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Axa : quand le ministère du travail sanctionne un lanceur d’alerte

Lien publiée le 30 avril 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Commercial chez Axa et syndicaliste CDFT, Stéphane Legros vient de voir confirmer son licenciement par le ministère du travail. Sa faute ? Avoir dénoncé des pratiques de son employeur et en avoir parlé à Mediapart.

En dépit des déclarations répétées du gouvernement assurant de sa volonté de protéger les lanceurs d’alertes, les faits peinent à suivre. Stéphane Legros, cadre commercial d’Axa et salarié protégé en tant que syndicaliste CFDT, en fait la cruelle expérience. Pour avoir dénoncé certains agissements du groupe d’assurances, il vient de se voir confirmer le 18 avril son licenciement, bien que, dans un premier temps, l’inspection du travail s’y soit opposée.

Sa faute ? « Avoir manqué à ses missions professionnelles, notamment en s’abstenant de participer à plusieurs séances de formation ; avoir des résultats commerciaux nettement insuffisants en raison d’une inexécution délibérée de ses obligations contractuelles ; avoir manqué à ses obligations de loyauté en diffusant à l’extérieur de l’entreprise une lettre ouverte à la presse française accompagnée de documents internes à la société, avec la tenue de propos excessifs, injurieux voire diffamatoires à l’encontre de la société. »

Le dernier grief est le plus important, semble-t-il. Car le contentieux qui oppose Axa à son salarié dure depuis plusieurs années. Mais c'est parce que Stéphane Legros a parlé à Mediapart que le groupe a exigé son licenciement, selon son avocat, Thierry Billet (lire Menacés de licenciement pour avoir parlé à Mediapart). Le fait que les pratiques du groupe, qu’il dénonçait en interne, soient exposées au grand public a déclenché les foudres de son employeur.

Axa lui reproche « d’avoir violé son obligation de discrétion et de réserve » en « ayant communiqué aux journalistes la note d’information reprenant les conditions générales du contrat Euractiel (contrat d’assurance-vie), le guide retraite, des extraits du power point formation Euractiel et guide de rémunération, le descriptif technique Euractiel, etc. ». Pour le groupe Axa, tout cela relève d’une déloyauté caractérisée.

En quoi diffuser les termes d’un contrat d’assurance-vie censé être vendu auprès de milliers de souscripteurs est-il gênant ? Faut-il donc croire qu’il vaut mieux le laisser dans un certain brouillard ? Il est vrai que ce contrat d’assurance-vie pose problème (lire notre article Quand Axa se place au-dessus des lois). Il continue à prendre des frais précomptés – c’est-à-dire à prélever les frais de gestion en une seule fois sur un contrat censé durer dix ans, ce qui diminue l’investissement initial quasiment de moitié –, alors que la loi depuis la réforme de 2005 interdit cette pratique, jugée trop préjudiciable pour les souscripteurs, selon les législateurs.  

Lors de notre enquête, Philippe Marini, auteur de cette réforme, et aujourd’hui président de la commission des finances du Sénat, confirmait le sens à donner à son amendement : « Il s’agissait bien d’en finir avec les mécanismes des frais précomptés dans les contrats d’assurance-vie », déclarait-il alors. « L’amendement, qui a été adopté à mon initiative, plafonne à 5 % la diminution des valeurs de rachat par imputation sur celles­-ci des frais d’acquisition du contrat. Cela revient à interdire de facto les contrats dits “à frais précomptés” (…) »répétait-il dans Le Dauphiné libéré. Axa assure que son contrat est parfaitement légal.

C’est par hasard que Stéphane Legros, avec un de ses collègues, Alain Arnaud, lui aussi menacé de licenciement, a découvert l’illégalité de ce contrat. En juin 2009, Stéphane Legros, qui travaille chez Axa depuis trois ans, démarche un couple et leur fait signer un contrat Euractiel. Ses supérieurs le félicitent en découvrant le nom du souscripteur : il s’agit du sénateur UMP de Haute-Savoie, Jean-Claude Carle, aujourd’hui vice-président du Sénat.

Ce contrat, vu d’abord comme un succès, se transforme en boulet. Les services centraux qui doivent homologuer le contrat refusent de le faire. Motif avancé : « Il m’a été expliqué que le parlementaire pouvait nous causer des ennuis, en raison de ses nombreuses relations », raconte Stéphane Legros. Non seulement le contrat est annulé, mais Axa, en plus, lui reproche auprès de ses clients comme en interne, d’avoir fait une faute.

Stupéfait de ce revirement, Stéphane Legros décide de comprendre ce qui lui arrive. Il enquête avec son collègue et découvre, à force de recherches, la vérité : le contrat Euractiel ne devrait plus être commercialisé depuis 2007. Il n’est plus conforme à la loi. Il alerte sa direction, mais se heurte à un mur. Dès lors, les relations s’enveniment. Stéphane Legros et Alain Arnaud sont mis à l’écart. La direction diminue leur territoire, monte leurs objectifs, leur impose toujours plus de contraintes.

De leur côté, les deux syndicalistes s’installent dans une guerre de tranchées. Ils exigent le respect des dispositions sociales. Surtout ils mettent en garde leurs collègues sur ce danger : leurs responsabilités sont en jeu. Ils préviennent les pouvoirs publics, écrivent au ministre des finances, Pierre Moscovici, et au président du Sénat, Pierre Bel, à l’Élysée. Mais rien ne bouge. Alors, ils alertent la presse.  

