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Le PDG de la RATP visé par une plainte pour favoritisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dévoilé par Le Monde dans son édition du 28 novembre 2012, ce rapport – que la Cour des comptes n’a pas rendu public – épinglait la RATP au sujet du marché passé en avril 2009 avec Alstom-Bombardier pour la livraison de 65 rames destinées à la ligne A du RER.
Promesse de Nicolas Sarkozy, le renouvellement des rames du RER A a dû se faire très rapidement. Elles ont été inaugurées par le chef de l'État en personne le 5 décembre 2011. « Il est du devoir du président de la République de s’impliquer dans les transports de la région capitale », déclarait-il alors, à quelques mois de l’élection présidentielle.
De fait, la commande passée par la RATP en 2009 n’a pas permis de faire « jouer ouvertement la concurrence », estime la Cour des comptes. Le choix s’est porté sur un matériel très proche des trains déjà en service, construits par Alstom-Bombardier. Ce qui a permis à ce groupement industriel de faire des propositions très rapidement, et d’être ainsi favorisé par rapport à la concurrence.
Plus grave, la direction de la RATP aurait dissimulé le prix réel des rames à son conseil d'administration, en lui donnant « des coûts prévisionnels très inférieurs à l’estimation réelle », et ce « en toute connaissance de cause », selon les extraits du rapport de la Cour des comptes cités par Le Monde et repris dans la plainte du SAT RATP.
Du coup, « le bas niveau de l’estimation » a pu « contribuer à dissuader les industriels autres qu’Alsthom-Bombardier de déposer une offre », estime la Cour, ce qui a faussé les règles de la concurrence.
Une estimation « leurre » de 20 millions d’euros par train a été fixée par la RATP. Mais lors de la signature du marché, l’offre réelle d’Alstom-Bombardier atteignait 25,8 millions par train. Et le coût final du marché a depuis été réévalué à 2 milliards d'euros par la Cour des comptes, bien loin du 1,3 milliard fixé au départ.
Pour la Cour des comptes, l’absence de mise en concurrence a empêché la RATP de tirer les prix vers le bas, et lui a, au contraire, lié les mains avec une entreprise qui a, par la suite, éventuellement pu saler la note.
À noter : le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), présidé par le socialiste Jean-Paul Huchon, a fait preuve d’une prudence rétrospectivement bienvenue, lorsqu'il a accepté de cofinancer le programme. Dans les premières discussions avec la RATP, en 2008, il était question de commander 130 rames à 10 millions d’euros l’unité. Le STIF a accepté de porter sa participation à 50 % du programme, mais la convention de financement d’avril 2009 stipule bien que le Syndicat des transports d’Île-de-France ne payera que la moitié du coût prévisionnel du programme, c'est-à-dire 650 millions d’euros.
Résultat : l’explosion des coûts a finalement été supportée par la RATP, qui doit régler une addition de 1,35 milliard d’euros.
La justice est saisie depuis vendredi
Le syndicat SAT RATP, qui n’a pas pu obtenir de la Cour des comptes qu’elle lui communique son rapport, a confié le soin à l’avocat parisien Yassine Bouzrou de saisir la justice. Dans sa plainte, le syndicat estime que le PDG de la RATP Pierre Mongin (en poste depuis 2006) a commis des faits de « favoritisme » en procurant un avantage injustifié à Alstom-Bombardier.
Selon le Code pénal (article 432-14), le favoritisme consiste pour une personne exerçant des fonctions publiques à « procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».
Le syndicat SAT RATP estime que Pierre Mongin a également commis les faits d’« entente prohibée » en diffusant des coûts prévisionnels inférieurs à l’estimation réelle. Ce délit (selon l’article L 420-1 du Code de commerce) est constitué si les ententes « tendent à » : « 1° : Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises. 2° : Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse. 3° : Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique. 4° : Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement. »
Par ailleurs, la plainte du syndicat vise également le député (UMP) du Val-de-Marne Gilles Carrez. Président de la commission des finances de l’Assemblée depuis juin 2012, Gilles Carrez a reçu, à ce titre, de la Cour des comptes le rapport sur la RATP.
Le syndicat estime que Gilles Carrez a manqué à ses obligations en ne saisissant pas la justice. Cela en raison de sa participation au conseil d’administration de la RATP et à celui du STIF (il a démissionné du CA du STIF en octobre 2009, quelques semaines après sa nomination à celui de la RATP, les deux postes étant incompatibles).
La prise illégale d’intérêts (selon l’article 432-2 du Code pénal) est « le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
Enfin, la plainte rédigée par Me Bouzrou émet aussi l’hypothèse d’une « complicité » de Nicolas Sarkozy, au motif que ses promesses de campagne, livrer 65 trains en un temps record, auraient incité la RATP à avoir recours au favoritisme.
La RATP et le député Carrez sont « sereins »
Sollicitée par Mediapart, la RATP répond par la voix de sa directrice de la communication, Isabelle Ockrent. « Nous sommes sereins », déclare-t-elle. « Le rapport de la Cour des comptes n’a pas mis en cause d’irrégularités. Il n’y a aucun problème dans la conduite des marchés, qui ont été passés selon une procédure d’appel d’offres européen, et qui ont été approuvés en toute connaissance de cause par le conseil d'administration de la RATP. Nous sommes très satisfaits du résultat, et nos usagers aussi. »
Quant à la question du dépassement des coûts, Isabelle Ockrent estime que c’est un phénomène « habituel », et qu’en l’espèce, « le processus a été extrêmement strict ». Pour le reste, « il y a très peu de fournisseurs capables de produire ce type de matériel, ce n’est pas de notre fait », ajoute-t-elle.
Dans un droit de réponse adressé au Monde, Pierre Mongin précisait que d’autres sociétés s’étaient portées candidates au marché mais n’avaient pas remis d’offre. Le PDG de la RATP assurait par ailleurs que le prix final était « le juste prix pour ce type de matériel ».
Questionné par Mediapart, Gilles Carrez se montre tout aussi serein. « Je reçois tous les dossiers de la Cour des comptes, et je les transmets aussitôt aux rapporteurs spéciaux qui sont compétents, je ne garde que les rapports sur les finances publiques. En l’occurrence, j’ai transmis ce rapport à Olivier Faure » (NDLR : député PS de Seine-et-Marne, et rapporteur spécial du budget infrastructures de transports collectifs et ferroviaires).
Pour ce qui est du marché du RER A, Gilles Carrez rappelle que « la Cour des comptes n’a pas saisi la justice, je n'avais aucune raison de le faire ».
Il estime avoir « défendu le point de vue du Stif au sein de la RATP », et concède toutefois qu’après la signature du contrat, « il y a eu des réévaluations des coûts et des dérapages ».
« Mais en travaillant avec Alstom, qui exploitait déjà des rames à deux niveaux sur cette ligne, on a pris un minimum de risques et on a gagné du temps. C’était un projet prioritaire, la ligne était complètement saturée. Aujourd’hui, l’amélioration est réelle », déclare le député, qui dit être lui-même un « usager » de la ligne A.