Agenda militant
Ailleurs sur le Web
![S’abonner au flux RSS [RSS]](images/rss.jpg)
- Des socialistes révolutionnaires iraniens s’expriment contre la guerre (19/06)
- L’espérance israélienne d’une révolte populaire en Iran (19/06)
- F. Borgarello, L. Baronian, T. Terranova : "Relire Empire aujourd’hui" (19/06)
- Conférence de Mélenchon sur la situation géopolitique au Proche-Orient (18/06)
- Iran-Israël : Agissez pour la paix, ou démissionnez ! - Alma Dufour (18/06)
- Alain Gresh : Offensive contre l’Iran. Israël plonge le Proche-Orient dans le chaos (18/06)
- Gilbert Achcar et le génocide annoncé à Gaza (18/06)
- Révolution et philosophie de l’histoire. Entretien avec Frédéric Monferrand (18/06)
- ArcelorMittal : une autre nationalisation est possible (18/06)
- Iran, retraites, PS : Manuel Bompard, invité de RTL (18/06)
- Flotille, marche et dockers pour Gaza. Un changement ? (18/06)
- Israël et l’Iran : une guerre sans retour pour l’État colonial (18/06)
- Abandonnés par le Labour, les syndiqués britanniques tentés par Farage (18/06)
- Samuel Bouron : « Les groupes identitaires sont un vivier pour le RN » (17/06)
- Ce que dit aussi la Cour des comptes sur la Sécurité sociale (17/06)
- Le capital fictif est vraiment fictif (17/06)
- Entretien avec Yohann Douet sur Gramsci (15/06)
- Les véritables causes de la fin de l’alliance énergétique Europe-Russie (15/06)
- Trump et le fascisme historique. Nous devons affronter la réalité ! (15/06)
- Flottille pour Gaza : la hargne de l’éditocratie (15/06)
- Le rap et la cause palestinienne (14/06)
- L’Égypte arrête et expulse des dizaines de militants avant la Marche mondiale vers Gaza (14/06)
- Gaza : la faillite morale de l’Occident », avec Taoufiq Tahani, Alma Dufour et Véronique Bontemps (14/06)
- Aurélien Bernier sur l’Union européenne (Elucid) (14/06)
- L’interview événement de Rima Hassan sur Radio Nova (14/06)
1914-2025. La marche à la guerre et l’internationalisme révolutionnaire
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Guerre commerciale, course au militarisme, guerre aux portes de l’Europe... Comme un air des années pré-1914. L’analogie éclaire la situation présente et appelle à un nouvel internationalisme révolutionnaire.
En 2013, en plein succès de librairie de son livre Les Somnambules. Comment l’Europe a marché à la guerre, l’historien Christopher Clarke formulait l’hypothèse d’une « modernité brutale de la crise de l’été 1914 pour les lecteurs du XXIe siècle ». Dix ans plus tard, le tournant militariste de l’Union européenne lui donne raison et l’analogie semble s’être imposée [1].
Si « 1914 rime avec aujourd’hui », c’est d’abord par le jeu des contradictions qui travaillent la scène internationale. Aiguisement des tensions géopolitiques, course à l’armement, guerre commerciale, multiplication des conflits régionaux : autant d’ingrédients qui rappellent ceux qui ont précipité la Grande Guerre. Rythmées par des bras de fer diplomatiques, des menaces de guerre et des accords entre puissances rivales pour le partage du monde, les années 1910 sont aussi celles du déclin de l’empire britannique et de la consolidation de nouveaux prétendants sur l’arène mondiale. Un siècle plus tard, c’est l’ordre mondial sous hégémonie nord-américaine, hérité de la contre-révolution néolibérale et de la restauration capitaliste en ex-URSS et en Chine, qui subit de profonds bouleversements. Ce qui se joue derrière le conflit sino-américain, la guerre en Ukraine ou le génocide à Gaza, ce ne sont pas des conflits isolés, mais l’effondrement de l’ordre issu de la restauration bourgeoise [2], en l’absence de tout remplaçant en vue. Le nouveau mandat de Donald Trump et la montée des forces réactionnaires apparaissent moins comme des causes que comme les symptômes morbides de ce nouvel interrègne [3].
