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    La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine

    Trump

    Lien publiée le 14 août 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine (I) – A l'encontre

    Par Ashley Smith

    L’administration Trump a porté un coup de massue à l’ordre international et national existant. Tous les dégâts causés peuvent sembler n’être qu’une opération cynique de destruction et de pillage orchestrée par Donald Trump et ses acolytes capitalistes. C’est le cas, mais ce n’est pas tout.

    Le noyau rationnel du projet de Trump est exposé par la Heritage Foundation dans ses documents Mandate for Leadership et The Prioritization Imperative: A Strategy to Defend America’s Interests in a More Dangerous World. Ces documents lui ont fourni un plan directeur pour mettre en œuvre une stratégie nationaliste autoritaire visant à réaffirmer la domination des Etats-Unis dans le capitalisme international.

    Trump abandonne le projet post-guerre froide de Washington, qui consistait à superviser un ordre néolibéral de mondialisation du libre-échange. Au lieu de cela, il tente d’atteindre son objectif maintes fois répété de «rendre sa grandeur à l’Amérique» en faisant passer «l’Amérique d’abord» avant ses amis comme ses ennemis. Il déclasse ou abandonne les institutions multilatérales, impose des droits de douane à de nombreux pays et menace d’annexer le Groenland, le Panama et même le Canada.

    Bien que beaucoup plus cohérente que Trump 1.0, l’administration Trump 2.0 reste déchirée par des conflits, dont le meilleur exemple est la rupture apocalyptique de la mauvaise «bromance» entre le président et Elon Musk au sujet du «Big Beautiful Bill». C’est l’une des nombreuses scissions, parmi lesquelles la bataille de Trump contre la Federalist Society [organisation conservatrice et libertarienne prônant une interprétation originaliste de la Constitution, soit comme elle semblait être comprise en 1787], qui a contribué à remplir les tribunaux de juges favorables à l’administration, pour son soutien à la décision de la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale contre sa capacité à imposer des droits de douane. Une autre scission, plus importante, oppose Trump à sa base MAGA au sujet de la publication de la liste des clients de Jeffrey Epstein, avec lesquels il se livrait à un trafic de femmes et de jeunes filles.

    Malgré tout le chaos, la confusion et les luttes factionnelles, l’administration Trump est unie derrière un même projet: l’escalade de la rivalité impériale de Washington avec la Chine.

    Mandate for Leadership de la Heritage Foundation qualifie la Chine d’«ennemi totalitaire des Etats-Unis, et non de partenaire stratégique ou un concurrent loyal». L’administration tente de se désengager des guerres en Ukraine et à Gaza, d’obliger ses alliés à assumer la responsabilité de leur propre sécurité et de se libérer ainsi pour donner la priorité à sa rivalité avec Pékin.

    En réponse, la Chine a clairement fait part de sa détermination à affronter les Etats-Unis dans la guerre commerciale, ainsi que face à leurs menaces géopolitiques et leur renforcement militaire en Asie. Face à une telle opposition de Pékin, Trump a renoncé à ses mesures les plus extrêmes, assouplissant par exemple les restrictions sur les exportations de puces informatiques de Nvidia et réduisant les droits de douane sans précédent qu’il avait initialement imposés [Nvidia est prêt à payer 15% au gouvernement américain de ses revenus d’exportation en Chine, un marché clé, The Guardian, 11 août] .

    Mais la concurrence croissante entre les deux puissances perturbera ces mesures temporaires. Alors que leur rivalité interimpérialiste risque de s’envenimer, la gauche doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour construire une solidarité internationale afin d’empêcher que ce conflit ne déclenche une guerre catastrophique entre puissances nucléaires.

    Les racines capitalistes de la rivalité impérialiste

    Soyons clairs, cette rivalité n’est pas le résultat des politiques des administrations Trump ou Biden, ni de celles du régime de Xi Jinping en Chine. Elle est le produit des lois du capitalisme, à savoir le développement inégal et combiné, les crises et la concurrence entre les Etats pour le partage et le repartage du marché mondial au profit de leurs entreprises.

    Cette concurrence économique pousse les Etats vers la rivalité géopolitique et la guerre. Le résultat de ces conflits crée une hiérarchie dynamique des Etats, avec les puissances impérialistes au sommet, les puissances régionales au milieu et les nations et peuples opprimés au bas de l’échelle. Tous ces Etats capitalistes sont déchirés par des divisions sociales et de classe internes.

    Aucun ordre entre les Etats n’est permanent. Les périodes d’expansion, de récession, de rivalités, de guerres et de luttes internes du système bouleversent et remanient le système des relations interétatiques, avec le déclin des puissances établies et la montée en puissance de nouvelles puissances. Nous avons assisté à une succession d’ordres impérialistes au cours du siècle dernier: la période coloniale multipolaire du XIXe siècle, les deux guerres mondiales, la guerre froide bipolaire et l’hégémonie sans rivale de Washington après l’effondrement de l’Union soviétique.

    Les Etats-Unis espéraient maintenir cet ordre unipolaire en intégrant tous les Etats dans leur «ordre fondé sur des règles» de mondialisation du libre-échange. Ils ont tenté de bloquer la montée de tout concurrent potentiel, de démanteler tout «Etat voyou» comme l’Irak et de contrôler les Etats déstabilisés par les politiques néolibérales et les interventions de Washington, comme Haïti.

    Le déclin relatif de l’impérialisme américain

    Quatre événements ont conduit au déclin relatif des Etats-Unis et à la fin de l’ordre unipolaire. Tout d’abord, le boom néolibéral du début des années 1980 jusqu’à la grande récession de 2008 a entraîné l’émergence de nouveaux centres d’accumulation du capital, notamment la Chine, mais aussi la Russie, le Brésil, l’Arabie saoudite et bien d’autres.

    Deuxièmement, la tentative de Washington de consolider son hégémonie sur le Moyen-Orient et ses réserves énergétiques par le biais de ses guerres en Afghanistan et en Irak s’est soldée par une défaite désastreuse, le contraignant à se livrer à des occupations brutales et à des opérations de contre-insurrection. Washington étant enlisé, la Chine, la Russie et diverses puissances régionales sont devenues de plus en plus affirmées dans le système interétatique.

    Troisièmement, la Grande Récession a mis fin au boom néolibéral, ouvrant la voie à une période de marasme mondial marquée par une alternance de récessions et de reprises timides. La croissance atone et la baisse des taux de profit ont poussé les Etats à protéger leurs propres entreprises, ralentissant le commerce mondial et exacerbant les rivalités géopolitiques.

    Enfin, la pandémie, la perturbation des chaînes d’approvisionnement internationales et la récession qui l’a accompagnée ont mis en évidence le déclin relatif de Washington, ainsi que sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Ensemble, ces développements ont donné naissance à l’ordre multipolaire asymétrique actuel.

    Les Etats-Unis restent au sommet du système avec la plus grande économie et la plus grande puissance militaire, ainsi qu’une influence géopolitique sans pareille, mais ils sont désormais confrontés à des rivaux impérialistes, notamment la Chine, mais aussi la Russie. A cela s’ajoute une multitude de puissances régionales qui se disputent entre elles et les grandes puissances le contrôle sur les pays et les peuples opprimés/exploités.

    Aucune des puissances impérialistes n’étant en mesure de surmonter la crise mondiale, les élites dirigeantes de chacune d’entre elles se sont tournées vers l’austérité et la répression autoritaire de la contestation à l’intérieur de leurs frontières, ainsi que vers des politiques de protectionnisme et de dumping à l’étranger.

    Dans ce nouvel ordre, la rivalité principale oppose les Etats-Unis et la Chine. Ces deux pays étaient des partenaires stratégiques dont les économies étaient de plus en plus intégrées à l’apogée de la mondialisation néolibérale sous l’administration Clinton [1993-2001]. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

    Aujourd’hui, la Chine est le plus grand producteur industriel du monde. Elle exerce une influence géopolitique croissante et dispose de la capacité de faire respecter sa volonté grâce à la deuxième armée la plus importante du monde. Washington considère désormais la Chine comme un concurrent potentiel qu’il doit contenir. En conséquence, les deux puissances sont en désaccord sur tout, de l’économie à la géopolitique en passant par l’expansion militaire, en particulier dans la région Asie-Pacifique.

    Le nouveau consensus de Washington

    Dans cet ordre mondial multipolaire asymétrique, les administrations américaines successives ont abandonné l’ancienne stratégie de superintendance du capitalisme mondial pour adopter le nouveau consensus de Washington, qui prévoit un conflit entre grandes puissances avec la Chine. Jusqu’à la dernière décennie, les Etats-Unis avaient poursuivi une stratégie de «con-gagement» [containment et engagement] avec Pékin, combinant endiguement et collaboration. Le pivot vers l’Asie [novembre 2011] de l’administration Obama a été son dernier sursaut.

    La première administration Trump [2016-2020] a résolument réorienté la grande stratégie des Etats-Unis vers une rivalité avec la Chine et la Russie. Elle visait à dévaloriser les alliances multilatérales au profit d’une affirmation unilatérale de la puissance américaine, en interdisant les exportations de haute technologie vers la Chine, en imposant des droits de douane pour réindustrialiser les Etats-Unis, en augmentant le budget militaire et en réorientant les forces armées vers l’Asie.

    Mais les revirements erratiques de Trump, les profondes divisions internes de son administration et l’opposition de la bureaucratie d’Etat ont entravé la mise en œuvre de cette nouvelle approche. En fin de compte, il a accéléré le déclin relatif de Washington et, selon les termes de deux responsables de l’administration Obama [Robert Malley et Philip H. Gordon], il a réussi à «enhardir la Chine, inquiéter l’Europe et laisser tous les alliés et ennemis des Etats-Unis s’interroger sur la durabilité de nos engagements et la crédibilité de nos menaces» (New York Times, 11 novembre 2020).

