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Salaire des fonctionnaires: le poker menteur de Peillon

Lien publiée le 10 février 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Malgré ses dénégations, Vincent Peillon a bien proposé le gel de l'avancement automatique des fonctionnaires, la moins mauvaise des solutions, selon lui, pour contribuer à la baisse des dépenses publiques. Il s'est surtout résolu à sacrifier l'éducation nationale sur l'autel de la politique de compétitivité des entreprises.

C’est l’histoire d’un déjeuner qui passe mal. Et qui laisse, depuis mercredi dernier, à ceux qui y ont participé un arrière-goût amer. Ces jours derniers, Vincent Peillon a multiplié les démentis les plus énergiques concernant son intention de geler l’avancement des fonctionnaires de l’éducation nationale. Le projet dévoilé mercredi soir sur le site des Échos révèle que le ministre doit faire cette proposition à Bercy dans le cadre de l’objectif de réduction des dépenses publiques de 50 milliards d’ici 2017. Jeudi matin, le ministre dément sur toutes les ondes cette « rumeur » : « Je n’ai pas fait cette proposition, je ne la ferai pas », assure le ministre de l’éducation nationale, qui s’indigne devant des affirmations qui n’ont « pas de sens », déclare-t-il notamment sur France Inter. Signe que l’heure est grave, le premier ministre vole à son secours pour lui aussi évoquer une « rumeur » ridicule jeudi matin sur France 2.

À Mediapart, qui interroge l’entourage du ministre pour savoir par conséquent d’où peut venir une telle information, si la fuite peut venir de Bercy, on répond qu’il n’y a« rien à comprendre » puisque la « rumeur a été démentie clairement », avant de répondre, avec une joyeuse ironie, qu’il s’agit peut-être d’un « coup de la droite »…  

Vincent PeillonVincent Peillon

L’affaire est pourtant grave. Pour les médias qui ont sorti l’information, Les Échos et Le Figaro notamment, pas question de faire marche arrière. D’autant qu’ils sont particulièrement sûrs de ce qu’ils affirment… puisqu’ils l’ont entendu de la bouche du ministre !

Mercredi, juste avant de se rendre à Bercy où le ministre devait exposer la manière dont son ministère allait participer à la réduction des dépenses publiques, le ministre organise un déjeuner avec cinq journalistes. À sa table, comme Mediapart se l’est fait raconter par plusieurs participants, un petit groupe de journalistes de la presse politique et économique qui se connaissent bien : un éditorialiste des Échos, un journaliste de France Info, le directeur délégué du Figaro, un rédacteur en chef de Challenges et un éditorialiste de Sud-Ouest. Il s’agit de parler de l’actualité politique et surtout, compte-tenu de la sensibilité des participants, des difficultés économiques du gouvernement. Vincent Peillon est accompagné d’Alexandre Siné, son directeur de cabinet, un ancien de Bercy, et de sa conseillère en communication Anaïs Lançon. Rien n’est laissé au hasard ni à l’improvisation.

« Très vite la discussion s’engage sur la façon dont le gouvernement va trouver 50 milliards d’économie et comment son ministère va être impacté », raconte à Mediapart un participant. Vincent Peillon, qui avait évidemment anticipé la question, présente alors son plan. Il est clair : pour faire des économies à la mesure du colossal effort demandé par François Hollande, il faut geler l’avancement automatique à l’ancienneté de toute la fonction publique. « Ce n’était pas du tout une petite phrase glissée entre le fromage et le dessert. Nous avons parlé de cela pendant près d’une demi-heure », raconte un participant.

Son directeur de cabinet, un ancien de Bercy, chiffre précisément l’économie potentielle : entre 600 et 800 millions d’euros par an soit 1,2 milliard pour l’ensemble de la fonction publique. Un chiffre directement sorti d'un rapport de la Cour des comptes présenté au mois de juin. Alexandre Siné évoque aussi le rapport de l’inspection générale des finances de 2012, qui avait déjà travaillé à ces scénarios de maîtrise de la dépense publique.

Devant les journalistes un peu surpris de ce qu’ils entendent, surtout à quelques semaines des municipales et qui ne manquent pas d’interroger le ministre sur le risque politique d’une telle mesure, Vincent Peillon – comme l’a d’ailleurs raconté Olivier de Lagarde dans sa chronique de France Info – invoque un nécessaire courage politique face à une situation économique particulièrement dégradée. S’agissait-il de propos off ? Pour un participant, la frontière du « off » et du « on » était particulièrement claire. « Il était absolument évident que nous pouvions tout écrire. La seule chose que sa conseillère en communication nous a demandé, c’était de ne pas le mettre directement dans la bouche du ministre. Il nous a par ailleurs, comme souvent dans ces déjeuners, glissé quelques petites phrases sur tel ou tel ministre. Cela, bien sûr, il n’était pas question de le publier », explique un journaliste présent.

À quoi joue donc Vincent Peillon ? Interrogé sur le récit circonstancié du déjeuner par plusieurs journalistes, le cabinet répond, visiblement agacé : « Ils ont fait le coup qu'ils veulent et ils disent ce qu'ils veulent. Nous démentons fermement. je crois que les choses ont été dites suffisamment clairement par le ministre. » Difficile, même si le ministre en a déjà fait quelques-unes, d’imaginer qu’il s’agit d’une gaffe puisque sa communication n’avait rien d’improvisé. Pourquoi avoir alors dès le soir même couru de radio en radio pour démentir une information qu’il avait longuement et précisément développée le jour même devant cinq grands médias ? « C’est peut-être un ballon d’essai, c’est peut-être un coup de billard à dix-huit bandes… Avec lui on n'est sûr de rien », juge sévèrement un responsable syndical. « Ce qui est certain, c’est que c’est la meilleure manière d’avoir cinq millions de personnes dans la rue avant les municipales. »

À peine les révélations des Échos parues, tous les syndicats de la fonction publique ont dénoncé ce qu'ils considèrent comme une déclaration de guerre. « Il a peut-être voulu tester cette piste dans l’opinion parce que Bercy sinon veut lui imposer de revenir sur les 60 000 postes programmés sur le quinquennat », estime le même responsable. Or, revenir sur cette promesse emblématique de la campagne de François Hollande serait symboliquement dévastateur.

Une chose est sûre, dans ce nouvel épisode de faux-semblants qui a vu la parole politique décrédibilisée, le virage de l’austérité n’épargnera pas l’éducation et Vincent Peillon s’y est visiblement résolu. Malgré les engagements de sanctuariser les moyens de l’éducation nationale, « priorité des priorités » pour François Hollande, la refondation de l’école passera après la compétitivité des entreprises. Pourquoi ne pas l’assumer publiquement ? Parce que, sans doute, le reniement est trop grand.