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Valls au bord de la crise de confiance
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Mardi, à l’Assemblée, malgré une communication ultra-huilée, le nouveau premier ministre n’a pas su convaincre toute la majorité présidentielle sur son programme digne de la « troisième voie » de Tony Blair et de Gerhard Schröder. Onze socialistes se sont même abstenus tandis que d'autres annoncent qu'ils ne voteront pas le pacte de responsabilité "en l'état".
Il n’y a pas eu de surprise. Mardi, à l’Assemblée, Manuel Valls est resté conforme à ce qu’il cherche à incarner depuis son arrivée à Matignon : une communication ultra-huilée et des mesures dignes de la « troisième voie » de Tony Blair et Gerhard Schröder. Mais son choix réduit peu à peu la majorité présidentielle qui a élu François Hollande.
La surprise est donc venue de l'hémicycle. À l’issue du discours de politique générale, onze élus PS se sont abstenus, tous membres de l’aile gauche à l’instar d’Henri Emmanuelli, Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan ou Jérôme Guedj. Ce n'était jamais arrivé pour le parti au pouvoir depuis le début de la Ve République. Six députés écologistes ont fait de même (mais dix ont voté la confiance), ainsi que ceux du Front de gauche.
Valls fait donc moins bien que Jean-Marc Ayrault qui avait fait le plein au PS et auprès des écologistes – il avait obtenu 302 voix, contre 306 pour Valls mais, à l’époque, il manquait 25 députés nommés ministres en 2012 et dont les suppléants ne pouvaient pas encore voter. Quant aux 88 députés socialistes auteurs d’un appel à une réorientation de la politique gouvernementale, l’écrasante majorité a voté la confiance mais ils ont prévenu que cela ne valait pas approbation du pacte de responsabilité, soumis dans les prochaines semaines au vote de l’Assemblée. "Nous confirmons qu’après ce vote d’investiture, nous ne saurions adopter le pacte de responsabilité en l’état. Nous ferons des contre-propositions et des amendements", affirment dans un communiqué les initiateurs de cet appel.
Le nouveau premier ministre a pourtant multiplié les gestes d’ouverture vis-à-vis des députés, promettant de les associer pleinement à l’action gouvernementale. Cette promesse n’a pas suffi. Car mardi, avec l’aval de François Hollande, Manuel Valls a balayé, dans son discours de politique générale, les demandes de « plus de gauche et de plus d’écologie », relayées par des socialistes sonnés par la défaite, l’idée de « rééquilibrer » la politique gouvernementale, pour partie défendue par Jean-Marc Ayrault avant son départ forcé, et la« remise à plat » de la fiscalité portée par l’ex-premier ministre, mais dont l’Élysée ne voulait pas.
À ce titre, cette fameuse « réforme fiscale », promesse de campagne de François Hollande, fait figure de symbole. À la place, Valls a repris – comme le président dans tous ces derniers discours depuis septembre 2013 – le credo du « ras-le-bol fiscal » lancé par Pierre Moscovici l’été dernier. À l’époque, de nombreux socialistes, y compris des ministres comme Bernard Cazeneuve, avaient déploré que le ministre des finances ne défende pas la vertu de l’impôt, identitaire à gauche. Mardi, Valls n’en a dit mot. En revanche, il a dénoncé« la feuille d’impôts déjà trop lourde » et annoncé qu’il « faut en finir avec l’inventivité fiscale qui génère une véritable angoisse chez nos concitoyens ».
Le « pacte de responsabilité » (devenu à la deuxième mention de son discours le « pacte de responsabilité et de solidarité » selon la nouvelle formule forgée à l’Élysée et qui ressemble au « pacte de développement et de solidarité » de Lionel Jospin en 1997) est à l’avenant. Conforme aux déclarations de François Hollande le 14 janvier dernier. Et conforme à l’orientation toute schröderienne de la politique menée par le gouvernement depuis l’automne 2012.
Au-delà des mesures précises (lire ici leur décryptage par Laurent Mauduit), les mots choisis par Manuel Valls sont révélateurs : « pragmatisme » (« la croissance ne se décrète pas, elle se stimule avec pragmatisme et volontarisme »), « libérer les énergies »,« démarche positive », « oser ces compromis positifs et créatifs » (à propos du pacte), et bien sûr « modernité ». « Les divergences d’intérêt existent, il ne s’agit pas de les effacer mais de les dépasser, pour l’intérêt général. C’est ça la modernité ! » a lancé Valls dans l’hémicycle plein comme un œuf.
Il y a quinze ans, Tony Blair et Gerhard Schröder signaient le manifeste de la « troisième voie » et ils écrivaient dès le deuxième paragraphe : « La plupart des gens ont depuis longtemps abandonné toute vision du monde fondée sur le clivage entre les dogmes de la gauche et de la droite. » Avant de remplacer la conception de la société divisée en classes sociales aux intérêts divergents par « les gagnants et les perdants ». Comme eux à l’époque, Manuel Valls a promis mardi une diminution de l’impôt sur les sociétés.