    L’administration Biden a maintenu l’accent mis par Trump sur la rivalité entre les grandes puissances avec la Chine et la Russie, mais a remplacé l’approche «America First» de son prédécesseur par un «multilatéralisme musclé». Elle visait à rénover le capitalisme américain en mettant en œuvre une nouvelle politique industrielle dans le domaine des hautes technologies, à maintenir le régime tarifaire de Trump avec une barrière élevée autour d’un petit périmètre de technologies stratégiques afin de bloquer les progrès de la Chine, en particulier dans le domaine des microprocesseurs avancés, et à reconstruire et élargir les alliances de Washington, en les retournant contre Pékin et Moscou.

    Après le retrait chaotique des Etats-Unis d’Afghanistan en 2021, l’administration Biden a exploité l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie pour rallier ses alliés, non seulement contre Moscou, mais aussi contre Pékin. Elle a convaincu l’OTAN de déclarer que la Chine représentait un défi mondial pour la sécurité.

    Mais Biden a fondamentalement sapé ses prétentions moralisatrices selon lesquelles les Etats-Unis défendaient leur soi-disant ordre international fondé sur des règles en soutenant la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza. Cela a permis à la Chine et à la Russie de dénoncer l’hypocrisie de Washington et de rallier d’autres Etats autour d’eux sous la bannière de la «multipolarité».

    Néanmoins, personne ne doit se faire d’illusions sur le fait que Pékin ou Moscou seraient des alliés d’un mouvement de libération de la Palestine. Dans le cas de la Chine, malgré son opposition rhétorique au génocide israélien, elle est le deuxième partenaire commercial d’Israël, son groupe portuaire public Shanghai International Port Group a construit et exploite le port de Haïfa, impliquant un investissement de 1,7 milliard de dollars, une autre de ses entreprises construit le réseau de tramway de Tel-Aviv, et une autre, Hikvision, vend à Israël des technologies de surveillance pour contrôler les Palestiniens en Cisjordanie.

    Xi redonne sa grandeur à la Chine

    Face à la nouvelle stratégie de grande puissance de Washington visant à contenir la montée en force de la Chine, Pékin n’avait d’autre choix que de riposter par des contre-mesures agressives. Xi Jinping a rompu avec la politique étrangère prudente de ses prédécesseurs, promettant de mener à bien un «renouveau national» afin de réaliser le «rêve chinois» qui consiste à retrouver le statut de grande puissance.

    Mais Xi est confronté à d’innombrables défis. L’économie chinoise a ralenti, passant d’une croissance annuelle d’environ 10% dans les années 2000 à environ 5% aujourd’hui. Elle est en proie à la surproduction [entre autres, dernièrement, dans les voitures électriques, ce qui débouchera sur une concentration], à l’éclatement de la bulle immobilière, à une dette massive, à la corruption, au vieillissement et à la diminution de la population active, ainsi qu’à un taux de chômage élevé chez les jeunes. Le régime chinois a également été confronté à des vagues de luttes sociales et de classe, depuis les grèves et les manifestations de masse des années 2000 jusqu’au soulèvement démocratique à Hong Kong, en passant par la résistance des Ouïghours au colonialisme des colons Han au Xinjiang et les actions insurrectionnelles et marches massives contre les mesures brutales de confinement imposées dans le cadre de la politique «zéro Covid».

    Pour maintenir son pouvoir face à ses rivaux bureaucratiques et à la résistance venue d’en bas, Xi s’est tourné vers la répression autoritaire. Il a purgé les bureaucrates dissidents et corrompus, interdit les ONG syndicales, mené un génocide culturel et procédé à l’incarcération massive des Ouïghours au Xinjiang, écrasé le mouvement à Hong Konget intensifié l’oppression des femmes et des personnes LGBTQ dans le cadre de la politique nataliste du régime visant à augmenter le taux de natalité et à renouveler sa main-d’œuvre.

    Xi a accompagné cette répression de nouveaux investissements massifs dans l’économie, avec deux objectifs: renforcer le soutien intérieur en promettant une vie meilleure et repousser les tentatives de Washington de bloquer la montée en puissance de la Chine. Le régime a mis en place un énorme plan de relance pour soutenir la croissance économique après la Grande Récession et dans un contexte de ralentissement mondial.

    En 2015, Xi a inauguré «Made in China 2025», une politique industrielle financée par l’Etat visant à développer les entreprises de haute technologie, à garantir leur autosuffisance et à les positionner de manière à ce qu’elles puissent concurrencer leurs rivales transnationales. A tous égards, cette initiative a été un succès retentissant. La Chine compte désormais des entreprises de conception et de fabrication de puces de classe mondiale telles que HiSilicon et SMIC, le plus grand constructeur mondial de véhicules électriques, BYD, le premier fabricant mondial de batteries, CATL, le principal fabricant de panneaux solaires, JinkoSolar, des innovateurs pionniers dans le domaine de l’IA tels que DeepSeek, des fabricants de robots qui ont automatisé le travail en usine à un rythme plus élevé qu’en Europe et aux Etats-Unis, et un quasi-monopole sur les usines de traitement des terres rares et les fabricants d’aimants qui fournissent l’industrie high-tech mondiale.

    La Chine a commencé non seulement à rattraper son retard, mais aussi, dans certains cas, à dépasser les industries de haute technologie des Etats-Unis. Comme l’affirment deux économistes influents, David Autor et Gordon Hanson dans le New York Times du 14 juillet 2025: «Selon l’Australian Strategic Policy Institute, un groupe de réflexion indépendant financé par le ministère australien de la Défense, les Etats-Unis devançaient la Chine dans 60 des 64 technologies de pointe, telles que l’IA et la cryptographie, entre 2003 et 2007, tandis que la Chine ne devançait les Etats-Unis que dans trois domaines. Dans le dernier rapport, qui couvre la période 2019-2023, le classement s’est inversé. La Chine est en tête dans 57 des 64 technologies clés, et les Etats-Unis ne sont en tête que dans sept.»

    En réalité, les interdictions de Washington sur les exportations de technologies vers la Chine se sont retournées contre lui, poussant les entreprises chinoises à développer leurs propres capacités qui sont désormais comparables, voire dans certains cas supérieures, à celles de leurs rivaux du monde capitaliste avancé. Cela a conduit le PDG de Nvidia, Jensen Huang, à qualifier les interdictions technologiques de Washington à l’égard de la Chine d’«échec» qui «ne fait que renforcer les rivaux étrangers» et «affaiblit la position des Etats-Unis».

    Concurrence pour les marchés

    Toutes ces mesures de relance gouvernementales n’ont pas sauvé la Chine du marasme mondial du capitalisme. Elles ont au contraire provoqué une crise de surinvestissement, une concurrence acharnée entre les entreprises capitalistes publiques et privées, une baisse de la rentabilité, une déflation et une surcapacité.

    Cela a conduit le capital à se diriger vers des investissements spéculatifs dans l’immobilier, créant une bulle gigantesque qui a éclaté avec l’effondrement de la plus grande société immobilière du monde, Evergrande. Cela a exacerbé la crise de la dette du pays, frappé durement le patrimoine de la classe moyenne et affaibli la demande des consommateurs.

    Même après avoir partiellement stabilisé cette crise, la Chine n’a pas résolu son problème de surproduction. En fait, le régime l’a exacerbé avec un nouveau plan de relance visant à sortir son économie de la récession pandémique. En conséquence, la Chine produit plus de tout – du béton à l’acier, en passant par les panneaux solaires et les véhicules électriques – qu’elle ne peut vendre sur le marché intérieur avec des profits suffisamment élevés.

    La classe dirigeante chinoise espérait que son initiative «Belt and Road Initiative» (BRI – Nouvelle route de la soie), lancée en 2013, aiderait la Chine à exporter son excédent de capacité industrielle. La BRI était un projet de développement des infrastructures d’un montant de 1000 milliards de dollars qui prévoyait la construction de routes, de réseaux ferroviaires et de ports, principalement dans les pays du Sud.

    Les Etats participants ont contracté des emprunts auprès de banques chinoises pour financer la construction, faisant de la Chine le plus grand créancier au monde. Et, selon un schéma impérialiste classique, les systèmes de transport construits dans le cadre de la BRI sont le plus souvent conçus pour acheminer les matières premières des industries extractives des pays en développement vers la Chine pour son système de production.

    La Chine a également augmenté ses exportations, déclenchant des réactions protectionnistes de la part des Etats capitalistes, non seulement des Etats-Unis, mais aussi de l’Union européenne et de divers Etats du Sud. Tous ont commencé à se plaindre du dumping de ses excédents sur leurs marchés et de la concurrence déloyale qu’elle fait subir à leurs entreprises moins compétitives.

    Cette frénésie d’exportations a eu un impact négatif sur les alliés officiels de Pékin. Par exemple, elle a aggravé la désindustrialisation du Brésil, réduisant de plus en plus son économie à l’exportation de matières premières et de produits agricoles vers la Chine, un piège classique de la dépendance.

    La diversification des marchés d’exportation de Pékin vise également à protéger son économie des droits de douane et des interdictions croissants imposés par Washington. Dans le cadre de cet effort, elle a réduit ses avoirs en bons du Trésor américain et a de plus en plus recours à sa propre monnaie pour commercer avec d’autres pays comme la Russie.

