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La Bolivie retourne-t-elle dans les années 1990?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La Bolivie retourne-t-elle dans les années 1990? – A l'encontre
Par Pablo Stefanoni
La Bolivie votera le 17 août, lors d’une élection qui devrait laisser la gauche hors du second tour. Avec le MAS (Movimiento al Socialismo) en pleine décomposition, les sondages prévoient un affrontement entre la droite modérée et la droite radicale, sans renouvellement notable des figures politiques donnant l’impression d’un retour aux élections d’il y a plus de deux décennies.

La Bolivie votera lors des élections du 17 août dans un contexte politique inédit depuis 20 ans: le puissant Mouvement vers le socialisme (MAS) affronte le processus électoral divisé en trois factions et risque de se retrouver en troisième ou quatrième position. Pour la première fois depuis la fin des années 1990, la gauche ne serait pas présente au second tour qui, selon les sondages, opposera deux candidats de droite (l’un plus modéré, l’autre plus radical): le politicien et homme d’affaires libéral-développementiste Samuel Doria Medina et l’ancien président Jorge «Tuto» Quiroga [d’août 2001 à août 2002 et vice-président d’août 1997 à août 2001], lié aux réseaux radicaux de Miami.
Les luttes intestines qui ont éclaté dès le retour au pouvoir du MAS en 2020, après son renversement un an plus tôt, ont constitué un véritable processus d’autodestruction [voir sur ce site l’article du 4 avril 2025]. Le MAS est aujourd’hui divisé entre les arcistes – partisans du président Luis Arce Catacora –, qui ont conservé le sigle du MAS grâce à la médiation de la justice; les évistes – partisans d’Evo Morales, inéligible et reclus dans la zone de culture du coca du Chapare pour éviter d’être arrêté; et les androniquistes – qui soutiennent la candidature du président du Sénat, Andrónico Rodríguez.
Eduardo del Castillo, candidat «officiel» du MAS, n’atteint pas 2% des intentions de vote. Etranger au monde paysan qui est «l’âme» du MAS, Del Castillo était l’un des hommes forts du gouvernement Arce, qui a finalement renoncé à briguer un second mandat impossible en raison de sa faible capacité de gestion et d’une crise économique que le pays n’avait pas connue depuis la période tumultueuse du début des années 2000. En tant que ministre de l’Intérieur, Del Castillo a été le visage le plus visible de la persécution politique et judiciaire contre Evo Morales, leader incontesté du MAS depuis sa fondation [23 juillet 1997].
Le candidat le mieux placé du MAS, qui après son lancement avait des chances de se qualifier pour le second tour, est Andrónico Rodríguez, ancien dauphin de Morales et qu’il avait choisi comme successeur à la tête des syndicats de paysans cocaleros. A 36 ans, il représente les nouvelles générations de paysans ayant fait des études universitaires et entretenant des liens étroits entre les zones urbaines et rurales. Mais la décision du jeune dirigeant de se présenter à la présidence a provoqué la colère de Morales, qui appelle désormais à annuler le vote par un «référendum» contre le processus électoral, ce qui a contribué à affaiblir la candidature d’Andrónico Rodríguez.
Après avoir mûri sa décision pendant des mois, au cours desquels plusieurs présidents et anciens présidents, tels que Nicolás Maduro, Raúl Castro et José Luis Rodríguez Zapatero, ont tenté de touver une issue à la crise du MAS, Andrónico Rodríguez a finalement lancé sa candidature. Avant cela, il s’était éloigné de son mentor en ne participant pas aux conclaves évistes et en adoptant un discours autocritique et novateur, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être considéré comme un traître par Morales. Mais il n’a pas réussi à s’implanter dans le mouvement paysan, qui constitue la principale base sociale du MAS, et certains de ses premiers soutiens provenaient de personnalités contestées et perçues comme opportunistes.
Le choix de sa candidate à la vice-présidence ne l’a pas aidé non plus. En théorie, la jeune ministre Mariana Prado – considérée à l’époque comme faisant partie de l’aile alvariste (du nom de l’ancien vice-président Álvaro García Linera) – complétait le candidat paysan, avec son profil de technocrate urbaine et «blanche». Mais sa candidature a été entachée par une affaire policière qui l’a affectée de manière indirecte mais persistante. Son ex-compagnon a commis un féminicide et elle a été accusée, notamment par des féministes comme María Galindo [psychologue, animatrice d’émissions de radio], d’avoir favorisé celui-ci dans sa déposition judiciaire. «Ecoute, Andrónico Rodríguez, si tu te présentes avec Mariana Prado, je vais te rendre la vie impossible lundi, mardi, mercredi, jeudi, du lundi au lundi, parce que Mariana Prado est une malheureuse qui a défendu un féminicide», a déclaré Galindo avec son style virulent habituel le 19 mai. Elle a en effet lancé une campagne impitoyable contre Prado.
