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    Pour un antiracisme socialiste : "Mon Antiracisme" de Kévin Boucaud-Victoire

    Lien publiée le 19 avril 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://comptoir.org/2025/04/17/pour-un-antiracisme-socialiste-mon-antiracisme-de-kevin-boucaud-victoire-extraits/

    Rédacteur en chef de la rubrique débat et idées de « Marianne » et co-fondateur du « Comptoir », Kévin Boucaud-Victoire publie  son sixième livre « Mon antiracisme » (Éditions Desclée de Brouwer). S’appuyant sur les Black panthers Bobby Seale et Huey P. Newton, C. L. R. James, ou encore Frantz Fanon, il y développe un antiracisme radical et anticapitaliste, dont la lutte des classes et l’universalisme sont les piliers.

    Pour résumer, si le colonialisme a inventé le racisme, c’est-à-dire la hiérarchisation biologique selon l’origine, il est impossible de lui imputer tout le racisme contemporain. Surtout que le racisme au sens fort du terme a énormément reculé en France, au point de devenir marginal. Nous voyons néanmoins monter une forme d’ethnophobie, c’est-à-dire de rejet identitaire, aux ressorts plus culturels, largement lié à l’émergence du néolibéralisme mondialisé, c’est-à-dire au capitalisme tel qu’il a commencé à se transformer dans les années 1970, et à la “société liquide” qu’il a engendrée.

    Certes, le capitalisme, contrairement au régime colonial, ne repose pas sur l’inégalité raciale ou ethnique. Les discriminations lui posent même des problèmes en matière d’efficacité. Il faut néanmoins reconnaître qu’il est – indirectement – responsable de ce qu’il se passe. L’antiracisme, qui englobe la lutte contre la xénophobie et celle contre l’ethnophobie, reste donc nécessaire. Nous avons vu que, malheureusement, les deux antiracismes dominants, libéral comme identitaire, mènent à des impasses. Mais l’antiracisme ne se résume, bien heureusement, pas à ces deux propositions.

    « Universalisme et lutte des classes ont bien pour but de bâtir un front commun entre les travailleurs, les classes subalternes, les oppressés. »

    Un antiracisme socialiste, qui rejoint l’antiracisme libéral dans sa perspective universaliste et l’antiracisme identitaire dans sa volonté affichée de lier combats politiques et classes populaires est possible et souhaitable. À une époque pas si reculée, cette solution se serait imposée d’elle-même, mais comme le constate Jean-Loup Amselle, « l’essor du multiculturalisme, en France et plus largement en Europe, a pour corrélat le déclin du social et l’abandon de l’universalisme. Alors que, jusque dans les années 1970, le logiciel de la gauche et de l’extrême gauche tournait autour du marxisme et de la lutte des classes, le postmodernisme, la nouvelle philosophie et l’antitotalitarisme ont lentement mais sûrement sapé les fondements de cette doctrine »1. Il ne s’agirait donc finalement que de retrouver ce qui a longtemps fait la gauche, en l’adaptant aux nouveaux enjeux et corrigeant certaines faiblesses. Mais avant tout, qu’est-ce que le socialisme?

    Pierre Leroux (1797-1871)

    Ce terme a désigné des doctrines et des réalités très différentes depuis qu’il a été forgé par Pierre Leroux au début du XIXe siècle. Dans leur Histoire globale des socialismes. XIXe-XXIe siècle, Jean-Numa Ducange, Razmig Keucheyan et Stéphanie Roza relèvent que : « Il est une caractéristique qui définit le socialisme partout et toujours : la centralité de la question sociale, l’analyse des sociétés modernes en termes de classes et de leur lutte pour l’appropriation des ressources matérielles et symboliques . » 2

    J’ajouterais aussi la volonté de créer une société sans classe, même si celle-ci peut prendre des contours très différents. Le socialisme peut être autoritaire ou libertaire, réformiste ou révolutionnaire, avec plusieurs nuances au sein de ces oppositions. Il n’est pas question ici d’entrer dans ces débats, même si ma sympathie va aux différents socialismes libertaires et que je préfère la radicalité. Quoi qu’il en soit, l’idée est de défendre ici un antiracisme qui s’appuie sur la lutte des classes3 et l’universalisme.