    Mais la Chine ne peut en aucun cas remplacer entièrement le marché des Etats-Unis. Afin d’échapper aux droits de douane américains, elle a donc délocalisé ses usines dans des pays comme le Vietnam et le Mexique afin de les utiliser comme plateformes de transformation pour l’exportation.

    Dans le même temps, le régime a pris conscience qu’il devait développer son propre marché intérieur. Pour atteindre cet objectif, il a lancé sa stratégie de double circulation, qui consiste à investir dans des entreprises publiques produisant pour le marché intérieur tout en maintenant une économie parallèle orientée vers l’exportation.

    Dans le cadre de cette stratégie, Xi a promis à plusieurs reprises de stimuler la demande intérieure en augmentant les revenus des travailleurs et travailleuses, en renforçant le filet de sécurité sociale minimal de l’Etat et en stabilisant le marché immobilier. Mais ces propositions de «prospérité commune» étaient restées lettre morte par le passé.

    Pourquoi? Parce que la croissance économique de la Chine repose pour l’essentiel sur l’exploitation d’une main-d’œuvre migrante bon marché. (voir The Journal of Asian Studies, mai 2021) Elle s’abstient donc ainsi d’augmenter les salaires de ces travailleurs et des dépenses sociales. C’est pourquoi Xi s’est opposé à «l’égalitarisme» et au «welfare» qui récompensent «les paresseux». En conséquence, la Chine reste dépendante de son économie d’exportation. (Article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025;  traduction rédaction A l’Encontre, la suite sera publiée en date du 12 août)

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    La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine (II) – A l'encontre

    Par Ashley Smith

    Afin de maintenir et d’étendre son accès au marché mondial, la Chine a conclu des pactes politiques multilatéraux et bilatéraux. Elle a créé l’Organisation de coopération de Shanghai, qui rassemble des Etats d’Eurasie et du Moyen-Orient, notamment la Chine et la Russie, au sein d’une alliance économique, politique et sécuritaire.

    Forger des alliances dans un monde multipolaire

    Plus important encore, la Chine a mis en place l’alliance des BRICS, composée du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, ainsi que d’une liste croissante d’autres pays, mais dans laquelle Pékin est de loin l’acteur dominant. La Chine a utilisé cette alliance pour faire avancer des initiatives politiques et économiques, notamment la New Development Bank (NDB) et l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), pour établir des relations économiques avec les pays du Sud et pour tenter de les mener dans une contestation de l’ordre unipolaire de Washington, avec la visée d’établir un ordre multipolaire.

    La Chine a renforcé son alliance géopolitique la plus importante avec la Russie lorsque Xi et Vladimir Poutine ont signé leur «amitié sans limites» lors des Jeux olympiques de Pékin en 2022, à la veille de l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie. En tant qu’acteur dominant, la Chine a augmenté ses exportations vers Moscou, notamment les technologies dites «à double usage» destinées à son industrie militaire, afin d’empêcher la Russie de succomber aux sanctions américaines et européennes. Elle a conclu des accords avec la Russie pour importer du pétrole, du gaz naturel et du charbon.

    Mais ces puissances ne forment pas un bloc cohérent d’Etats, ni ne sont en train de forger un «axe du bouleversement» («The Axis of Upheaval», article de Foreign Affairs publié le 23 avril 2024) contre les Etats-Unis. Elles sont divisées en leur sein par des intérêts distincts et parfois concurrents.

    Les exemples de leurs divisions sont innombrables. L’Inde, par exemple, fait partie de l’alliance des BRICS avec la Chine, mais elle fait également partie du QUAD (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité: coopération militaire et diplomatique) avec les Etats-Unis, l’Australie et le Japon contre la Chine. L’Inde et la Chine se sont récemment affrontées au sujet de revendications territoriales contestées. Et la Russie et la Chine ont abandonné l’Iran, autre membre des BRICS, lorsqu’il a été attaqué par les Etats-Unis et Israël.

    Les pactes conclus par Pékin ne rompent pas non plus avec l’ordre néolibéral établi par les Etats-Unis. Par exemple, la Nouvelle banque de développement des BRICS a déclaré son soutien au «système commercial multilatéral avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en son centre». En fait, la Chine a utilisé ses alliances pour faire promouvoir ses intérêts au sein de l’ordre néolibéral de mondialisation du libre-échange mis en place par les Etats-Unis.

    Faire étalage de sa puissance militaire

    Pour soutenir son ascension économique et géopolitique, la Chine a modernisé son armée. Elle a augmenté ses dépenses militaires annuelles pendant trente années consécutives pour atteindre le montant colossal de 296 milliards de dollars en 2023, ce qui la place au deuxième rang mondial, mais ne représente toujours qu’un tiers des dépenses des Etats-Unis, qui s’élevaient à plus de 916 milliards de dollars en 2023.

    Elle a développé une marine de guerre capable de naviguer en haute mère et disposant de plus de navires que toute autre puissance, dont trois porte-avions, et un quatrième actuellement en construction. Elle développe également son armée de l’air, son arsenal nucléaire et son arsenal de missiles balistiques intercontinentaux et hypersoniques à un rythme rapide.

    La Chine a fait étalage de sa puissance militaire en mer de Chine méridionale. Elle a déployé sa marine pour protéger les voies maritimes, affirmer son contrôle sur les zones de pêche et revendiquer des réserves sous-marines de pétrole et de gaz naturel. Cela l’a mise en conflit avec plusieurs pays de la région, notamment les Philippines et le Japon, soutenus par les Etats-Unis, la puissance dominante en Asie, au sujet de revendications territoriales sur des îles.

    Plus important encore, la Chine a déployé ses forces armées dans le cadre d’exercices de plus en plus agressifs autour de Taïwan, qu’elle considère comme une province rebelle qu’elle entend assimiler par la force si nécessaire. Les Etats-Unis ont armé cette nation insulaire et maintiennent une «ambiguïté stratégique» quant à leur intention de la défendre en cas d’invasion chinoise.

    Les enjeux de cette confrontation ne sont pas seulement géopolitiques, mais aussi économiques. Taïwan produit 90% des micropuces les plus avancées au monde, qui sont essentielles à tout, des ordinateurs aux avions de combat high-tech comme le F-35 de Lockheed Martin. Les Etats-Unis et la Chine sont en désaccord sur Taïwan, chacun l’utilisant comme un pion dans leur rivalité tout en bafouant le droit de cette nation à l’autodétermination.

    «Rendre à l’Amérique sa grandeur»

    Pour contrer la menace chinoise à l’hégémonie américaine, Trump rompt radicalement avec la grande stratégie mise en place par Washington après la guerre froide, qui consistait à superviser le capitalisme mondial à travers des alliances économiques, politiques et militaires multilatérales. A la place, il met en œuvre la stratégie nationaliste autoritaire préconisée par la Heritage Foundation.

    Sur le plan intérieur, Trump a lancé une guerre de classes néolibérale. Il espère que l’austérité, les réductions d’impôts et la déréglementation stimuleront les investissements capitalistes dans l’industrie manufacturière, restaureront l’indépendance économique des Etats-Unis et renforceront leur compétitivité en général, et plus particulièrement face à la Chine.

    Il mène cette offensive de manière autoritaire, en recourant à des décrets présidentiels, en contournant et, dans certains cas, en démantelant la bureaucratie fédérale, et en testant les limites de la Constitution américaine. Il a démantelé des pans entiers de ce qu’on appelle l’«Etat profond» qui l’avait gêné lors de son premier mandat, détruit l’Etat-providence et licencié des fonctionnaires fédéraux. Pour diviser et vaincre la résistance de la classe laborieuse, il a fait des migrants, des personnes transgenres, des personnes de couleur et des militants solidaires du peuple palestinien des boucs émissaires.

    A l’étranger, Trump met en œuvre l’unilatéralisme de l’«America First». Il ne s’agit pas d’isolationnisme, malgré les affirmations répétées et erronées des commentateurs mainstream. Il est déterminé à intervenir économiquement, politiquement et militairement dans le monde entier pour faire avancer les intérêts des Etats-Unis au détriment de ses alliés et de ses adversaires, en particulier la Chine.

    Son bombardement des installations nucléaires iraniennes en est la preuve. Cette attaque visait à envoyer un message aux puissances mondiales, en particulier à la Chine, pour leur faire comprendre que l’administration est tout à fait disposée à utiliser son puissant arsenal de destruction pour atteindre ses objectifs.

    Sa stratégie ne consiste pas non plus à forger un nouveau «concert des grandes puissances» («The Rise and Fall of Great-Power Competition», Stacie E. Goddard, Foreign Affairs, 22 avril 2025) qui diviserait le capitalisme mondial en sphères d’influence supervisées par les Etats-Unis, la Chine, la Russie et d’autres grandes puissances. Quels que soient les accords qu’il ait proposés à Poutine et à Xi, leurs sphères d’influence potentielles se chevauchent et se contredisent.

    Les Etats-Unis, par exemple, ne céderont pas l’Asie à la Chine, pas plus qu’ils n’abandonneront l’Europe à la Russie. Il n’y aura pas de Yalta 2.0. Trump affirme la domination américaine dans le monde entier, tant à l’égard de ses alliés que de ses adversaires.

    Au milieu du chaos qui règne dans son régime, Donald Trump met en œuvre la stratégie unilatéraliste exposée sans ambages dans The Prioritization Imperative of focusing on Washington’s great power rivalry with China (L’impératif de la priorisation: se concentrer sur la rivalité entre les grandes puissances avec la Chine – Heritage Foundation, 1er août 2024, Special Report Defense). Tout d’abord, l’administration a déclaré qu’elle ne jouerait plus le rôle de gendarme du monde, soutenant ses alliés contre l’opposition externe et interne.

