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Espagne: une hausse sans précédent des inégalités et de la pauvreté

Espagne

Lien publiée le 19 juin 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) « Nous, les Espagnols, sommes arrivés à un point où nous ne pouvons pas choisir entre rester comme nous sommes et faire des sacrifices. Nous n’avons pas cette liberté. Les circonstances ne sont pas aussi favorables. L’unique option que la réalité nous laisse est d’accepter les sacrifices et de renoncer à quelque chose ou bien de refuser les sacrifices et de renoncer à tout. » C’est ce qu’a dit Mariano Rajoy, le président du gouvernement, le 11 juillet 2012 devant le Congrès, annonçant un coup brutal porté à l’État-providence. Des propos très éloquents qui, au fond, montrent que la démocratie est de plus en plus soumise aux intérêts de ceux qui ne sont pas élus. Le seul doute est de savoir jusqu’à quel point les innombrables coupes budgétaires peuvent être solubles dans la démocratie.

La question apparaît dans les conclusions du Rapport sur la démocratie en Espagne 2013 de la Fondation Alternativas, élaboré avec le concours de nombreux experts. « Les politiques économiques actuelles ne sont pas démocratiquement durables », a affirmé, lors de la présentation de l’étude le 12 juin, la sociologue Belén Barreiro, ex-présidente du Centre de recherches sociologiques (CIS) et directrice du laboratoire d’Alternativas. Car ces politiques ont pour résultat d’accroître la pauvreté et de rendre la « société plus duale, inégale et divisée ».

Le sous-titre de ce rapport de 258 pages en dit long : Un grand saut en arrière. La santé de la démocratie espagnole s’est progressivement détériorée depuis 2008 (année de lancement du premier rapport de cette fondation proche du PSOE) mais a brutalement chuté l’année dernière : le système était noté 5,2 contre 6,2 en 2008. Une baisse d'un point, dont six dixièmes sur la seule dernière année.

Comment se traduit cette érosion de la démocratie ? D’abord par davantage d’inégalité et de fracture sociale. « La crise n’a pas le même prix pour tous », puisque les foyers « les plus vulnérables sont ceux qui en souffrent le plus », écrit Belén Barreiro en prologue. Luis Ayala, l’un des auteurs de l’étude, a expliqué que la crise produit « une inégalité sans précédent ». L’Espagne est aujourd’hui affaiblie parce qu’aucune politique de redistribution n’a été mise en place en période de croissance et que les inégalités n’ont donc pas été réduites alors. Incontestablement, « l’explosion du chômage » et ses répercussions de plus en plus fortes sur les chefs de famille ont amplifié le phénomène comme jamais. Selon Luis Ayala, les « changements rapides dans la structure salariale » et la baisse des salaires ont contribué au renforcement des inégalités. Autrement dit, ce qui atténue le plus les écarts sociaux, ce sont « les pensions, les impôts, la santé et l’éducation, précisément les piliers auxquels on est en train de toucher ».

Le résultat est que l’Espagne est aujourd’hui l’un des trois pays qui enregistrent le plus fort taux d’inégalité, juste après la Bulgarie et la Lettonie. « Même dans les pays qui ont bénéficié d’un plan de sauvetage, comme la Grèce ou l’Irlande, cet indice n’a autant augmenté. » Les revenus moyens ont été affectés et les revenus faibles se sont effondrés, alors que les hauts revenus « ont continué à augmenter au-dessus de la moyenne ». Le risque d’exclusion sociale de beaucoup de foyers s’en est trouvé augmenté en conséquence.

Les perspectives sont très sombres, selon Luis Ayala, parce qu’on peut prévoir que les taux d’inégalité et de pauvreté vont se maintenir malgré la reprise, de la même façon que les périodes de croissance n’ont pas été mises à profit pour réduire la brèche sociale. « L’avenir qui nous attend est un retour au passé, avec des indicateurs d’inégalité que l’on n’avait pas vu depuis deux ou trois décennies. »

L’euroscepticisme prend du poids

Deuxième conclusion du rapport : la hausse de l’euroscepticisme, des « critiques des politiques d’austérité et du déficit démocratique de l’Union européenne ». Les citoyens ont le sentiment de « ne pas être maîtres de leur propre destin », précise Belén Barreiro. D’où le constat que la démocratie est de plus en plus « sous contrôle », que « les élections ne sont pas l’instrument utile qu’elles devraient être ». Et elles ne le sont pas, explique la sociologue, parce que le parti socialiste (PSOE) a été écarté du pouvoir principalement pour avoir mis en place des politiques d’austérité à partir de 2010 et que le parti populaire (PP), qui avait promis qu’il n’y aurait plus de coupes budgétaires ni de corruption, fait finalement le contraire depuis qu’il dirige le gouvernement.

« Les politiques ne sont pas durables seulement en termes économiques mais aussi en termes démocratiques, avec un minimum de soutien des citoyens. Jusqu’à quel point peut-on mener des politiques non durables démocratiquement ? » s’est demandé Belén Barreiro. Comme l’explique bien le rapport, « le mécontentement populaire envers les politiques d’austérité et l’ordre public qui les soutient » a continué à augmenter, mais cela n’a pas suffi à faire changer de manière « notable » ces politiques, ni les formes « peu démocratiques » par lesquelles elles ont été « imposées ». La durabilité politique à moyen et long terme de ces politiques est plus que douteuse, prévient le rapport.