En échange, la majorité mettra évidemment en avant les phrases un peu plus offensives qu’à l’ordinaire sur l’austérité voulue par Bruxelles et sur « l’euro fort », l’ambitieuse réduction du millefeuille territorial promise, et surtout les mesures annoncées pour les ménages les plus modestes.
Leur chiffrage (5 milliards d’euros pour l’instant) est cependant très loin d’atteindre celui des aides aux entreprises, avec 30 milliards d’euros d’allègements du coût du travail, auxquels s’ajoutent les baisses d’impôts (6 milliards pour la suppression de la C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés, et la baisse de l’impôt sur les sociétés non-chiffrée par M. Valls mardi). Surtout, elles risquent de faire pâle figure à côté des 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans, confirmés par le premier ministre.
À ce propos, Manuel Valls a eu mardi une formulation qui a fait sursauter plusieurs conseillers de l’exécutif sur la répartition des économies (19 milliards pour l’État, 10 milliards pour l’assurance-maladie et 10 milliards pour les collectivités locales). « Le reste viendra d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure lisibilité de notre système de prestations », poursuit alors Valls. « C’est là qu’il y aura du sang et des larmes », soufflait à la sortie un proche de François Hollande.
« Tout le détail n’est pas encore calé. Mais ce ne sera pas 10 milliards d'euros de prestations sociales en moins… Cela viendra notamment de la meilleure gestion des caisses et de la modernisation des services. Comme pour les collectivités locales. Même chose pour l’assurance-maladie : les économies prévoiront surtout une réorganisation des hôpitaux et une baisse du prix des médicaments », tempérait dans la foulée un conseiller du pouvoir. Avant d’excuser une « maladresse de formulation » – un comble pour un premier ministre qui mise autant sur la communication.
« Manuel n'a pas de ligne. Il va faire le service après-vente »
Car c’est là l’essentiel de la mise en scène voulue par Manuel Valls, spécialiste du genre. Il l’a prouvé en tant que directeur de la communication du candidat Hollande pendant la campagne et par un soin tout sarkozyste à gérer les caméras et les radios place Beauvau. Selon Le Monde, son grand ami, le communicant Stéphane Fouks, était à ses côtés au ministère de l’intérieur dans les heures précédant sa nomination à Matignon.
Depuis une semaine, Manuel Valls a déjà « séquencé » son arrivée aux responsabilités, en annonçant en deux temps le gouvernement (mercredi dernier pour les 16 ministres de plein exercice, avant la liste des secrétaires d’État attendue mercredi 9 avril). Il a fait le 20H de TF1 pour une prestation lisse mais sans cafouillages et la Une du Journal du dimanche quatre jours plus tard où l’on a appris que son chien s’appelait Homère et qu’il obéissait au nouveau maître de Matignon.
Il a fait fuiter son programme alimentaire (jusqu’à son appétit pour la « viande rouge ») et laissé entrer les caméras d’i-Télé avant le discours de politique générale. Pour dire à la télévision des phrases très calibrées comme : « Ce rythme, moi je l’aime. » Ou : « J’ai besoin de sortir. Il faut essayer de faire une vie normale. » Quant au discours de politique générale, il lui a trouvé un titre qui parle bien plus de méthode, avec des mots clés publicitaires, que du fond de sa politique : « vérité, efficacité, confiance ».
L’exécutif s’est convaincu que les candidats socialistes aux municipales ont avant tout souffert de l’incapacité chronique du gouvernement de Jean-Marc Ayrault à « vendre » sa politique et à mettre en scène l’action publique. « Manuel n’a pas de ligne. C’est celle de François Hollande. Manuel, c’est une méthode et une priorisation des dossiers. Il va faire le service après-vente, explique un proche du nouveau premier ministre. C’est ce que nous demandaient les électeurs. Dans l’entre-deux tours des municipales, j’ai entendu dans les quartiers de gauche le reproche d’amateurisme. Le mot le plus gentil, c’était “bons à rien”. »
« On assume le réformisme et les politiques structurelles. C'est vallsien. L'électorat socialiste nous a sanctionnés parce que nous étions confus et que nous n'assumions pas. Nos couacs ont embrouillé le message et entraîné la gauche dans une spirale déprimante », jure aussi un conseiller du groupe socialiste à l’Assemblée. « C’est un type de communication d’entreprise avec des objectifs, et la volonté de réhabiliter la parole publique », s’enthousiasmait aussi à la sortie le porte-parole du groupe PS Thierry Mandon.
Sauf qu’à réduire la politique à un slogan de communication et à dépolitiser sans fin les votes des électeurs, Manuel Valls pourrait être pris au piège d’une de ses phrases, prononcées mardi : « La parole publique est devenue une langue morte. »