Pour celles et ceux qui s’interrogent sur la façon d’enrayer cette marche funèbre, l’analogie éclaire aussi les rythmes et le temps qui nous séparent d’une éventuelle troisième guerre mondiale. Et fait apparaître plusieurs contradictions, nourries par les politiques néolibérales, sur le chemin de la militarisation généralisée des sociétés : capacité industrielles insuffisantes, difficultés de recrutement dans des armées de métier numériquement réduites, climat idéologique peu propice à la mobilisation générale, difficultés financières des États, retour de la lutte des classes de ces dernières années, etc. Au début du XXe siècle aussi, les États européens ont dû surmonter des obstacles. Parmi eux, l’existence d’une force antimilitariste de masse et de partis socialistes européens puissants et opposés à la guerre. En 1907, la Deuxième Internationale menaçait de transformer la crise économique et politique que susciterait une guerre européenne en offensive contre la domination capitaliste et organisait, en 1912, une campagne de meetings et de manifestations antimilitaristes dans toute l’Europe. Pourtant, en août 1914 à l’heure où la guerre éclate, la majorité des organisations socialistes votent les crédits de guerre et troquent leurs mots d’ordre de grève générale contre la guerre pour ceux de l’Union sacrée.
Comment expliquer si brutal retournement ? Conscients que l’adhésion des populations est une donnée clé pour imposer la guerre, les gouvernements européens multiplient pressions et attentions pour s’assurer de la loyauté des chefs socialistes. Des entretiens secrets s’organisent, en Allemagne, entre le chancelier et la droite du parti socialiste allemand ; en France, le ministère de l’Intérieur suspend l’utilisation du Carnet B qui consignait la liste des militants ouvriers à arrêter immédiatement en cas de guerre. Mais ce volte-face spectaculaire est aussi le reflet de l’impréparation politique de la Deuxième Internationale dans un monde alors en plein bouleversement. Et montre qu’un internationalisme pacifiste et sentimental ne suffit pas pour construire une politique conséquente face à la guerre. Les discussions théoriques et politique qui, avant 1914, divisaient les partis socialistes (comment caractériser l’impérialisme et les conflits régionaux en cours ; quelle politique mener dans le cas où la guerre se développe ; quel programme face au militarisme de sa propre bourgeoisie ; quelle attitude vis-à-vis du colonialisme, etc.) se sont transformées en désaccords pratiques de première importance lorsqu’il a fallu résoudre concrètement la question de savoir quelle politique mener face à l’entrée en guerre. Et s’il existait une tendance internationaliste et révolutionnaire au sein de la Deuxième Internationale, celle-ci s’est retrouvée paralysée par la trahison de l’aile opportuniste à l’été 1914.
