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Pierre Tevanian et la haine de l’athéisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.icl-fi.org/francais/lebol/204/tevanian.html
Pierre Tevanian et la haine de l’athéisme
Face au déchaînement des LO et autres militants de gauche qui bavent de rage contre les femmes voilées, rares sont les voix qui s’élèvent pour prendre la défense de ces dernières. Pierre Tevanian, animateur du Collectif Les mots sont importants, s’est fait connaître il y a maintenant près de dix ans lors de la lutte contre la première loi raciste de Chirac interdisant le foulard islamique à l’école. Il a publié des témoignages courageux de femmes persécutées pour leur voile. Il vient de sortir un petit livre, la Haine de la religion – Comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche, pour dénoncer le fanatisme laïcard de la gauche officielle des Hollande, Grond et Arthaud et des idéologues capitalistes républicains à la Michel Onfray qui font la chasse aux femmes voilées (des militants du NPA font activement la promotion du livre de Tevanian, maintenant que Grond est passé du NPA au Front de gauche de Mélenchon).
Tevanian, professeur de philosophie dans l’Education nationale et idéaliste lui-même comme il se doit, a recours à force belles citations de Marx, Lénine et Trotsky. Mais Tevanian les interprète abusivement pour faire croire que ces grands penseurs marxistes se seraient opposés à la lutte contre la religion, que la religion devait en quelque sorte être une non-question pour les marxistes ; évidemment Tevanian le fait au service de sa propre politique, qui est de capituler en rase campagne devant la réaction islamique et devant le voile, symbole de l’oppression des femmes dans toutes les religions du Livre. L’argument de Marx, c’est que pour en finir avec les fantasmagories religieuses où se réfugient les opprimés pour se consoler de leur oppression sur terre, il faut en finir avec cette oppression bien matérielle en renversant le système capitaliste qui crée ce besoin illusoire de consolation ; ce qui ne veut pas dire ne pas lutter contre les fantasmes religieux.
Quant à Lénine, il s’opposait effectivement aux prétextes laïcs utilisés par les socialistes français pour soutenir politiquement des gouvernements capitalistes au début du XXesiècle, à l’époque de la séparation de l’Eglise et de l’Etat (loi de 1905) ; il écrivait ainsi en 1909 (« De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion », un texte que connaît Tevanian mais dont il ne cite pas ce passage) que « les gouvernements bourgeois ont essayé à dessein de détourner du socialisme l’attention des masses en organisant une “croisade” pseudo-libérale contre le cléricalisme ».
Il est bien utile de lire toutes les citations que produit Tevanian, et qui montrent en dépit de Tevanian lui-même que les grands penseurs marxistes étaient farouchement matérialistes, convaincus de la nécessité de lutter contre l’idéalisme dont sont empreintes par définition toutes les religions. Evidemment Tevanian se garde bien de citer le passage suivant de l’Etat et la révolution, un ouvrage fondamental de Lénine écrit en 1917 ; d’abord Lénine cite un passage d’Engels disant que sous la Commune la religion était affaire privée « par rapport à l’Etat », et Lénine ajoute :
« C’est à dessein qu’Engels a souligné les mots “par rapport à l’Etat” ; ce faisant, il portait un coup direct à l’opportunisme allemand, qui déclarait la religion affaire privée par rapport au parti et ravalait ainsi le parti du prolétariat révolutionnaire au niveau du plus vulgaire petit bourgeois “libre penseur”, qui veut bien admettre qu’on ne soit d’aucune religion, mais abdique la tâche du parti : combattre l’opium religieux qui abêtit le peuple. »
C’est on ne peut plus clair. Et Lénine disait déjà douze ans auparavant, dans un texte de 1905 que cite Tevanian (mais justement pas ce passage), que le parti révolutionnaire « lors de sa fondation, s’est donné pour but, entre autres, de combattre tout abêtissement religieux des ouvriers. Pour nous, la lutte des idées n’est pas une affaire privée ; elle intéresse tout le Parti, tout le prolétariat » (« Socialisme et religion », 3 décembre 1905).
En falsifiant la position marxiste sur la religion, Tevanian permet aux inquisiteurs antimusulmans du PS, du PG et de LO de se donner le beau rôle avec leurs grands airs d’être les seuls militants antireligieux protecteurs des femmes opprimées. En fait il enjolive la véritable position de Lutte ouvrière, qui moins qu’un débordement de conviction athéiste est une capitulation devant la campagne raciste de la bourgeoisie française. N’en déplaise au professeur de philosophie idéaliste, Tevanian dessert ainsi la cause de la lutte contre l’oppression des femmes voilées. Il faut un parti bolchévique pour combattre l’idéologie bourgeoise dans la classe ouvrière, que celle-ci s’exprime sous une forme religieuse ou sous la forme d’une capitulation aux campagnes racistes du gouvernement. Seul le bolchévisme véritable peut donner une perspective pour lutter à la fois contre l’« abêtissement religieux des ouvriers » par les capitalistes et contre l’exploitation par les capitalistes de cet abêtissement pour diviser les ouvriers entre eux : la perspective de la révolution socialiste internationale pour établir une société où les travailleurs n’auront plus à se consoler de leur misère terrestre par des lubies célestes.