    Trump a tenté de sortir les Etats-Unis des guerres à Gaza et en Ukraine, sans succès. Malgré ses échecs, il semble déterminé à détourner l’attention de ces crises et à convaincre les alliés des Etats-Unis d’assumer la responsabilité de leur gestion.

    Dans le cas de l’Europe, le vice-président J. D. Vance a averti les alliés avant même son élection que «les Etats-Unis doivent se concentrer davantage sur l’Asie de l’Est. Ce sera l’avenir de la politique étrangère américaine pour les 40 prochaines années, et l’Europe doit en prendre conscience».

    Dans cette optique, Trump a obtenu des membres de l’OTAN qu’ils s’engagent à porter leurs dépenses de défense à 5% de leur PIB afin de dissuader l’impérialisme russe, déclenchant ainsi une course aux armements en Europe (Washington Post, 5 juin 2025). L’Allemagne est allée jusqu’à suspendre ses restrictions constitutionnelles en matière de déficit budgétaire [frein à l’endettement] afin d’investir massivement dans le réarmement, tout en réduisant les dépenses sociales, et d’affirmer son statut de puissance impérialiste à part entière.

    Donner la priorité à la Chine

    En essayant de faire le ménage dans le budget de Washington, Trump a tenté de donner la priorité au conflit entre Washington et la Chine. Il a imposé de nouveaux droits de douane à Pékin [ce qui n’exclut pas des négociations], intensifié la guerre des puces électroniques avec de nouvelles interdictions sur les ventes de semi-conducteurs et de logiciels, suspendu la vente de technologies et de logiciels essentiels à la fabrication de moteurs à réaction par la Chine. Il a menacé de soumettre toutes les demandes de visa des étudiants étrangers chinois à un contrôle renforcé et de refuser les visas aux membres du Parti communiste.

    Trump a soutenu cette offensive économique par des pressions géopolitiques sur Pékin. Il a envoyé le secrétaire à la Défense Pete Hegseth dans toute l’Asie pour renforcer les alliances contre la Chine. Lors du Dialogue de Shangri-La à Singapour (mai 2025), Hegseth a déclaré aux alliés que la menace chinoise «est réelle et pourrait être imminente» pour tous, en particulier pour Taïwan (voir son discours sur le U.S. Department of Defense, publié en date du 31 mai).

    Il a promis de les soutenir à condition qu’ils augmentent leurs dépenses de défense. Cette pression, associée aux conflits entre divers Etats asiatiques et la Chine, alimente une nouvelle course aux armements sans précédent dans la région depuis la Seconde Guerre mondiale. Le secrétaire d’Etat Marc Rubio a renforcé ce message lors de son propre voyage de suivi en Asie.

    Enfin, l’administration augmente son propre budget militaire. Trump a porté le budget du Pentagone à 1000 milliards de dollars, avec pour priorité absolue, selon les termes de Hegseth, «de dissuader l’agression de la Chine communiste».

    Les Etats-Unis appuient cette rhétorique par des démonstrations de plus en plus agressives de leur puissance militaire dans la région Asie-Pacifique, dont la plus récente est l’exercice mené tous les deux ans par les Etats-Unis et réunissant 19 pays, baptisé «Talisman Saber», le plus important à ce jour, spécialement conçu pour simuler une guerre avec la Chine.

    En outre, l’administration a promis de consacrer des centaines de milliards de dollars à son système de défense «Golden Dome» destiné à intercepter les missiles avancés développés par la Chine. Un tel système, s’il est construit et s’il fonctionne réellement, permettrait aux Etats-Unis de frapper sans craindre de représailles, sapant ainsi la dissuasion de la destruction mutuelle assurée et prédisposant Washington et Pékin à frapper d’abord et à poser les questions ensuite, mettant ainsi en danger toute vie sur Terre.

    Obstacles à la hiérarchisation des priorités

    L’administration Trump est confrontée à des obstacles objectifs et subjectifs à la mise en œuvre de sa stratégie de hiérarchisation des priorités. De toute évidence, en tant que plus grand empire informel de l’histoire mondiale, avec des intérêts économiques propres, des alliances géopolitiques et 800 bases militaires aux quatre coins du globe, elle aura objectivement du mal à se dégager de son rôle de gendarme mondial pour se concentrer sur Pékin.

    A cela s’ajoutent les problèmes subjectifs de l’administration – ses conflits internes, son incohérence et l’idiotie dictée par le slogan «Make America Great Again» (Rendre sa grandeur à l’Amérique) – qui compromettent sa stratégie de hiérarchisation des priorités. Ceux-ci affaibliront encore davantage le capitalisme états-unien et saperont sa domination impériale. (Martin Wolf, «Trump’s assault on American greatness, Financial Times, 8 juillet 2025)

    Trump est tiraillé dans plusieurs directions. Les protectionnistes comme le conseiller commercial Peter Navarro et le leader du mouvement MAGA Steve Bannon prônent un découplage total avec la Chine. Le secrétaire au Trésor Steve Bessent et le président du Conseil des conseillers économiques de Trump, Stephen Mirran, s’y opposent et veulent simplement un meilleur accord – un accord de Mar-a-Lago [une répétition sur le plan monétaire de l’Accord du Plaza, 22 septembre 1985, entre les Etats-Unis et le Japon, l’Allemagne de l’Ouest et le Royaume-Uni]– pour rééquilibrer le commerce dans le cadre de l’ordre capitaliste néolibéral actuel. Et les capitalistes de la technologie comme Jensen Huang de Nvidia et Elon Musk soutiennent le libre-échange, y compris avec la Chine.

    Trump, toujours transactionnel et versatil, balance entre ces factions. Leur conflit a explosé sur la politique économique, Navarro poussant les droits de douane réciproques les plus extrêmes, Musk s’y opposant et dénonçant Navarro comme «un crétin» et «plus bête qu’un sac de briques», Bessent faisant marche arrière dans l’espoir de conclure des accords bilatéraux avec des dizaines de pays, et Trump se vantant que tout ce chaos était un exemple de son «art de la négociation». Ces conflits ont entraîné des contradictions dans l’offensive du régime contre la Chine, notamment dans ses nouvelles politiques tarifaires. Après avoir cédé aux faucons anti-Chine et joué les durs avec des droits de douane records, il a ensuite fait marche arrière en accordant des concessions aux partisans du libre-échange comme Huang, le PDG de Nvidia, en autorisant la vente des puces de l’entreprise à Pékin.

    Huang a plaidé en faveur d’une stratégie différente pour les Etats-Unis afin de maintenir leur domination dans le domaine des hautes technologies, et plus particulièrement dans celui de l’intelligence artificielle (IA). Il soutient que Washington devrait maintenir la Chine dans une situation de dépendance vis-à-vis des puces les moins puissantes de Nvidia afin de l’empêcher de développer les siennes. De cette manière, Washington pourrait à la fois protéger son monopole sur les puces les plus avancées et empêcher Pékin de créer sa propre infrastructure d’IA concurrente qui pourrait supplanter celle des Etats-Unis. Mais cette stratégie a peu de chances d’aboutir, étant donné que la Chine est déterminée à construire précisément une telle infrastructure.

    Les faucons de l’administration américaine ont également prévenu que le simple fait pour Pékin d’avoir accès à des puces même moins avancées lui permettrait de les copier et d’accélérer son propre programme. L’issue de ce débat stratégique reste incertaine, mais aucune des deux options ne semble susceptible d’empêcher le développement rapide par la Chine de ses propres puces, de ses entreprises de haute technologie et de ses programmes d’IA. (Suite de l’article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025;  traduction rédaction A l’Encontre, la suite sera publiée en date du 13 août)

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    La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine (III) – A l'encontre

    Par Ashley Smith

    Des contradictions similaires sont apparues dans le traitement réservé par Trump aux alliés et vassaux de Washington. Trump augmente les taxes douanières pour contraindre tous les Etats du monde à se plier aux intérêts des Etats-Unis et à s’opposer à la Chine. Par exemple, son nouvel accord avec le Vietnam empêche ce pays d’être utilisé par la Chine comme base de transbordement de marchandises vers les Etats-Unis afin d’éviter les droits de douane (Financial Times,A. Anantha Lakshmi, 13 juillet 2025).

    Les messages confus de Don TACO («Trump Always Chicken Out» – «Trump se dégonfle toujours»)

    Mais une telle intimidation lui aliène les Etats dont Trump a justement besoin pour former un bloc contre la Chine. Il était peu judicieux de déclencher une guerre tarifaire avec la semi-colonie de Washington, le Mexique, et avec son partenaire impérialiste junior, le Canada, qui sont tous deux totalement intégrés à l’économie américaine.

    Il était encore moins judicieux d’imposer des droits de douane généraux à des ennemis, des alliés et des îles insignifiantes (îles Heard-et-MacDonald, territoire extérieur de l’Australie situé sur la plaque antarctique) sur le plan économique, habitées uniquement par des pingouins et des phoques. Tout cela n’a fait que pousser les alliés à faire passer leurs intérêts avant ceux des Etats-Unis, perturbant ainsi la formation d’un bloc d’Etats impérialistes pour affronter et contenir la Chine.

    Trump a ajouté à la confusion dans sa politique tarifaire en accordant des dérogations à des transnationales comme Apple, puis en ramenant tous les droits de douane réciproques à 10%, un niveau encore sans précédent ces dernières années, et en promettant de nouvelles réductions dans le cadre de négociations bilatérales avec des pays du monde entier.