Pour les militants révolutionnaires, cette histoire invite à ne pas sous-estimer les « batailles préparatoires » dans la construction d’un pôle internationaliste conséquent et capable, le moment venu, de bousculer des situations politiques difficiles. Or, par contraste, l’analogie avec 1914 met surtout en lumière l’extrême faiblesse des forces internationalistes qui sont aujourd’hui mille fois moins préparées qu’elles ne l’étaient avant la Première Guerre mondiale. Non seulement il n’existe pas d’Internationale de masse ou de parti révolutionnaire en France ni ailleurs en Europe, mais les idées internationaliste elles-mêmes semblent réduites à peau de chagrin. La gauche n’a d’ailleurs pas attendu une conflagration mondiale pour reprendre la propagande militariste du gouvernement français et des médias [4]. Le PS a réaffirmé son soutien aux plans de réarmement massif de Macron et d’Ursula von der Leyen et plaide pour raviver le patriotisme des classes populaires ; les Verts ont définitivement liquidé l’héritage antimilitariste des année 1970 et défendent un militarisme vert et l’écologie de guerre ; Ruffin met en garde contre la casse sociale pour mieux favoriser l’unité nationale autour de la guerre [5]. La CGT, elle, défend la mise en place d’une cellule de crise avec le patronat et un protectionnisme contre la guerre commerciale. En mars, Mediapart se réjouissait d’une gauche qui, de EELV au NPA-L’Anticapitaliste, « change son fusil d’épaule » pour soutenir le camp démocratique de l’impérialisme (celui de l’UE et de l’OTAN) contre « les grandes puissances adversaires des démocraties libérales ». En août 1914, les partis socialistes français rallient le militarisme français au nom de la tradition démocratique et révolutionnaire de la République opposée au « militarisme prussien », aujourd’hui, au nom de la « souveraineté stratégique » de l’Europe, de la « défense de l’Ukraine » ou de la lutte contre la « menace russe » et l’axe Trump-Poutine. Dans ce contexte, La France insoumise tranche par ses discours en faveur de la paix. Mais son programme cherche moins à stopper la dynamique en cours qu’à y opposer une nouvelle voie d’affirmation de l’Etat français comme puissance impérialiste autonome. Il ne remet d’ailleurs pas en cause la hausse des budgets militaires, et souscrit totalement à la doctrine de la « dissuasion » nucléaire [6].
Pourtant, si l’essoufflement de l’hégémonie néolibérale favorise l’émergence des nouvelles extrêmes droites et la marche à la guerre, la situation politique internationale est loin d’être univoque [7]. Le mouvement de solidarité pour le peuple palestinien victime de génocide, plus grand mouvement international depuis l’opposition à la guerre du Vietnam, et le réveil de la classe ouvrière aux États Unis, en France ou au Myanmar, ont montré, ces dernières années, que les internationalistes ne sont pas condamnés à rêver seuls. A rebours des gauches démoralisées qui justifient leurs politiques de moindre-mal et d’alliances avec la bourgeoisie libérale au nom de la lutte contre le fascisme, il est possible de reconstruire une force internationaliste indépendante et révolutionnaire. Une force qui soit capable d’analyser correctement les tendances de la situation, d’y répondre sur le terrain des actions de masses et de la lutte des classes, mais aussi de résister aux pressions du régime et à la répression. Le meeting organisé par Révolution Permanente contre la guerre et le militarisme le 24 mai prochain est un premier point de ralliement pour celles et ceux qui n’ont pas renoncé à cette idée : « l’ennemi principal est dans notre pays ».
NOTES DE BAS DE PAGE
[1] L’ex-secrétaire d’Etat étasunien Henry Kissinger déclarait en 2022 : « Un aspect curieux de cette guerre est qu’elle ressemble presque à la Première Guerre mondiale », 8 Juillet 2022.
[2] Emilio Albamonte et Matias Maiello, « Les limites de la restauration bourgeoise », 3 novembre 2011, disponible ici.
[3] Claudia Cinatti, « Les coordonnées d’une nouvelle période dans la situation mondiale », Révolution Permanente, 22 mars 2025, disponible ici.
[4] Voir Mathias Reymond, « Les médias et la guerre », RP Dimanche, avril 2025, disponible ici.
[5] Voir par exemple Roxane Sinigaglia, « Faure, Tondelier, Ruffin : la gauche soutient la guerre si elle est "financée par les riches" », Révolution Permanente, 6 mars 2025, disponible ici.
[6] Sur ce point, voir notamment Paul Morao, « Pacifistes mais pas trop. La France insoumise et la guerre », Révolution Permanente, 03 mars 2024, disponible ici et Julien Anchaing, « La France insoumise est-elle vraiment un frein à la militarisation ? », RP Dimanche, avril 2025, disponible ici.
[7] Claudia Cinatti, « Les coordonnées d’une nouvelle période dans la situation mondiale », art. cité.