Pour quelle raison ? Il faut écouter les réponses de la rue, disent les auteurs, c’est là que se trouvent une grande « forteresse », un « rayon » d’optimisme : « La société n’est pas endormie, les citoyens ne sont pas indifférents. » En Espagne, rappelle Ignacio Urquizu, sociologue à l’université madrilène Complutense et l’un des auteurs du rapport, il existe un plus fort intérêt pour la politique et les citoyens se mobilisent plus (36 000 manifestations en 2012, presque le double de l’année précédente et le triple par rapport à 2006). Pourtant, pas d’explosion sociale.

« Mais à moyen terme, quand l’Espagne va se redresser et que les gens n’auront plus peur, ils réclameront une base démocratique aux politiques économiques », estime Belén Barreiro. Pas avant ? « Les manifestations empêchent Mariano Rajoy de dormir ? J’en doute. Des effets réels ? Aucun. Il est sain que les gens protestent si le vote ne sert à rien, à condition que les manifestations restent pacifiques. Je ne sais pas quel pourcentage il faudrait pour que ces politiques marquent le pas… Si 70 % des gens manifestaient, peut-être qu’il y aurait des changements. » Il faudrait aussi, admet-elle, la goutte qui fait déborder le vase, une étincelle qui allume finalement le feu. « Et les conditions pour que le feu prenne sont là », dit-elle.

Troisième conclusion : ces blessures démocratiques laissent une société « politiquement orpheline », dans laquelle « un électeur sur deux ne sait pas pour qui voter », donnée insolite dans la démocratie espagnole. La sociologue fait remarquer une donnée récurrente dans les enquêtes : la crise du bipartisme et l’évaluation « négative » du gouvernement comme de l’opposition, qui s’accompagne d’une « certaine croissance des petits partis ».

On peut dès lors parler de « crise de la démocratie ». « L’Espagne est 17 points au-dessus de la moyenne européenne en ce qui concerne l’insatisfaction envers le système », analyse l’ex-présidente du CIS. Pour Ignacio Urquizu, la crise politique « va au-delà de la crise économique », parce qu’elle englobe la forte corruption, les coupes budgétaires, l’éloignement entre élus et électeurs, « l’attaque » des droits économiques, sociaux et syndicaux… De plus, la crise s’étend à d’autres institutions, comme les communautés autonomes régionales. En ce sens, Barreiro et Urquizu ont relevé la « polarisation » des opinions par rapport aux autonomies.

« Érosion » en Espagne et en Europe

Ignacio Urquizu explique que le peuple et les experts ont le sentiment que le pouvoir économique « conditionne plus que jamais » la politique et que l’« érosion démocratique », a une double dimension. En Espagne, on la remarque dans la manière de gouverner de Mariano Rajoy, « sans débat et sans se préoccuper de l’opposition », à coups de décrets (29 au cours des douze premiers mois de la législature). En Europe, elle concerne « l’intrusion » de l’Union européenne dans les affaires qui ne la concernent pas, par exemple quand la Banque centrale européenne (BCE), institution non élue, donne des « ordres » à Madrid et Rome sur les retraites, la santé ou la réforme de la Constitution : « L’Europe est allée trop loin. »

En ce qui concerne la monarchie, elle n’est que brièvement évoquée dans cette étude alors qu’elle connaît elle aussi une profonde crise. En fait, l’étude pour ce rapport a commencé un an avant sa publication et la Couronne figurera dans le prochain. La perte de crédit de l’institution monarchique était latente depuis plusieurs années, notamment parce que les plus jeunes s’y sentent moins liés que leurs aînés, a rappelé Belén Barreiro. Les soupçons de corruption pesant sur Iñaki Urdangarin, le gendre du roi, ont « accéléré » sa chute dans l’opinion, d’autant que le Palais de la Zarzuela a réagi de façon « peu stratégique ».

Au cours de la présentation du rapport, le recul du bipartisme a été largement discuté, ainsi que les chances électorales des partis minoritaires, comme Izquierda Unida (IU) et Unión Progreso y Democracia (UPyD), cailloux dans le pied du PSOE ou du PP, selon les régions. Même si ces partis gagnent du terrain, ils n’ont pas réussi à « canaliser tout le mécontentement » parce que beaucoup « pensent que c’est du pareil au même », expliquent Ignacio Urquizu et Belén Barreiro.

« Comment des partis dirigés par des hommes de plus de 60 ans peuvent-ils donner une image de renouveau et de fraîcheur ? » s’interroge l’ex-présidente du CIS. Elle n’exclut d’ailleurs pas l’apparition d’une nouvelle formation dirigée par un leader connu comme le régionaliste Miguel Angel Revilla ou par les plateformes sociales. Un Beppe Grillo à l’espagnole en somme. Quant à la direction du PSOE, elle juge « scandaleux » le manque d’appui à son secrétaire général, Alfredo Pérez Rubalcaba.

Le patriarche socialiste Felipe González a, lui, demandé au PSOE et au PP de se bouger pour retrouver la confiance des citoyens. En guise de solutions, il a proposé de rendre les primaires obligatoires pour tous les partis ou de « stimuler la mobilité sociale sur les réseaux » pour la transformer en un « activisme qui influence les décisions du pouvoir ». Il s’est aussi inquiété de l’apparition de mouvements populistes, démagogues ou nationalistes, qui proposent des solutions magiques ou se posent en « sauveurs de la patrie ». « Certains sont déjà sur ce terrain », a-t-il glissé, faisant clairement allusion à José María Aznar, l’ancien président (PP) du gouvernement, qui ne cesse de dire ses quatre vérités à Rajoy.