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Voir aussi http://www.icl-fi.org/francais/lebol/204/duhring.html
Monsieur Dühring interdit la religion
Friedrich Engels et le « socialisme prussien »
Ce texte est extrait de la polémique de Friedrich Engels, l’Anti-Dühring (1878).
* * *
On [Monsieur Dühring] interdit la religion.
Or, toute religion n’est que le reflet fantastique, dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres prennent la forme de puissances supraterrestres. Dans les débuts de l’histoire, ce sont d’abord les puissances de la nature qui sont sujettes à ce reflet et qui dans la suite du développement passent, chez les différents peuples, par les personnifications les plus diverses et les plus variées. Ce premier processus a été remonté par la mythologie comparée, du moins pour les peuples indo-européens, jusqu’à son origine dans les Védas de l’Inde, puis dans sa continuation, il a été montré dans le détail chez les Hindous, les Perses, les Grecs, les Romains et les Germains, et dans la mesure où nous avons suffisamment de documents, également chez les Celtes, les Lithuaniens et les Slaves. Mais bientôt, à côté des puissances naturelles, entrent en action aussi des puissances sociales, puissances qui se dressent en face des hommes, tout aussi étrangères et au début, tout aussi inexplicables, et les dominent avec la même apparence de nécessité naturelle que les forces de la nature elles-mêmes. Les personnages fantastiques dans lesquels ne se reflétaient au début que les forces mystérieuses de la nature, reçoivent par là des attributs sociaux, deviennent les représentants de puissances historiques. A un stade plus avancé encore de l’évolution, l’ensemble des attributs naturels et sociaux des dieux nombreux est reporté sur un seul dieu tout-puissant, qui n’est lui-même à son tour que le reflet de l’homme abstrait. C’est ainsi qu’est né le monothéisme, qui fut dans l’histoire le dernier produit de la philosophie grecque vulgaire à son déclin et trouva son incarnation toute prête dans le Dieu national exclusif des Juifs, Jahvé. Sous cette figure commode, maniable et susceptible de s’adapter à tout, la religion peut subsister comme forme immédiate, c’est-à-dire sentimentale, de l’attitude des hommes par rapport aux puissances étrangères, naturelles et sociales, qui les dominent, tant que les hommes sont sous la domination de ces puissances. Or nous avons vu à maintes reprises que, dans la société bourgeoise actuelle, les hommes sont dominés par les rapports économiques créés par eux-mêmes, par les moyens de production produits par eux-mêmes, comme par une puissance étrangère. La base effective de l’action réflexe religieuse subsiste donc et avec elle, le reflet religieux lui-même. Et même si l’économie bourgeoise permet de glisser un regard dans l’enchaînement causal de cette domination étrangère, cela ne change rien à l’affaire. L’économie bourgeoise ne peut ni empêcher les crises en général, ni protéger le capitaliste individuel des pertes, des dettes sans provision et de la faillite, ou l’ouvrier individuel du chômage et de la misère. Le proverbe est toujours vrai : l’homme propose et Dieu dispose (Dieu, c’est-à-dire la domination étrangère du mode de production capitaliste). La simple connaissance, quand même elle irait plus loin et plus profond que celle de l’économie bourgeoise, ne suffit pas pour soumettre des puissances sociales à la domination de la société. Il y faut avant tout un acte social. Et lorsque cet acte sera accompli, lorsque la société, par la prise de possession et le maniement planifié de l’ensemble des moyens de production, se sera délivrée et aura délivré tous ses membres de la servitude où les tiennent présentement ces moyens de production produits par eux-mêmes, mais se dressant en face d’eux comme une puissance étrangère accablante ; lorsque donc l’homme cessera de simplement proposer, mais aussi disposera, – c’est alors seulement que disparaîtra la dernière puissance étrangère qui se reflète encore dans la religion, et que par là disparaîtra le reflet religieux lui-même, pour la bonne raison qu’il n’y aura plus rien à refléter.
Au contraire, M. Dühring ne peut pas attendre que la religion meure de cette mort naturelle qui lui est promise. Il procède de façon plus radicale. Il est plus bismarckien que Bismarck ; il décrète des lois de mai aggravées, non seulement contre le catholicisme, mais contre toute religion en général ; il lance ses gendarmes de l’avenir à la poursuite de la religion et ainsi il l’aide à accéder au martyre et prolonge sa vie. Où que nous regardions, c’est du socialisme spécifiquement prussien !