    Cela a valu au président le surnom insultant de TACO, abréviation de «Trump Always Chickens Out» («Trump se dégonfle toujours»). Sa brève guerre tarifaire avec la Chine a été tout aussi maladroite et contre-productive. Lorsque les Etats-Unis ont imposé des droits de douane de 145% sur les exportations chinoises, la Chine a riposté avec des droits de 125%, perturbant les chaînes d’approvisionnement, ralentissant les deux économies et entraînant des pénuries dans les usines et les rayons des magasins aux Etats-Unis. Une fois de plus, Don TACO a reculé, concluant à Genève le 11 mai un «accord à l’amiable» visant à réduire les droits de douane sur les produits chinois à 30%, tandis que Pékin les ramenait à 20%. La guerre tarifaire erratique menée par Trump contre la Chine a aliéné les capitalistes américains qui dépendent de la chaîne d’approvisionnement chinoise et vendent sur son marché.

    La Business Roundtable, la Chambre de commerce, de grandes transnationales comme Apple et des dizaines de petites entreprises ont toutes fait pression sur Trump pour obtenir des exemptions et une réduction des taxes.

    En outre, les marchés boursiers et obligataires ont manifesté leur opposition. Les actions ont chuté tandis que les investisseurs se sont débarrassés de leurs obligations, faisant grimper les rendements et, avec eux, les taux d’intérêt à long terme. Trump n’a donc eu d’autre choix que de céder, faisant passer le «Tariff Man» pour un chien qui aboie mais ne mord pas.

    Sa nouvelle série d’augmentations tarifaires est empreinte de la même contradiction. D’un côté, il a adressé des lettres sévères à des pays, amis comme ennemis, les menaçant de nouvelles taxes, mais de l’autre, il a repoussé au 1er août la date limite pour la conclusion d’accords commerciaux. [A cette date, l’Union européenne (UE), le Japon ou la Corée du Sud voient ainsi leurs produits taxés à hauteur de 15%, et le Royaume-Uni de 10%, la Suisse 39%, le Canada 35% sauf pour les produits couverts par l’accord de libre-échange entre les trois pays d’Amérique du Nord, Thaïlande 19% (au lieu de 36%), Cambodge 19% (au lieu de 49). Avec la Chine, la trêve a été fixée au 12 août, puis prolongée pour 90 jours. Le Brésil, pour des raisons politiques (procès contre Bolsonaro), est frappé d’une surtaxe de 50%. Le 6 août, Trump a doublé les 25%, les portant à 50%, pour l’Inde, «en réponse à l’achat continu de pétrole russe». – Réd.]

    Rendre la stagflation à nouveau importante

    Le «Big Beautiful Bill» (budget) de Trump aggravera les problèmes du capitalisme états-unien et compromettra sa tentative de réaffirmer sa domination. Malgré des mesures d’austérité brutales contre la classe ouvrière, il entraînera une augmentation globale des dépenses, avec une forte hausse des mesures de contrôle aux frontières ainsi que des dépenses de défense, tout en réduisant les impôts des riches et des entreprises. Cela creusera le déficit et la dette.

    La baisse plus accentuée en 2025 du salaire annuel des travailleurs constituant le 25% inférieur (quartile) de l’ensemble.

    Elon Musk a dénoncé le projet de loi comme «une abomination répugnante». Il a lancé une guerre sur les réseaux sociaux contre Don TACO, puis a créé un troisième parti pour destituer les républicains qui ont voté en faveur de ce projet. L’agence de notation Moody’s a donné raison à Musk en abaissant la note de crédit de Washington, augmentant ainsi la probabilité d’une hausse des taux d’intérêt pour tous, des capitalistes aux propriétaires de petites entreprises, en passant par les professionnels et les travailleurs et travailleuses.

    L’offensive de Trump contre les migrants aggravera encore les problèmes économiques des Etats-Unis. Son projet de loi prévoit une augmentation de 170 milliards de dollars du budget consacré à l’immigration, ce qui portera les dépenses annuelles de l’ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) à près de 40 milliards (37,5) de dollars, ce qui est plus élevé que le budget militaire de 15 pays. Il a déjà fermé la frontière et lancé des raids dans tout le pays, déclenchant une résistance à Los Angeles et dans tout le pays.

    Trump a répondu à cette opposition en déployant 4000 soldats de la Garde nationale, ainsi que 700 marines, pour rejoindre les forces de police de Los Angeles afin de protéger le règne de terreur de l’ICE contre les migrant·e·s. Mais les travailleurs et travailleuses qu’il vise $ expulser sont essentiels à l’économie des Etats-Unis dans tous les secteurs, du conditionnement de la viande à la construction et à l’agriculture.

    Toute diminution de présence de la main-d’œuvre dans ces secteurs vitaux entraînera une hausse des salaires, provoquant des pénuries, une augmentation des prix et une hausse de l’inflation. Signe de désespoir, la secrétaire à l’Agriculture Brooke Rollins a lancé une proposition sadique et absurde visant à utiliser de nouvelles exigences en matière de travail obligatoire pour forcer les bénéficiaires de Medicaid à remplacer des millions de travailleurs expulsés. [Dans Politico du 8 juillet, Brooke Rollins déclare: «Avec 34 millions de personnes, des adultes valides bénéficiant de Medicaid (qualifiées comme ayant des ressources limitées ou considérées comme handicapées), nous devrions être en mesure de le faire assez rapidement», faisant référence aux participants à Medicaid actuellement dans le programme qui ne répondent pas encore aux nouvelles exigences de travail du programme de réinsertion. – Réd.]

    Face à la menace de perdre leur main-d’œuvre, l’agro-industrie, les barons de l’hôtellerie, les entreprises de construction et d’autres capitalistes ont fait pression sur Trump pour qu’il revienne sur sa décision, ce qu’il a fait, promettant de réduire les rafles sur les lieux de travail et de se concentrer sur les «criminels». Mais ensuite, sous la pression de son bras droit d’extrême droite, Stephen Miller, il a promis de poursuivre les raids, malgré le fait que la majorité de la population s’y oppose désormais et que 79% considère l’immigration comme une «bonne chose» (Washington Post, 11 juillet 2025).

    Les économistes craignent que les politiques de Trump n’affaiblissent la croissance, voire ne déclenchent une récession. Au lieu de stimuler la relance de l’industrie manufacturière aux Etats-Unis, la politique tarifaire erratique et le projet de loi controversé de Trump ont entraîné une contraction des investissements et un gel des embauches, ralentissant une économie déjà stagnante dans un contexte d’inflation persistante [en juillet, l’inflation sous-jacente est à 3,1%] et potentiellement plus élevée en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement chinoises. Cela a ravivé les craintes d’un nouveau cycle de stagflation, cauchemar des années 1970, qui affaiblirait le capitalisme américain.

    Les idioties du MAGA

    La guerre idéologique menée par Trump contre la bureaucratie étatique, les institutions sociales et les agences de soft power impérial compromettra encore davantage la domination des Etats-Unis. Elle supprime, réduit et purge des ministères clés, du FBI à la CIA, en passant par l’armée et le département d’Etat, afin de se débarrasser de tout garde-fou qui entrave son autoritarisme.

    Ce faisant, Trump rend inopérantes des parties essentielles de l’Etat qui font respecter et accepter la domination des Etats-Unis. Par exemple, il a vidé de sa substance Voice of America, un média clé que les Etats-Unis ont historiquement utilisé pour diffuser leur propagande contre leurs adversaires et séduire leurs opposants nationaux afin qu’ils considèrent à tort Washington comme un allié dans leurs luttes.

    La Chine et la Russie se sont réjouies. L’ancien rédacteur en chef du Global Times chinois a déclaré que c’était «vraiment gratifiant», tandis que le rédacteur en chef de la chaîne russe RT (Russia Today) a qualifié cette décision d’«impressionnante». Pékin et Moscou injectent davantage d’argent pour combler le vide et gagner en influence mondiale.

    L’assaut tous azimuts de Trump contre l’enseignement supérieur, en particulier les institutions d’élite comme Harvard, va également saper la suprématie états-uniennes. Lui et surtout J.D. Vance, qui a prononcé en novembre 2021 un discours tristement célèbre intitulé «Les universités sont l’ennemi», méprisent ces institutions parce qu’elles reproduisent l’establishment capitaliste libéral, qu’ils considèrent comme leur ennemi mortel.

    Trump a justifié cette attaque en invoquant de fallacieuses accusations d’antisémitisme et une prétendue hésitation de ces institutions à écraser le mouvement de solidarité avec la Palestine. Sous ce prétexte, il a réduit leur financement, exigé qu’elles réécrivent leurs programmes et appelé à la suppression de leurs dispositifs en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion.

    Cette attaque contre l’enseignement supérieur affaiblira l’impérialisme des Etats-Unis. Elle perturbera la reproduction de la classe dirigeante, de ses idéologues et de ses professionnels. Et elle empêchera la formation de secteurs de salariés qualifiés, décisifs pour que les Etats-Unis puissent dominer leurs concurrents dans le domaine des hautes technologies.

    Ces institutions sont au cœur du complexe militaro-industriel, en particulier dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM). La réduction de leur financement sapera les efforts des Etats-Unis pour gagner «la guerre des puces» contre la Chine. Les répercussions ne seront pas seulement supportées par les écoles d’élite et leurs étudiants fortunés des Etats bleus (démocrates), mais aussi par les universités publiques et les étudiants issus de la classe ouvrière des Etats rouges (New York Times, 12 juin 2025)

    Pire encore pour l’impérialisme états-unien, la chasse aux sorcières menée par Trump contre les étudiants étrangers, en particulier chinois, ainsi que contre les scientifiques internationaux, les poussera à quitter le pays, privant ainsi les universités et les entreprises d’une source essentielle de talents internationaux, en particulier dans les domaines des STEM (science, technology, engineering and mathematics). Déjà, les concurrents de Washington, de l’Europe à la Chine, recrutent des étudiants chinois en leur offrant des financements et des emplois lucratifs, ce qui fait paniquer la classe dirigeante qui redoute une fuite des cerveaux.

