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La « république de Donetsk » ? Onze étages sans ascenseur
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Une république qui fonctionne sur onze étages sans ascenseur est un conceptgéopolitique incertain. Mais l'incertitude est devenue le nouveau parfum de l'Ukraine, pays en danger où la visibilité politique ne se compte plus qu'en heures. Il faut donc prendre au sérieux ces jeunes hommes masqués et armés de bouts de bois que l'on croise par dizaines, en empruntant l'escalier de l'administration régionale à Donetsk.
Le bâtiment a été pris le 6 avril par des militants prorusses. Depuis, une fourmilière anarchique s'est développée. On y transporte des bocaux de légumes, des biscuits et de l'eau. On déplace des meubles, on érige des protections contre d'éventuels assaillants. Les ascenseurs ont été coupés pour empêcher un assaut par le sous-sol. On monte la garde, on organise une circulation alternée à cause de l'étroitesse du passage, on se donne des airs de conspirateur.
Et puis, il y a le onzième étage, celui des représentants politiques, où le mobilier n'a pas été dégradé. C'est là que la « république nationale de Donetsk » prétendaccomplir ses premiers pas. Elle a son sceau. Elle dispose d'un conseil populaire de 82 membres qui se crient dessus pour des virgules, rassemblés dans une salle de réunion ouverte à quelques journalistes. Et puis, il y a un présidium de douze personnes. Sa voix officielle est celle de Denis Pouchiline.
CRÉER AU PLUS VITE UNE « ARMÉE POPULAIRE »
Ce jeune homme de 32 ans originaire de Makiivka (11 km au nord-est de Donetsk) est apparu, lors des manifestations à Donetsk organisées depuis un mois, comme l'adjoint du « gouverneur populaire », Pavel Goubarev, arrêté par les autorités. Sur Internet, il est surtout connu comme l'un des cadres en Ukraine de l'entreprise MMM, la pyramide de Ponzi la plus ravageuse dans l'ère postsoviétique, avec des centaines de milliers d'investisseurs. C'est lui qui intervient devant la presse pour présenter les propositions qu'aurait adressées le gouverneur, l'oligarque Sergueï Tarouta, à la « république ».
Au cœur des négociations se trouvent, selon Denis Pouchiline, la tenue d'un référendum sur le statut du Donbass, une amnistie générale, ainsi que des « patrouilles communes » avec la police de Donetsk, dans un parallélisme évident avec les nationalistes de Pravyi Sektor (« Secteur droit ») à Kiev, après la révolution de Maïdan. Enfin, pas question de déposer les armes, tout juste de seretirer des deux derniers étages du siège si les demandes de la « république » sont entendues. Le gouvernement provisoire veut aussi créer au plus vite une «armée populaire ».
Les autorités régionales, elles, n'ont qu'un objectif : l'évacuation du bâtiment, pourcrever l'abcès. Une logique imparable il y a deux jours encore, qui ne l'est plus, car la contestation coagule vite des colères multiformes, qui pourraient s'exprimer en d'autres lieux. Quelques mineurs sont apparus devant le siège de l'administration, effarés par la perte de leur pouvoir d'achat : la hryvnia a chuté de 10,9 pour un euro au 1er janvier à 16,3, selon la Banque nationale. Le premier ministre, Arseni Iatseniouk, a dû percevoir cet engrenage : il s'est rendu à Donetsk vendredi, plus d'un mois après sa nomination. Puis viendra le week-end, qui permettra à de nombreux salariés de venir devant le siège, devenu le symbole de la défiance du Donbass contre le pouvoir central.
« SI ON NOUS TUE, BIEN PLUS DE GENS VIENDRONT »
Face à Denis Pouchiline, à l'aise dans son costume, les « députés du peuple »demeurent silencieux. Se rendent-ils compte que leur aventure a un impact au-delà même des frontières de l'Ukraine ? Que dans cette salle de réunion, où l'on devrait parler voirie et pensions de retraite, se joue une tragi-comédie dont personne ne mesure encore les déflagrations ? Ni les propos martiaux du gouvernement à Kiev, contre les « terroristes » et les « séparatistes » qui occupent les bâtiments publics à Lougansk et à Donetsk, ni la menace d'un assaut ne semblent les perturber.
« Toutes les deux heures, on entend parler d'une attaque imminente, explique Denis Pouchiline. Personne ne veut assumer la responsabilité d'un bain de sang. Mais un assaut ne résoudrait rien. Si on nous tue ou si on nettoie le bâtiment, bien plus de gens viendront devant. »
Penché sur un livre juridique dans la salle du conseil, Nikolaï Solntsev, 44 ans, a un air absorbé. Il est l'un des 82 membres. Nous l'avions rencontré place Lénine, deux semaines plus tôt, lors d'une manifestation. « Commissaire politique » du Front de l'Est, l'une des organisations qui a émergé dans la contestation prorusse, il nous avait annoncé une « possible explosion sociale contre les clans oligarchiques ». Il jubile. « Ce n'est que la première vague de la contestation. Le peuple se soulève et se trouve en situation de guerre contre le pouvoir. » Et la majorité silencieuse ? « Ce sont des séparatistes cachés ! » Leur objectif ? « 80 % des gens pensent qu'on devrait créer notre territoire autonome dans le cadre d'une Ukraine fédéralisée. »