éducation populaire. Dans les meetings du RDR, ce sont des intellectuels et des écrivains de réputation internationale qui se succèdent à la tribune. Ils s’expriment sur des sujets politiques en tant que détenteurs de principes universels. Ils affichent une posture surplombante et désintéressée.
Le RDR n’apparaît pas comme un parti politique traditionnel. Cette organisation ne vise pas à obtenir des postes électifs ou à exercer le pouvoir. Mais refuser de se désigner comme un parti apparaît également comme une stratégie de distinction qui vise à récuser les formes d’organisation traditionnelles, concurrentes ou antérieures. Le RDR tente de se démarquer des entreprises rivales. La SFIO est censée défendre la classe ouvrière mais représente dans la pratique une classe bourgeoise.
Le PCF parvient à représenter la classe ouvrière mais apparaît comme un instrument coercitif qui refuse la démocratie. Le RDR tente de représenter la classe ouvrière et une classe moyenne éprouvée par le contexte économique et social. Jean-René Chauvin propose un fonctionnement qui se rapproche de celui d’une organisation partisane. Son texte suggère une structuration du RDR en sections locales. Les militants trotskystes considèrent cette organisation comme la base d’un parti révolutionnaire.
Parti d’intellectuels
Bastien Amiel se penche sur une organisation méconnue mais originale, dans un contexte de débats politiques et intellectuels passionnés. Son livre, issu d’une recherche universitaire, propose une véritable histoire du RDR. Il se penche sur la diversité des trajectoires sociales et politiques de ses militants. Bastien Amiel restitue également le contexte historique avec les débats liés au communisme et à la guerre froide.
Le RDR malgré sa disparition fulgurante imprègne la vie intellectuelle et politique de la seconde partie du XXe siècle. Ce groupuscule reste peu implanté dans la classe ouvrière mais dispose d’une forte influence à travers les journaux et les revues. Le RDR favorise une recomposition de la gauche alors dominée par le PCF. Il ne parvient finalement pas à proposer une alternative concrète et durable mais innerve différents courants de la gauche non communiste.
Les trotskistes considèrent le RDR comme un parti large qui permet de diffuser leurs idées. Ce courant s’attache à critiquer à la fois le capitalisme occidental et l’URSS. Les trotskistes tentent également de disputer le monopole stalinien dans les syndicats et les mouvements sociaux. Néanmoins, ce courant conserve un attachement à une pureté idéologique qui débouche davantage vers la multiplication de groupuscules plutôt que vers une unité des luttes à la base.
Surtout, le RDR ne peut pas devenir une véritable organisation révolutionnaire de masse. Ce parti préfigure davantage les courants des cathos de gauche. Sa composition sociale et ses positions politiques peuvent ensuite favoriser l’émergence d’une force comme le Parti socialistes unifié (PSU). Cette gauche non communiste s’oppose au colonialisme et critique autant le capitalisme que le stalinisme. Néanmoins, le PSU peut s’appuyer sur un syndicat comme la CFDT et sur la dynamique des luttes des années 1968.
La faiblesse du RDR apparaît sa composition sociale. Ce parti regroupe surtout des intellectuels et reste peu implanté dans la classe ouvrière et les entreprises. Le RDR peut difficilement rivaliser avec le PCF. Ensuite, malgré la brèche ouverte par la grève de Renault-Billancourt en 1947, le RDR ne peut pas s’appuyer sur des luttes sociales majeures. Le mouvement ouvrier subit alors le verrou stalinien avec des grèves contrôlées par la CGT.Ensuite, contrairement au groupe Socialisme ou barbarie, le RDR privilégie les positionnements idéologiques plutôt que l’analyse des luttes sociales.
Le RDR ne tente pas s’appuyer sur les pratiques d’auto-organisation et d’action directe qui brisent le carcan stalinien et préfigurent les luttes des années 1968. Le RDR évoque surtout les questions internationales et les grands débats intellectuels plutôt que les préoccupations quotidiennes du prolétariat et les conditions de travail. Le RDR s’enferme également dans une posture surplombante avec la conférence comme mode d’action privilégié. Malgré les velléités des militants trotskystes, le RDR ne parvient pas à intervenir dans le monde du travail et encore moins à impulser des luttes et des grèves.
Source : Bastien Amiel, La tentation partisane. Engagements intellectuels au seuil de la guerre froide, CNRS Éditions, 2023
Articles liés :
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L'aventure du groupe Socialisme ou barbarie
Le PSU et les luttes des années 1968
Pour aller plus loin :
Vidéo : LE RDR, avec Jean-Paul Sartre, 1948-1949, diffusée sur le site Images et Archives de militants le 2 octobre 2018
Vidéo : Michel Contat, L'héritage politique de Sartre - le Rassemblement Démocratique Révolutionnaire, diffusée sur le site de l'École Normale Supérieure le 7 juin 2013
Bastien Amiel, Le par(t)i du RDR : un intellectuel collectif dans le champ politique, publié sur le site de la revue Contretemps le 7 juillet 2023
Bastien Amiel, « Faire exister un intellectuel collectif dans le champ politique », publié dans la revue Biens Symboliques n°8 en 2021
Bastien Amiel, « Faire exister un intellectuel collectif dans le champ politique », publié dans la revue Biens Symboliques n°8 en 2021
Erwan Caulet, Note de lecture publiée sur le site Lectures le 6 octobre 2023
Anne Mathieu, Note de lecture publiée dans le journal Le Monde diplomatique en décembre 2023
Rubrique Rassemblement démocratique révolutionnaire publiée sur Le site de Nedjib Sidi Moussa
Quelques documents sur le R.D.R., publié sur le site Images et Archives de militants le 15 novembre 2018