Détail de procédure

Dans ces attendus pour refuser le licenciement de Stéphane Legros, l’inspection du travail relevait qu'une absence à quatre journées de formation – alors qu’une fois, il était en vacances, et une autre il avait signalé son impossibilité de s’y rendre – était « un grief d’une gravité insuffisante pour justifier un licenciement ». Elle ajoutait que « l’insuffisance de résultats ne peut constituer à elle seule une cause réelle et sérieuse de licenciement », en se demandant si les objectifs étaient réalistes.

Mais l’inspection du travail s’étendait surtout sur le troisième point. Pour elle, la démarche de Stéphane Legros pouvait être considérée de « bonne foi » ; « d’une part, écrivait-elle, son signalement ne contient pas d’informations mensongères (Axa conteste les conclusions de son analyse mais n’indique pas qu’il présente des informations ou des éléments matériels inexacts), d’autre part, poursuivait-elle, parce qu’aucune décision administrative ou judiciaire n’a à ce jour tranché la licéité du produit Euractiel, cette problématique reste donc en suspens ». Pour finir, la décision de l'inspection du travail signifiait que les documents internes transmis ne pouvaient dans leur ensemble être considérés comme une violation de la confidentialité, « l’entreprise devant définir précisément quels documents avaient un caractère confidentiel ».

Saisi par Axa, qui contestait cette décision, le ministère du travail a invalidé tous les arguments de l’inspection du travail. Le harcèlement moral dont se dit victime Stéphane Legros est « une allégation qui n’est étayée par aucun fondement ». Quant aux objectifs« déterminés dans le cadre d’une négociation collective, ils doivent être considérés comme réalistes . (…) Leur non-respect est donc bien de nature fautive ».

La plus longue explication revient naturellement sur la publicité faite autour du contrat Euractiel. « Le caractère illicite de ce contrat n’a été reconnu par aucune juridiction », est-il écrit. Avant de poursuivre : les envois à la presse « revêtent un caractère diffamatoire par la nature des propos tenus à l’encontre de la société et de ses dirigeants ». Pour conclure que la divulgation de documents internes est une violation du règlement intérieur : « Les faits établis sont d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement, notamment au regard du caractère délibéré et systématique de son attitude d’opposition en dépit des mises en garde successives, et de son atteinte à l’image de l’entreprise », tranche le ministère du travail.

Un petit détail de procédure, cependant, titille l’esprit. Le 22 avril, le fonctionnaire chargé du dossier adresse un courriel à Axa pour lui demander des précisions sur le dossier. « Suite à notre rencontre du 14 février 2014, le ministère du travail souhaite savoir si l’arrêt d’appel (de la cour de Chambéry suite à une plainte de Stéphane Legros pour harcèlement moral et pour faire trancher la légalité du contrat Euractiel) a fait l’objet d’un pourvoi en cassation », écrit-il. « Pour la bonne règle et le respect du contradictoire, merci de répondre à tous », précise-t-il. La procédure d’examen semble donc être toujours en cours.

D’ailleurs, une responsable d’Axa lui répond le jour même : « En réponse à votre mail de ce jour, je vous confirme que Monsieur Legros a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 24 mail 2012. Vous trouverez en pièce jointe la copie de l’arrêt de non admission du 23 octobre 2013 (la Cour de cassation a refusé de trancher sur la légalité du contrat Euractiel). »

Mais pourquoi demander encore des pièces de procédures et des éclaircissements sur le dossier, alors que celui-ci est censé avoir été tranché ? La décision d’autorisation de licenciement de Stéphane Legros signée par le directeur général du travail est datée du 18 avril, soit quatre jours auparavant. Elle lui sera notifiée le 23 avril.

Les dates ont leur importance. Selon la loi, le recours hiérarchique pour contester la décision de l’inspection du travail dans le cas d’un licenciement d’un salarié protégé doit être formé dans les deux mois de la notification. Le ministre doit prendre sa décision quatre mois après sa saisine. Si le ministre ne répond dans les quatre mois, cela signifie qu'il a implicitement rejeté le recours. La décision de l'inspecteur du travail est alors considérée comme confirmée.

Axa a déposé son recours hiérarchique auprès du ministère du travail pour contester la décision de l’inspection du travail de ne pas autoriser le licenciement de Stéphane Legros le 20 décembre. Le ministère du travail avait donc jusqu’au 20 avril pour trancher, sinon la décision de l’inspection du travail s’imposait.

Que faut-il penser de tout cela ? Pourquoi la procédure se poursuit-elle, alors que le dossier a été arbitré ? Aurait-on cherché à cacher une erreur ? Y aurait-il eu quelque influence ? Joint par mail, le fonctionnaire à qui nous avons adressé ces questions nous a répondu qu’il lui était impossible de répondre, en invoquant le secret professionnel. Le directeur chargé des recours hiérarchiques n’a pas retourné notre appel.

En attendant, Axa poursuit son chemin. Son nouveau contrat d’assurance-vie, Composium, est la copie conforme du précédent, avec les mêmes frais précomptés. À plusieurs reprises, des clients ont averti différents services de l’administration, ont écrit à des parlementaires. Sur plusieurs forums consacrés au patrimoine, certains ont dénoncé les risques de ce contrat. Mais rien n’y fait. L’administration des finances est muette. La justice refuse de se prononcer sur la légalité de ce contrat. Et maintenant, le ministère du travail sanctionne les lanceurs d’alerte. Axa est décidément très influent.