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Les zones d’ombre du plan de rigueur de Valls
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) En obtenant, mardi 29 avril à l'Assemblée nationale, une majorité relative de 265 voix contre 232 sur son programme de stabilité pour 2014-2017, le gouvernement a franchi une première haie. La course d'obstacles ne fait que commencer. Il a certes reçu approbation pour une stratégie de finances publiques qui concilie – sur le papier – le redressement des comptes publics par des économies de dépenses (50 milliards d'euros sur trois ans) et un pacte de responsabilité et de solidarité pour relancer l'activité économique (officiellement chiffré à 30 milliards d'euros). Il demeure cependant de nombreuses zones d'ombre.
- Un pacte à 30 ou à 46 milliards d'euros ?
L'enjeu du pacte de responsabilité et de solidarité, selon les termes officiels, est de créer « un choc de confiance ». Avec ce pacte, « le coût du travail pour lesentreprises, déjà réduit par le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), sera à nouveau allégé pour porter la baisse totale à 30 milliards d'euros », est-il écrit dans la présentation du programme de stabilité.
Mais le chiffrage des différentes mesures en faveur des entreprises présentées par le gouvernement aboutit à un total très nettement supérieur à la seule réduction du coût du travail. Aux 20 milliards d'euros du CICE, s'ajoutent ainsi la suppression de charges et la baisse des cotisations patronales (coût : 9 milliards d'euros), la baisse des cotisations d'allocations familiales des indépendants (1 milliard), la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (6 milliards), la suppression de la contribution exceptionnelle et la baisse progressive du taux d'impôt sur les sociétés (5 milliards). Soit au total 41 milliards d'euros pour les entreprises.
S'y greffe la partie « pacte de solidarité » en faveur des ménages modestes décidée après les élections municipales. Elle consiste en un allégement des cotisations salariales sur les bas salaires et des mesures fiscales pour le bas du barème de l'impôt sur le revenu. Total : 5 milliards d'euros de recettes en moins.
Un effort de 41 milliards pour les entreprises et de 5 milliards pour les ménages représente un total de 46 milliards d'euros, et non 30 milliards. Ce qui réduit d'autant la marge de manoeuvre pour réduire l'endettement public et rend illusoire le respect des engagements budgétaires de la France envers Bruxelles.
- Quel déploiement dans le temps ?
Le calendrier de mise en oeuvre des réformes fait cruellement défaut. Pour les économies de dépenses, en particulier, le calendrier ne figure pas dans le document du programme de stabilité. Christian Eckert, le secrétaire d'Etat chargé du budget, interrogé sur ce sujet, a toutefois indiqué que près de la moitié des 50 milliards d'économies serait concentrée sur 2015, avec un effort de réduction de 21 milliards d'euros, après 15 milliards prévus en 2014, puis 16 milliards d'euros en 2016 et 13 milliards en 2017.
C'est un des points d'achoppement avec les députés socialistes qui désapprouvent le programme de stabilité présenté par Manuel Valls. Après cinq années de croissance nulle et un léger redémarrage escompté en 2014, 2015 vaêtre une année cruciale pour sortir de la stagnation et retrouver la croissance. Orc'est sur cette année que va porter l'effort le plus massif, d'où le risque de pesernégativement sur la croissance économique, comme l'a souligné l'avis du Haut Conseil des finances publiques rendu public le 22 avril.
- Où tailler dans les dépenses ?
Le plan de réduction de la dépense publique annoncé le 16 avril par Manuel Valls et consigné dans le programme de stabilité en décompose les grandes masses : 18 milliards d'euros sur l'Etat et ses agences ; 11 milliards sur les collectivités territoriales ; 10 milliards sur l'assurance-maladie ; 11 milliards sur les prestations sociales. Mais le détail des économies, à l'intérieur de ces grandes masses, reste flou. Les coupes budgétaires poste par poste seront documentées au fil des projets de loi de finances et de financements de la Sécurité sociale à venir.