Andrónico Rodríguez a réussi à constituer une liste pour se présenter en dehors du MAS «arciste», avec de bons résultats dans les sondages. Mais face au gouvernement du MAS et à Evo Morales, la campagne s’est avérée difficile et menace de s’essouffler. Seule une partie des nombreux indécis et des électeurs potentiels qui s’abstiennent ou votent blanc pourrait le sauver, dans une certaine mesure, en optant finalement pour un vote utile à gauche afin d’éviter la débâcle. Ce qui aurait pu être une candidature renouvelée a été dynamitée surtout par Morales, qui a élargi la liste des «traîtres» jusqu’à García Linera, son compagnon à la vice-présidence et «copilote» pendant 14 ans.
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Au milieu d’une crise économique marquée par l’épuisement du modèle nationaliste de gauche du MAS – réduction de la production de gaz, inflation élevée, pénurie de carburant et manque de dollars, qui donnent également un air des années 1990 à la situation actuelle –, la politique bolivienne semble incapable de se renouveler. Samuel Doria Medina a été ministre sous le gouvernement de Jaime Paz Zamora, entre 1991 et 1993, et candidat à la présidence pour son parti, Unidad Nacional, à plusieurs reprises. Bien qu’il soit vice-président du Comité de l’Internationale socialiste (IS) pour l’Amérique latine et les Caraïbes, cela en dit plus long sur l’«élasticité» idéologique de l’IS que sur le «socialisme» de Doria Medina, l’un des grands entrepreneurs boliviens. L’économiste a amassé sa fortune dans l’industrie du ciment et possède de nombreux biens immobiliers et hôtels, ainsi qu’une «présence» dans la gastronomie: il est propriétaire de la franchise Burger King et Subway en Bolivie. «Je ne suis pas de la droite dure. En Bolivie, je suis considéré comme centriste, j’ai donc la capacité de parler à tout le monde. Je suis plus pragmatique et je pense que la Bolivie a besoin de pragmatisme», a-t-il déclaré dans une interview en 2024.
Pour accéder à la présidence après tant de tentatives infructueuses, marquées par son manque de charisme personnel, il a construit une large alliance qui comprend l’ancien maire de La Paz Juan del Granado (centre-gauche), l’ancien gouverneur de Santa Cruz Luis Fernando Camacho (droite), actuellement emprisonné, ainsi que plusieurs parlementaires du parti de l’ancien président [de 2003 à 2005] Carlos Mesa Gisbert (centre). Il bénéficie également du soutien de l’homme d’affaires le plus riche de Bolivie, Marcelo Claure, qui partage avec Elon Musk la volonté d’influencer la politique et la fascination pour le trollage sur les réseaux sociaux. Samuel Doria Medina se présente comme l’économiste capable de résoudre la grave crise économique après une décennie et demie de stabilité et de croissance que certains ont qualifiée de «miracle économique» sous le gouvernement du MAS, un «miracle» que peu de gens considèrent aujourd’hui comme tel.
Le politicien et homme d’affaires a souligné, dans une interview accordée à Infobae, que son programme gouvernemental vise à stabiliser le pays au cours des 100 premiers jours de son mandat. Pour ce faire, l’accent sera mis sur la résolution du déficit budgétaire, qu’il attribue principalement à trois facteurs: les subventions aux carburants, les dépenses dans les entreprises publiques inefficaces et le gaspillage dans les dépenses politiques. Son slogan est «Cent jours, bon sang». Il est convaincu que, s’il gagne, les investissements arriveront et que les Boliviens sortiront leurs dollars de leur «matelas bancaire».
Il affirme ne pas avoir copié Javier Milei, dont le slogan est «Vive la liberté, bon sang!». L’homme d’affaires a été victime d’un grave accident d’avion en 2005 et a toujours considéré sa survie comme une sorte de message. La phrase qu’il aurait prononcée, «Carajo, je ne peux pas mourir!», après avoir constaté qu’il était encore en vie, marquera, avec ou sans ironie, sa carrière politique. Il a également survécu à un cancer et à un enlèvement par le Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA) du Pérou: il a été libéré après 45 jours, contre le paiement de plus d’un million de dollars.
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Son adversaire le plus proche est «Tuto» Quiroga, qui a été président par succession constitutionnelle entre 2001 et 2002, après la mort en 2002 d’Hugo Banzer, l’ancien dictateur des années 1970 qui était revenu à la présidence par la voie démocratique en 1997.
En 2005, Quiroga a perdu les élections face à Evo Morales, qui, après avoir obtenu 54% des voix, a entamé son long règne politique. Militant de la droite dure, il a joué un rôle central dans le renversement d’Evo en 2019, en tant que l’un des concepteurs de la stratégie qui a conduit Jeanine Áñez, aujourd’hui emprisonnée, au pouvoir [de novembre 2019 à novembre 2020]. Il a indiqué qu’en cas de victoire, il romprait les liens avec le Venezuela, Cuba et l’Iran («Je n’aurai aucune relation avec ces trois tyrannies troglodytes totalitaires, je n’aurai aucune relation avec ces trois pirates des Caraïbes»), mais il a admis qu’il examinerait le maintien de la Bolivie dans le groupe des BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud], en raison des liens commerciaux avec l’Inde et la Chine. Sa défense de la démocratie, a-t-il précisé, se limite à l’Amérique latine. «L’Azerbaïdjan, le Qatar et les autres… La Chine, le Vietnam… Je respecte leurs systèmes, je ne les partage pas. Je n’aime pas le système du parti unique, mais je le respecte.»