    L’offensive de Trump contre la science compromettra également la suprématie des Etats-Unis. Il ne se contente pas de supprimer le financement de la recherche scientifique dans l’enseignement supérieur, mais aussi à la National Science Foundation, aux National Institutes of Health, à l’Environmental Protection Agency, à la National Oceanic and Atmospheric Administration, au National Weather Service et à la Federal Emergency Management Agency (FEMA).

    Ces coupes budgétaires paralyseront la recherche essentielle non seulement aux entreprises, mais aussi à la sécurité et à la santé publiques, déstabilisant ainsi la société. Avec la FEMA et d’autres agences paralysées, les tragédies causées par le changement climatique, comme la mort par noyade de plus d’une centaine de personnes lors des récentes inondations soudaines dans le centre du Texas, qui auraient pu être évitées avec des réglementations, des précautions et des alertes appropriées, se multiplieront dans tout le pays.

    La démolition de l’USAID par Trump, ainsi que le retrait de la plupart des institutions et accords multilatéraux, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les accords de Paris sur le climat et presque toutes les agences des Nations unies, compromettent fondamentalement le soft power de Washington et sa capacité à gagner des alliés et à soumettre les autres à son projet impérialiste contre la Chine. Au contraire, cela isolera et discréditera les Etats-Unis et incitera encore plus d’Etats à les considérer avec suspicion.

    La politique «America First» de Trump a déjà conduit des puissances à tracer leur propre voie, en donnant la priorité à leurs intérêts économiques, politiques et militaires. Cela conduira à son tour à une intensification des conflits entre les Etats à travers le monde. Il sera également plus difficile pour les Etats-Unis de faire pression sur leurs alliés de principe, comme l’Europe et le Japon, pour qu’ils limitent leurs échanges commerciaux avec la Chine. En conséquence, le régime Trump n’aura plus que le «pouvoir dur» (par opposition au «solf power»), l’intimidation économique et militaire.

    Plutôt que de restaurer la domination états-unienne, la mise en œuvre incohérente de la stratégie de hiérarchisation par le régime risque d’accélérer son déclin relatif. Fiona Hill, qui a servi dans la première administration Trump, est allée jusqu’à comparer son ancien patron à Boris Eltsine, qui a supervisé l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, déclarant: «Trump est en train de déconstruire les Etats-Unis, tout comme Eltsine a déconstruit l’Union soviétique.» (New York Times, 22 juillet 2025)

    La Chine affronte Trump

    Consciente de sa position de force vis-à-vis des Etats-Unis, la Chine a tenu tête à l’agressivité de Trump et a exploité les contradictions de son administration. Elle a mis en échec sa stratégie sur les droits de douante, répondant à chacune de ses augmentations par des hausses similaires, y compris celles visant les Etats républicains.

    Elle a joué son atout majeur: son quasi-monopole sur le traitement des terres rares et des aimants permanents (qui font appel aux terres rares), composants essentiels de tout, des voitures aux avions de combat américains comme le F-35. Elle a suspendu ses exportations, paralysant ainsi la production civile et militaire.

    La Chine a poussé Trump à conclure un «accord à l’amiable» prévoyant une pause de 90 jours afin de permettre la tenue de négociations en vue d’un accord commercial. Trump a manifesté une hésitation dans la confrontation, Xi Jinping de même. Avec une économie qui peinait déjà à maintenir sa croissance, Xi Jinping ne pouvait se permettre une cessation quasi totale des échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Malgré une augmentation des exportations vers l’Europe et l’Asie du Sud-Est et une croissance globale modeste, la perte des marchés états-uniens a désorganisés les entreprises chinoises.

    Mais leur accord a volé en éclats lorsque la Chine a limité la vente de métaux rares et que les Etats-Unis ont riposté en interdisant l’exportation de puces, de logiciels essentiels et de pièces détachées pour la construction d’avions chinois [Nvidia propose toutefois de pouvoir exporter en Chine, pas son haut de gamme mais ses produits moins sophistiqués tout en proposant une taxe de 15% de taxe sur les revenus de ces exportations à verser au gouvernement des Etats-Unis – réd.]. Leurs économies étant en péril, les deux pays ont de nouveau hésité, promettant de rétablir leur accord et de poursuivre les négociations commerciales bilatérales en vue d’un accord final [délai prolongé à nouveau de 90 jours le 11 août par l’administration Trump]. Néanmoins, la Chine a démontré la faiblesse de Trump.

    Xi a exploité l’abandon par la nouvelle administration de la supervision de l’ordre néolibéral de la mondialisation du libre-échange en se posant comme son défenseur. Il s’est engagé à être, contrairement à Washington, un partenaire commercial fiable pour le reste du monde.

    Bien sûr, cette attitude n’était guère désintéressée, car la Chine a été l’un des principaux bénéficiaires de cet ordre et a désespérément besoin d’accéder aux marchés internationaux pour exporter son capital et ses produits. En effet, la Chine a compensé la perte des marchés américains en réorientant ses exportations vers le reste du monde, atteignant un excédent commercial record de 586 milliards de dollars.

    Xi a également profité de la décision stupide de Trump de lancer sa guerre commerciale contre tous les pays à la fois en proposant des accords diplomatiques et commerciaux aux Etats d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique et d’Europe. Mais la réponse des Etats à travers le monde a été contradictoire. Ils ont à la fois salué les offres de la Chine et exprimé leur inquiétude quant au fait qu’elle les utilise pour exporter ses excédents vers leurs marchés, ce qui nuirait à leurs entreprises.

    Le Brésil s’est récemment rallié à la Chine dans une défense commune du libre-échange, mais l’année dernière encore, il enquêtait sur Pékin pour cause de dumping, tandis que ses entreprises sidérurgiques réclamaient une augmentation des droits de douane afin de protéger leur industrie et leur part de marché.

    Enfin, Xi a répondu au militarisme accru de Trump par des affirmations agressives de la puissance militaire de la Chine. La Chine a intensifié ses exercices militaires autour de Taïwan, envoyé des navires en Australie dans le cadre d’un exercice naval sans précédent, exacerbé ses conflits avec les Philippines et d’autres Etats de la mer de Chine méridionale au sujet d’îles contestées, et même déployé deux porte-avions dans les eaux économiques japonaises. (Suite de l’article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025;  traduction rédaction A l’Encontre, la suite sera publiée en date du vendredi 15 août)

    La stratégie de Trump pour réaffirmer la domination américaine (IV) – A l'encontre

    Par Ashley Smith

    La rivalité entre les Etats-Unis et la Chine englobe désormais le monde entier, du Groenland au Panama, en passant par l’Arctique, l’Antarctique et même l’espace (les différends entre la Chine et les Etats-Unis portent sur la présence militaire dans l’espace, entre autres l’armement antisatellite). Ils sont engagés dans une concurrence acharnée dans des théâtres conflictuels clés en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine.

    Escalade de la rivalité mondiale

    En Europe, Trump avait espéré conclure un accord avec Vladimir Poutine pour le partage de l’Ukraine, peut-être dans le but de détacher la Russie de son alliance avec la Chine. Mais sa proposition a été rejetée par Moscou, qui semble déterminé à annexer autant de territoire que possible, quel qu’en soit le coût en vies humaines pour la Russie et l’Ukraine. [Un élément de constat devrait ressortir après la réunion bilatérale qui se tient à Anchorage, Alaska, ce 15 août – réd.]

    La Chine reste attachée à son «amitié sans limites» avec la Russie, soutenant son économie contre le régime de sanctions. De son côté, Kiev est opposé à la partition de son pays, a refusé tout accord sans garanties de sécurité. L’Ukraine continue de défendre sa souveraineté face à l’agression incessante de la Russie et a réussi à lancer une attaque de drones en juin 2025 contre la flotte de chasseurs-bombardiers de Moscou.

    Mais Trump a remporté quelques victoires, notamment en faisant pression sur ses alliés de l’OTAN pour qu’ils augmentent leurs dépenses de défense à hauteur de 5% de leur PIB et se réarment à un rythme effrayant [les pays de l’UE, par exemple, accroissent leurs achats d’armement aux grands groupes des Etats-Unis, ce qui est sous-jacent à l’objectif des 5% des Trump – réd.]. En conséquence, l’Ukraine continuera d’être une source de conflit interimpérialiste autour d’une lutte de libération nationale qui pourrait dégénérer en une guerre impliquant plusieurs grandes puissances.

    Au Moyen-Orient, les Etats-Unis étaient jusqu’à présent l’hégémon incontesté, mais la Chine est une puissance montante. Comme Pékin dépend du pétrole et du gaz naturel de la région pour son énergie et son industrie pétrochimique, elle a établi des relations politiques et économiques avec tous les acteurs de la région, de l’Iran aux Etats du Golfe en passant par Israël.