    […]

    Bâtir un front commun

    Universalisme et lutte des classes ont bien pour but de bâtir un front commun entre les travailleurs, les classes subalternes4, les oppressés. Les minorités ethniques appartiennent très majoritairement, mais pas exclusivement, aux classes populaires ou laborieuses. Ces dernières comptent le nouveau précariat5, ce qu’il reste du vieux prolétariat ouvrier, le « back office de la société des services »6, des petits fonctionnaires, le monde agricole et paysan et le bas de la “classe moyenne” déclassée7. La raison principale est que ces minorités sont, en grande partie, issues de l’immigration postcoloniale, pauvre et faiblement dotée en capital. Or, comme le rappelle Frédéric Lordon, « indépendamment des rapports de race et de genre, quoique potentialisables par eux », les « trappes à pauvreté-précarité » ont tendance à se maintenir, « reproduction d’ailleurs générationnelle où les conditions initiales interdisent statistiquement les trajectoires d’extraction »8.

    « Cela exige de mobiliser deux types de classes populaires, celles de la France périphérique et celles des banlieues, aujourd’hui fracturées par des questions culturelles et éclatées politiquement. »

    George Orwell (1903-1950)

    Il s’agit, dès lors, comme l’avait perçu l’écrivain anglais George Orwell, de rassembler « tous ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer à payer »9, « ce qui revient à dire que le petit actionnaire doit tendre la main au manœuvre d’usine, la dactylo au mineur de fond, le maître d’école au mécano »10.

    Ou, dit autrement, il convient, comme l’a entrevu Jean-Claude Michéa, de trouver « un nouveau langage commun susceptible d’être compris – et accepté – aussi bien par des travailleurs salariés que par des travailleurs indépendants, par des salariés de la fonction publique que par des salariés du secteur privé, et par des travailleurs indigènes que par des travailleurs immigrés »11.

    Cela exige de mobiliser deux types de classes populaires, celles de la France périphérique et celles des banlieues, « les bourgs et les tours », comme dirait le journaliste-député François Ruffin, ou « les beaufs et les barbares », comme les nomme Houria Bouteldja12, aujourd’hui fracturées par des questions culturelles et éclatées politiquement entre la France insoumise et le Rassemblement national13.

    Nos Desserts :

    Notes :

    1. Jean-Loup Amselle, L’ethnicisation de la France, op. cit., p. 25-26.
    2. Jean-Numa Ducange, Razmig Keucheyan et Stéphanie Roza (dir.), Histoire globale des socialismes. XIXe-XXIe siècle, PUF, 2021, p. 12.
    3. Pierre Leroux, qui introduit cette théorie dans le socialisme, en 1832, explique : « La lutte actuelle des prolétaires contre la bourgeoisie est la lutte de ceux qui ne possèdent pas les instruments de travail contre ceux qui les possèdent » (Revue encyclopédique).
    4. Qu’on pourrait aussi nommer “classes populaires” ou “classes laborieuses”. Cette dernière expression est privilégiée par Selim Derkaoui et Nicolas Framont, car elle est plus proche de la phraséologie marxiste et rappelle la condition de “travailleurs”. Voir Selim Derkaoui et Nicolas Framont, La guerre des mots. Combattre le discours politco-médiatique de la bourgeoisie, Le Passager clandestin, 2020.
    5. Qui peut néanmoins s’apparenter, au moins dans une large part à un nouveau lumpenprolétariat (“sous-prolétariat”). Même si une partie de ce précariat est composée d’intellos précaires, petits bourgeois déclassés des pôles urbains, qui possèdent du capital culturel.
    6. Voir Denis Maillard, Tenir la promesse faite au Tiers État. Quelle reconnaissance pour les travailleurs invisibles ?, éditions de L’Observatoire, coll. « Et après ? », 2020.
    7. Pour le philosophe marxiste Michel Clouscard, la classe moyenne désigne l’ensemble des « catégories sociales qui subissent à la fois la confiscation de la plus-value en tant que producteurs et l’injonction de consommation en tant que consommateurs » (Les métamorphoses de la lutte des classes, Le Temps des Cerises, 1996). Il s’agit donc que des travailleurs jouissent de suffisamment de confort pour consommer et permettre au capitalisme de survivre.
    8. Frédéric Lordon, Figures du communisme, op. cit., p. 231.
    9. George Orwell, Le Quai de Wigan [1937], Ivrea, 1995, p. 256.
    10. Ibid.
    11. Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche. De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Flammarion, coll. « Climats », 2013, p. 58.
    12. Houria Bouteldja, Beaufs et barbares. Le pari du nous, La fabrique, 2023. Même si, comme nous l’avons vu, son horizon ethnoracial mène à une impasse, voire pourrait aggraver les choses. Sur cet ouvrage, voir Kévin Boucaud-Victoire, « Soral, obsession de la race et faux marxisme : on a lu “Beaufs et barbares” d’Houria Bouteldja », Marianne, 10 mars 2023.
    13. Sans oublier le fort taux d’abstention.

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    Kevin Boucaud-Victoire sur Sud Radio