Dans la même interview, il a remis en question le Marché commun du Sud (Mercosur) – «sur le plan commercial, cela ne m’intéresse pas d’y participer car c’est entrer dans une prison commerciale» – et a annoncé qu’il miserait sur un «triangle sud-américain» pour l’exploitation du lithium, avec l’Argentine et le Chili. Dans un style très années 1990, il a déclaré qu’il maintiendrait une «position agressive» pour rechercher des accords de libre-échange avec plusieurs pays, y compris les Etats-Unis. Il s’est toutefois démarqué du protectionnisme de Donald Trump. «Je n’aime pas les pays qui augmentent leurs droits de douane. Je vais réduire les droits de douane et je comprends parfaitement que ma réponse fait référence aux Etats-Unis qui ne sont plus ouverts au libre-échange. Et ce n’est pas seulement le problème de l’administration actuelle. C’est pourquoi, comme le Chili et le Pérou, je vais signer mes propres accords commerciaux avec l’Europe, avec des pays d’Asie et de la région», a-t-il répondu à la chaîne CNN.
Suivant les traces de Milei en Argentine, et essayant même de le surpasser sur le plan rhétorique, il a déclaré qu’il utiliserait «une tronçonneuse, une machette, des ciseaux et tout ce qu’il trouverait» pour réduire les dépenses publiques.
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Samuel Doria Medina recueille environ 21% des intentions de vote dans les sondages et Quiroga le talonne avec 20%. Rodrigo Paz, fils de l’ancien président Jaime Paz Zamora [1989-1993], et le maire de Cochabamba et ancien candidat à la présidence Manfred Reyes Villa arrivent en troisième position. Andrónico Rodríguez apparaît en quatrième ou cinquième position, avec environ 7%. Mais environ 30% des électeurs déclarent qu’ils voteront blanc, nul ou qu’ils n’ont pas encore décidé pour qui voter, ce qui pourrait modifier les résultats, et des doutes subsistent quant au vote dans les zones rurales.
Le nombre de votes nuls et blancs déterminera également la légitimité du nouveau gouvernement, qui devra faire face à un ajustement dans un pays marqué par les révoltes sociales, comme le sait bien Quiroga, qui, en tant que vice-président, a vécu la guerre de l’eau à Cochabamba en 2000.
Morales a contesté le processus électoral et cherchera à éviter d’être arrêté pour «trafic aggravé d’êtres humains», pour avoir entretenu une relation, selon l’accusation, avec une personne qui était mineure au moment où la relation a débuté. Cette affaire, ouverte sous la présidence «intérimaire» de Jeanine Áñez, a été réactivée par le gouvernement d’Arce afin de neutraliser Morales au milieu de la guerre interne.
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La Bolivie semble ainsi revenir à une situation similaire à celle des années 1990, où les crises économiques successives se combinaient à un système politique fragmenté qui nécessitait des arrangements parlementaires constants et qui s’est discrédité en se transformant en un marché de négociation de postes. La victoire même de Morales en 2005 avait été présentée comme la fin de la «démocratie négociée». Aujourd’hui, avec un Parlement qui devrait être dominé par la droite, cette démocratie fragmentée pourrait bien refaire surface. Mais le monde n’est plus dans les années 1990, et la Bolivie non plus. Lorsque je l’ai interviewé en 2005, Doria Medina m’a dit que «la solution n’est pas de mettre [à la présidence] une personne en poncho ou en pollera [robe à trois volants], mais d’apporter des changements à l’économie». Il pourrait répéter la même chose aujourd’hui, 20 ans plus tard. Mais ces secteurs indigènes et populaires ont aujourd’hui une relation différente avec le pouvoir, même si le discours sur la régénération nationale à partir des peuples autochtones s’est essoufflé [la Bolivie a été définie comme Etat plurinational, constitutionnellement, en 2009].
Un point d’interrogation s’ouvre sur la stabilité politique du futur gouvernement. Et sur l’avenir du MAS: cet espace populaire et paysan, qui a été politiquement hégémonique ces dernières années, pourra-t-il surmonter son état de décomposition, de découragement et de confusion, ou reviendra-t-il à la situation des années 1990, lorsque diverses factions paysannes et de gauche dépensaient une grande partie de leur énergie à se faire concurrence?
Aujourd’hui, dans une Bolivie qui a célébré un bicentenaire terne [de son indépendance obtenue le 6 août 1825 et proclamée à Sucre], les candidats qui, hier encore, incarnaient «le passé» affirment que s’ils remportent les élections du 17 août, c’est le MAS qui sera «le passé» et que sa crise est «terminale». Que ce sera la fin d’un long cycle politique. (Article publié sur le site Nueva Sociedad, août 2025; traduction rédaction A l’Encontre)