    Biden et maintenant Trump ont utilisé la guerre génocidaire d’Israël pour réaffirmer la puissance des Etats-Unis dans la région et affaiblir le soi-disant «axe de la résistance», décimant le Hezbollah, affaiblissant l’Iran et concluant des accords avec les rebelles qui ont renversé la dictature syrienne. Trump espérait consolider la domination états-unienne grâce à une «solution finale» à Gaza, à des accords économiques avec les Etats arabes, à l’extension des accords d’Abraham visant à normaliser leurs relations avec Israël et à un nouveau pacte nucléaire avec l’Iran, afin de pouvoir donner la priorité à la Chine.

    Cependant, une résistance palestinienne demeure. De plus, l’adhésion des masses arabes de la région à la «cause palestinienne» et leur opposition à la normalisation impliquent leur hostilité à leurs dirigeants qui vivent dans le luxe alors qu’elles sombrent dans la pauvreté. Lorsque les négociations sur le nucléaire avec l’Iran ont achoppé, Israël a saisi l’occasion pour lancer une guerre éclair (le 13 juin), non seulement contre les installations nucléaires de Téhéran, mais aussi contre ses dirigeants, son armée et ses scientifiques.

    Trump a alors décidé de soutenir l’attaque et a largué (les 21-22 juin) plusieurs des plus grosses bombes conventionnelles de l’armée américaine, les Massive Ordnance Penetrator (GBU-57), afin de détruire les installations nucléaires iraniennes, notamment celle de Fordow, enfouie profondément sous une montagne. Trump a toutefois limité son action à une attaque ponctuelle, au lieu de tenter un changement de régime, qui aurait entraîné Trump dans une guerre gigantesque et sapé le soutien de sa base MAGA isolationniste.

    Trump s’est maintenant engagé à reprendre les négociations avec l’Iran, dans l’espoir de parvenir à un accord sur son programme nucléaire. Reste à voir si le régime iranien, divisé entre ceux qui veulent fabriquer une bombe et ceux qui préfèrent un accord, acceptera de mettre fin à son programme selon les conditions imposées par les Etats-Unis.

    Si les Etats-Unis semblent avoir remporté des victoires majeures, la région reste le théâtre de conflits interétatiques et de résistances populaires. La Chine, qui est restée les bras croisés pendant que son allié iranien était malmené, profitera de tout revers subi par les Etats-Unis pour faire avancer ses propres intérêts dans la région, garantissant ainsi que les conflits interétatiques et les rébellions internes seront l’occasion d’une lutte entre les deux protagonistes impérialistes pour disposer l’un ou l’autre d’une position avantageuse.

    L’Amérique latine est une autre zone de compétition croissante. Alors que les Etats-Unis ont été l’hégémon régional, la Chine a utilisé son initiative «Belt and Road» (Nouvelle route de la soie) pour devenir un investisseur majeur dans la région et le premier partenaire commercial de l’Amérique du Sud. Cela lui a permis d’attirer dans son orbite des puissances moyennes comme le Brésil grâce à l’alliance BRICS.

    Les Etats-Unis ont réagi en réaffirmant leur puissance face à l’influence de Pékin. Trump a utilisé l’accusation selon laquelle la Chine contrôle secrètement le canal de Panama pour menacer de l’annexer, et a augmenté les droits de douane sur les pays qui dépendent des exportations vers le marché américain afin d’imposer les diktats de Washington. [Un consortium mené par BlackRock, le fonds d’investissement américain, a «repris» les actifs de la société hongkongaise Hutchinson, ce qui implique le contrôle sur deux ports placés sur le canal de Panama. – Réd.]

    Les deux puissances sont également engagées dans rien de moins qu’une nouvelle ruée vers l’Afrique. La Chine est devenue le plus grand investisseur du continent, en se concentrant sur l’exploitation minière, en particulier des minéraux rares. Trump a réagi en utilisant les investissements, les droits de douane et la pression géopolitique pour intimider les Etats afin qu’ils se tournent vers les Etats-Unis.

    Par exemple, lors des négociations de paix entre le Rwanda et le Congo, il a fait pression sur le Congo pour qu’il autorise les Etats-Unis à extraire des minéraux rares, au détriment de la Chine. Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres des conflits par procuration qui opposent Washington et Pékin en Afrique. Ceux-ci vont s’intensifier à mesure que la Chine cherchera à étendre son monopole extractiviste sur les terres rares et que les Etats-Unis chercheront à le briser.

    Les points chauds de la lutte pour l’hégémonie en Asie

    Cependant, la région la plus exposée aux conflits entre les Etats-Unis et la Chine est de loin l’Asie. Plusieurs points chauds pourraient déclencher une guerre malgré l’intention déclarée des deux pays de l’éviter.

    Les Etats-Unis et la Chine se sont déjà engagés dans une guerre par quasi-proxy au Cachemire, Pékin soutenant le Pakistan et Washington soutenant l’Inde. Les deux grandes puissances ont soigneusement analysé les capacités de leurs avions, missiles et systèmes de défense respectifs.

    La situation est encore plus inquiétante entre la Corée du Sud et la Corée du Nord. Les Etats-Unis, qui maintiennent d’importantes bases en Corée du Sud, ont tenté de bloquer tout accord de paix avec le Nord, de faire pression sur Séoul pour qu’il augmente ses dépenses militaires et conclue un pacte militaire avec le Japon contre la Chine. Cela ne fera qu’antagoniser Pyongyang et Pékin, exacerbant un conflit impliquant trois puissances nucléaires.

    Le bras de fer entre la Chine et les Philippines au sujet des îles disputées en mer de Chine méridionale est tout aussi inquiétant. Trump a établi des relations amicales avec le nouveau gouvernement philippin de Ferdinand «Bong Bong» Marcos, le fils du dictateur notoire, et a envoyé Pete Hegseth les 21 juillet dans ce pays pour sa première mission diplomatique en Asie.

    Hesgeth a promis de maintenir «l’alliance indéfectible» de Washington avec les Philippines «face à l’agression de la Chine communiste dans la région». Il a déclaré l’intention des Etats-Unis d’augmenter leur aide militaire, d’organiser davantage d’opérations conjointes et de prépositionner du matériel militaire états-unien pour des opérations dans la région Asie-Pacifique.

    Le conflit le plus important et le plus explosif concerne Taïwan. Comme indiqué ci-dessus, les enjeux ne sont pas seulement géopolitiques, mais aussi économiques, en raison de l’industrie avancée de Taipei dans le domaine des puces électroniques [sur lequel Taïwan Semiconductor Manufacturing Company-TSMC dispose d’une position internationale dominante – réd.]. Xi [en mai 2024] a ordonné à son armée de se préparer à annexer le pays d’ici 2027, tandis que les Etats-Unis ont fait de la défense de l’île leur priorité absolue.

    En conséquence, le conflit impérial et régional s’intensifie dans toute la région Asie-Pacifique, les Etats s’armant jusqu’aux dents.

    Contre le nationalisme impérialiste

    Dans cette conjoncture inquiétante, la gauche doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que la rivalité interimpérialiste ne déclenche une nouvelle guerre mondiale. Aux Etats-Unis, notre première tâche est de nous opposer à notre propre Etat impérialiste, qui reste la puissance la plus dangereuse au monde.

    Le lieu principal pour construire l’opposition est la large résistance au régime Trump. Le mouvement émergent comprend un large éventail de forces, allant d’ONG explicitement pro-Parti démocrate comme Indivisible [qui a pris forme en 2016], au mouvement de solidarité avec la Palestine, en passant par les syndicats regroupés autour de May Day Strong [coalition syndicale lancée en 2025 avec une première échéance le 1er mai]. La gauche doit plaider en faveur d’un mouvement indépendant de la classe laborieuse qui s’oppose à toutes les attaques de Trump visant à diviser et à régner sur les opprimé·e·s et qui s’oppose à l’impérialisme américain sous toutes ses formes – économique, géopolitique et militaire.

    Nous devons avancer plusieurs arguments essentiels. La résistance doit s’opposer au chant des sirènes nationaliste et protectionniste de Trump et à ses attaques xénophobes contre les étudiants et chercheurs chinois aux Etats-Unis et les travailleurs chinois en Chine continentale, qu’il présente comme une menace. Sean O’Brien, du syndicat des camionneurs Teamsters, et Shawn Fain, du syndicat des travailleurs de l’automobile United Autoworkers, ont tous deux succombé à cette tentation en exprimant leur soutien aux droits de douane comme moyen de sauver des emplois.

    Trump, un magnat de l’immobilier corrompu qui a tenu le rôle principal dans une émission de téléréalité dont le slogan était «You are fired» («Vous êtes viré»), se fiche des travailleurs et travailleuses. De plus, contrairement à ce qu’affirment les responsables syndicaux, la grande majorité des pertes d’emplois n’ont pas été causées par la mondialisation, mais par le fait que les entreprises ont imposé une production allégée et la délocalisation des usines au sein des Etats-Unis, du nord syndiqué vers le sud non syndiqué.

    Blâmer la mondialisation permet aux patrons de s’en tirer à bon compte. Cela sème également des divisions racistes et anti-immigrés au sein de la classe laborieuse multiraciale et plurinationale des Etats-Unis, ainsi qu’entre les travailleurs et travailleuses des Etats-Unis et ceux d’autres pays, en particulier la Chine. Une telle attitude perturbera la solidarité nécessaire pour s’organiser contre le système capitaliste internationalisé de production, de transport et de vente.

    Le nationalisme économique a eu des conséquences mortelles dans les années 1980, lorsque deux ouvriers automobiles licenciés, qui attribuaient leur chômage au Japon, ont tué un Américain d’origine chinoise, Vincent Chin, qu’ils avaient pris pour un Japonais. Il peut avoir des conséquences tout aussi mortelles aujourd’hui, Trump prenant pour cible les étudiants et chercheurs chinois et attisant le racisme anti-chinois et anti-asiatique en général.