En ce qui concerne la maîtrise des dépenses de fonctionnement des ministères, ce sont donc les lettres de cadrage envoyées aux ministres début mai qui fourniront les premiers éléments des efforts d'économies demandés. D'autres points demandent à être éclaircis. Quelles « interventions de l'Etat seront recentrées », comme le demande le premier ministre, Manuel Valls ? Dans quels domaines ? Quelles conséquences ? De même, quels opérateurs et agences de l'Etat seront concernés par des suppressions, des regroupements ou la baisse de leurs dotations ? L'incertitude est de mise.
Pour les collectivités territoriales, le prochain projet de loi sur leur organisation, qui sera présenté avant l'été, devrait supprimer la clause de compétence générale,clarifier le rôle de chacune et inclure des mécanismes d'incitation aux « comportements vertueux ». Toutefois, les importantes réformes de structure – diminution du nombre de régions, suppression des conseils départementaux et révision de la carte administrative, dont le gouvernement attend de substantielles économies – ne prendront effet qu'à moyen terme.
C'est donc, dans un premier temps, sur la baisse et la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des collectivités territoriales que reposera l'essentiel des économies. Ce qui fait craindre que les collectivités les plus fragiles ne plongent dans le rouge. Cela pourrait également entraîner une chute des investissements des collectivités, qui représentent 70 % de l'investissement public, et avoir des conséquences négatives pour l'économie et pour l'emploi local, notamment le BTP.
- Quelles économies sur la Sécurité sociale ?
Enfin, sur les 21 milliards d'euros d'économies réclamés à la Sécurité sociale, les seules qui soient précisément documentées sont celles sur les prestations sociales, qui vont subir un coup de rabot général. Les retraites, les allocations familiales, les allocations logement seront gelées jusqu'en octobre 2015. Seuls les minima sociaux et les retraites inférieures à 1 200 euros seront revalorisés, a consenti le premier ministre en réponse au mouvement de contestation dans la majorité. Ce gel devrait dégager 1,7 milliard d'euros. Le gouvernement estime par ailleurs que 3 milliards d'euros d'économies ont déjà été décidés dans le cadre des réformes des retraites et des allocations familiales menées en 2013.
Le reste de l'enveloppe est encore à préciser. Sur l'assurance-maladie, la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, a présenté, le 24 avril, les grandes lignes de son plan d'économies. Elle compte obtenir 3 milliards d'euros d'économies sur les prix des médicaments et autant sur l'hôpital en développant, notamment, la chirurgie ambulatoire. Le reste proviendrait de la maîtrise des « dépenses inutiles » et de la lutte contre la fraude. Ces économies apparaîtront dans les prochains budgets de la Sécurité sociale.
Sur les 5 milliards d'euros manquant pour arriver au compte, le gouvernement évoque des accords des partenaires sociaux afin d'économiser sur les retraites complémentaires et l'assurance-chômage, pour plus de 4 milliards d'euros d'ici à 2017. Mais aucun des accords signés par les syndicats et le patronat ces derniers mois ne prévoit de telles économies. Le gouvernement promet aussi 1,2 milliard d'euros d'économies sur la gestion des caisses de Sécurité sociale, sans précisersi cela entraînera des restructurations d'organismes. Enfin, 800 millions d'euros de coupes dans les prestations familiales devraient être prochainement annoncés – mais les modalités restent inconnues.
Beaucoup, donc, reste à faire et la discussion des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale, cet automne, risque de donner lieu à de nouvelles fortes tensions dans la majorité. Car cette stratégie de réduction de la dépense publique, pour donner des résultats rapides, passe d'abord par des coups de rabot avant que les réformes structurelles ne produisent leur effet. Tout en espérant que le ralentissement de la dépense n'entraîne pas un ralentissement de la croissance. Ce n'est pas gagné.