    Pire encore, le sectarisme nationaliste lie la classe ouvrière à l’impérialisme américain. Trump et les démocrates exploiteront cette allégeance pour nous pousser à accepter l’austérité afin de financer l’augmentation des budgets de l’ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) et de l’armée, ainsi que pour tuer et mourir afin de préserver la domination des Etats-Unis sur la Chine et leurs autres rivaux, et non pour améliorer la vie des masses laborieuses.

    Dans le même temps, nous devons nous opposer à la défense par les démocrates de l’ordre néolibéral actuel de mondialisation du libre-échange. Celui-ci a servi de véhicule à l’hégémonie impérialiste états-unienne sur le capitalisme mondial, au détriment des travailleurs et travailleuses contraints de se livrer à une course effrénée vers le bas pour le profit de nos dirigeants.

    L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami

    Nous devons également nous opposer à ceux qui, à gauche, soutiennent les rivaux de Washington, comme la Chine ou la Russie, en les présentant comme une sorte d’alternative. Ils n’en sont pas une. Ce sont des Etats capitalistes et impérialistes. Pékin a prouvé sa nature prédatrice et brutale au Xinjiang et à Hong Kong, tandis que Moscou a fait de même en Ukraine.

    L’ordre multipolaire auquel aspirent les rivaux de Washington n’est pas non plus une alternative. Bien sûr, l’unipolarité – l’hégémonie sans rivale de l’impérialisme américain – était épouvantable, comme l’a prouvé l’Irak, mais un ordre multipolaire de puissances impérialistes rivales ne sera pas meilleur et pourrait être bien plus meurtrier. Rappelons que le dernier ordre multipolaire s’est soldé par deux guerres mondiales.

    Lorsque certaines fractions de la dite gauche soutiennent l’Etat chinois ou russe, elles trahissent inévitablement la solidarité internationale avec la lutte de libération des nations et des peuples opprimés par ces Etats et avec les travailleurs et travailleuses qu’ils exploitent. A leurs yeux, ces luttes menacent Pékin et Moscou et leur capacité à tenir tête aux Etats-Unis. Elles troquent l’internationalisme de la classe ouvrière contre le nationalisme des grandes puissances.

    Pire encore, présenter ces Etats comme une sorte d’alternative ne fera que discréditer la gauche aux yeux de la plupart des salarié·e·s. Personne ne veut vivre dans des Etats policiers comme ceux de Chine et de Russie, tout comme personne ne veut vivre sous le régime de plus en plus autoritaire de Trump, ici, aux Etats-Unis.

    Pour un anti-impérialisme internationaliste

    L’alternative à l’impasse du nationalisme des grandes puissances est l’internationalisme. Il se présente sous deux formes. L’une d’elles, courante, qui semble à première vue attrayante et réaliste, est l’internationalisme par le haut. Souvent défendu par les pacifistes et les réformistes, il prône la coopération internationale entre rivaux impérialistes comme voie vers la coopération et la paix.

    Au début du XXe siècle, Karl Kautsky a fait miroiter la promesse d’une telle «internationale dorée», mais ces espoirs ont été anéantis par la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, les militants de gauche tournés vers le Parti démocrate espèrent convaincre ou élire ses dirigeants afin qu’ils mènent une politique de collaboration entre grandes puissances.

    Cette stratégie n’a pas plus de chances de réussir aujourd’hui qu’à l’époque de Kautsky. Pourquoi? Parce qu’elle ne comprend pas que les rivalités interimpérialistes ne sont pas le simple produit de la politique gouvernementale, mais de la concurrence intercapitaliste qui pousse les grandes puissances à s’affronter pour le partage du marché mondial.

    De plus, le véhicule choisi pour réaliser ce fantasme de coopération, le Parti démocrate, s’est montré imperméable à l’influence de la gauche. N’oublions pas que malgré les tentatives de la gauche d’utiliser les démocrates à des fins anti-impérialistes, ce sont eux qui ont déclenché la plupart des guerres du XXe siècle, de la Première Guerre mondiale au génocide israélien à Gaza. Et, même si les démocrates ont pu grogner contre des guerres comme celle de l’Irak lancée par les républicains, ils les ont quand même soutenues, votant les budgets militaires nécessaires à leur conduite.

    Au contraire, nous avons besoin d’un internationalisme anti-impérialiste venant d’en bas. Cela implique de s’opposer avant tout à notre propre Etat impérialiste, les Etats-Unis, sous toutes ses formes, de ses politiques économiques (qu’elles soient protectionnistes ou libérales) à ses intimidations géopolitiques et ses guerres.

    Les partenaires impérialistes de Washington, tels que l’Union européenne, la Grande-Bretagne, le Canada, le Japon et l’Australie, n’offrent aucune option progressiste, comme le prouve leur histoire de colonialisme, de conquête et d’exploitation économique. Aujourd’hui, dans un contexte de décomposition de l’hégémonie américaine, ils ne recherchent que leur propre avantage capitaliste.

    Dans le même temps, nous ne devons pas nous faire d’illusions sur les rivaux impérialistes des Etats-Unis, en premier lieu la Chine. Nous devons nous opposer à Pékin et défendre le droit à l’autodétermination des nations comme Taïwan et des minorités nationales comme les Ouïghours que Pékin opprime. Et, tout aussi important, nous devons nous opposer à l’utilisation cynique par Washington de ces luttes nationales et populaires à des fins impérialistes.

    Les travailleurs contre la rivalité et la guerre

    Notre projet principal doit être de construire la solidarité internationale entre les classes laborieuses de toutes les puissances impériales et régionales ainsi que des nations opprimées. Cela est aujourd’hui plus possible que jamais. La mondialisation a lié le destin des travailleurs et travailleuses du monde entier.

    Cela n’est nulle part plus évident qu’aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique, où la régionalisation de la production et les migrations ont lié le destin de la classe laborieuse du nord des Etats-Unis. Soit nous restons unis, soit nous serons divisés et vaincus séparément.

    Il en va de même pour les travailleurs et travailleuses des Etats-Unis, de Chine et de Taïwan qui sont reliés entre eux par les chaînes mondiales de production, d’approvisionnement et de distribution. Par exemple, Apple conçoit ses produits en Californie, sous-traite leur fabrication à Foxconn, une entreprise taïwanaise, qui emploie à son tour des travailleurs et travailleuses migrants chinois pour fabriquer des iPhones et d’autres appareils en Chine, lesquels sont ensuite expédiés par les travailleurs de FedEx (entreprise de logistique mondialisée) aux Etats-Unis pour être vendus soit directement aux clients, soit par les employés des magasins de détail.

    Ainsi, même dans le cas de Taïwan, le point chaud le plus dangereux au monde dans la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine, la classe laborieuse internationale partage des intérêts communs contre les trois classes dirigeantes qui collaborent pour nous exploiter.

    Compte tenu de notre pouvoir de mettre fin à leur système, nous avons le potentiel de nous unir et de nous opposer à leur rivalité et à leur dérive vers la guerre. La manière la plus importante dont le mouvement ouvrier peut y parvenir aujourd’hui est de s’opposer à la chasse aux sorcières menée par Trump contre les étudiants internationaux, les étudiants diplômés et les scientifiques chinois. Cela est essentiel pour construire une unité de lutte au sein de la classe laborieuse des Etats-Unis, dans laquelle les étudiants chinois de troisième cycle jouent un rôle important dans l’organisation des syndicats dans l’enseignement supérieur.

    Si le mouvement ouvrier peut s’unir contre la sinophobie ici aux Etats-Unis, cela enverrait un signal fort aux travailleurs chinois que les travailleurs d’ici sont leurs alliés naturels. Et les étudiants internationaux, les étudiants diplômés et les scientifiques chinois peuvent aider à établir des liens au-delà des frontières, rendant ainsi concrète la solidarité internationale.

    Nous avons la possibilité de forger une telle unité au milieu des luttes provoquées par la crise mondiale du capitalisme, l’autoritarisme croissant de nos dirigeants et les mesures d’austérité qu’ils nous imposent à tous. Au cours des quinze dernières années, nous avons assisté à une vague sans précédent de luttes de masse partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis avec Occupy (2011), Black Lives Matter, la révolte des enseignants des Etats rouges et le mouvement de solidarité avec la Palestine.

    Des luttes analogues ont éclaté en Chine. Les travailleurs migrants se sont mis en grève, les Hongkongais ont organisé un soulèvement démocratique de masse et le peuple chinois s’est soulevé dans des manifestations et des grèves massives contre les mesures brutales de confinement imposées par le régime pour lutter contre le Covid.

    La rivalité entre Washington et Pékin provoquera encore plus de luttes ouvrières. La guerre de classe brutale menée par Trump dans son pays pour transférer la richesse des salariés vers les milliardaires et la machine de guerre du Pentagone a déjà déclenché une résistance nationale.

    De même, Xi fera payer la classe ouvrière chinoise pour défier les Etats-Unis, la forçant, selon les termes d’un responsable lors du dernier mandat de Trump, à traverser la guerre commerciale «en mangeant de l’herbe pendant un an». Une telle austérité attisera les luttes en Chine.

    Au milieu de la résistance dans les deux pays, notre tâche est de trouver tous les moyens possibles pour relier nos luttes communes. Nous pouvons et devons mettre en avant le slogan de Marx et Engels: «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous… Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes». Aujourd’hui, ce n’est pas un slogan utopique, mais une possibilité réaliste et même une nécessité. (Fin de l’article publié sur le site Tempest le 24 juillet 2025;  traduction rédaction A l’Encontre)