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Essoré dans les urnes, le parti socialiste tremble sur sa base
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Le 23 mars, date du second tour des municipales, le parti de François Hollande a perdu environ 30 000 de ses 60 000 élus, selon des chiffres internes inédits. Essoré dans les urnes en ce printemps 2014, le PS a aussi perdu de précieux réseaux d'influence et de mobilisation.
Avec 13,98 %, le parti socialiste au pouvoir a enregistré dimanche 25 mai le pire résultat de son histoire aux européennes. En métropole, il n'arrive en tête que dans deux départements, la Haute-Vienne et la Corrèze. Ailleurs, il est souvent distancé par le Front national et l'UMP. Cette débâcle s'ajoute à celle des municipales, il y a deux mois, qui ont vu de vieux bastions socialistes basculer, les bases électorales du PS rétrécir, le travail militant d'années, voire de décennies partir en fumée.
Au terme de cette séquence catastrophe, un an avant son congrès prévu en 2015, le PS est déboussolé. « Le logiciel du PS doit être réinitialisé », admet son porte-parole, Olivier Faure. C'est également une organisation qui tremble sur ses bases : si le PS a perdu de nombreuses villes, il a également subi avec les municipales une hémorragie d'élus.
Selon les premières estimations de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (Fneser), la galaxie des élus PS a fondu de moitié au soir du 23 mars. « Sans trop se tromper, nous étions à un peu plus de 60 000, nous sommes tombés à peu près à 30 000 », explique à Mediapart son président, l'ancien maire de Toulouse Pierre Cohen, lui-même battu. Sont comptabilisés dans ce total : les encartés au PS, d'anciens encartés qui n'ont pas renouvelé leur carte mais restent dans la sphère socialiste, des sympathisants ou encore les maires ayant accordé leurs parrainages aux candidats socialistes à la présidentielle. Une perte « énorme », admet Pierre Cohen. De fait, le PS était devenu au fil des décennies un parti d'élus. Ceux-ci constituent sur le terrain le cœur de la base militante, un véritable réseau d'influence, et rapportent des ressources financières non négligeables.
Pour établir cette estimation, qui sera affinée dans les semaines à venir par les remontées des fédérations socialistes, la Fneser a réalisé des extrapolations sur les pertes d'élus dans les plus grandes villes. Or elles sont très importantes, à cause de la prime en sièges à la liste gagnante : selon des données inédites de Florent Gougou, post-doctorant à l'Université d'Oxford et chercheur associé au Centre d’études européennes de Sciences-Po, 365 des 1 018 villes de plus de 9 000 habitants avaient un maire socialiste (ou dissident socialiste) à leur tête à la veille des élections. Le parti n'en détient plus que 233, soit une perte de 132 villes. Dans le détail, le PS ne détient plus que 179 des villes de 9 000 à 30 000 habitants (contre 269 auparavant), 23 villes de la strate 30 000-50 000 (contre 38), 16 pour celle des 50 000 à 100 000 (contre 33) et 15 des villes de plus de 100 000 habitants (contre 25).
Après dix années fastes, qui l'ont vu gagner une série d'élections intermédiaires, emporter 21 régions sur 22, plus de la moitié des départements, faire basculer le Sénat à gauche et propulser en 2012 l'un des siens à la présidence, le PS est en train de subir une hémorragie à bas bruit, mais dévastatrice. « Les municipales ont provoqué une perte d'influence considérable, déplore un cadre socialiste. Localement, les élus animent une toile d'araignée de micro-réseaux, utile pour mobiliser et convaincre lors des campagnes électorales. Ce sont ces réseaux qui ont fait gagner François Hollande à la présidentielle. » En 2011, une étude du Cevipof démontrait que conseillers municipaux, collaborateurs d'élus et salariés des collectivités territoriales représentaient environ la moitié des adhérents socialistes.
« Même si les chiffres de la Fneser demandent à être précisés, perdre autant d'élus est un sale coup pour le PS, commente Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à Paris-I. C'est d'abord une perte d'encadrement. Les élus et leurs collaborateurs jouent un rôle de permanents du parti. Ils assurent localement une bonne partie de la logistique et du travail militant. Par ailleurs, le contrôle d'une municipalité s'accompagne toujours d'une hausse du nombre d'adhérents. Ces pertes municipales vont amener des gens à ne plus cotiser. C'est aussi, évidemment, une perte financière pour le parti car ces élus reversent une partie de leurs revenus. »
Pour ce spécialiste du Parti socialiste, cette déperdition pourrait également avoir des conséquences en vue du prochain congrès de l'automne 2015, alors même que de nombreux militants sont déjà déboussolés par la ligne politique de François Hollande. « Les élus battus ont des raisons de penser que c'est la politique du gouvernement qui les a fait perdre. Ils pourraient être beaucoup moins disciplinés à l'avenir. » Dans l'histoire des congrès socialistes, et plus encore à l'époque de François Hollande premier secrétaire (1997-2008), le poids des « barons », et leur aptitude à « verrouiller » les votes, s'est toujours avéré décisif, et ceux-ci ont toujours construit leurs « baronnies » sur leur omniprésence dans les collectivités locales…
À cette hémorragie, il faut ajouter une considérable fuite des cerveaux : ces centaines de directeurs ou chefs de cabinet de collectivités locales qui se sont retrouvés sans postes du jour au lendemain.« Nous ne comptons plus que trois collaborateurs d'élus sur 30 dans notre équipe dirigeante », décompte Richard Molkou, président de Dircab, l'association des directeurs de cabinet des collectivités locales à direction socialiste et républicaine. D'après lui, au moins 600 collaborateurs chevronnés d'élus se retrouvent « sur le carreau ». « Beaucoup vont se reconvertir, et comme la demande est beaucoup plus forte que l'offre, certains vont aller vers le privé », explique Molkou. Comme lui d'ailleurs, récemment embauché par une grande entreprise d'assainissement. Pour le parti au pouvoir, il s'agit d'une perte indéniable de matière grise et de compétences.
Pour le trésorier du PS, Jean-François Debat, la casse financière est pour l'instant limitée. « Seule une minorité des élus municipaux cotisent pour le parti. Sur un budget de 64 millions d'euros, nous allons perdre entre un et deux millions d'euros à cause des municipales », estime-t-il. Mais la situation pourrait bientôt s'aggraver. Avec une nouvelle débâcle annoncée aux régionales et aux cantonales, prévues en 2015 ou en 2016, le PS pourrait perdre dans les années à venir de gros bataillons d'élus.
Si elle est menée à bien, la réforme territoriale (suppression des départements et de la moitié des régions), qui sera présentée mercredi 4 juin en conseil des ministres, affaiblira de toute façon davantage le PS que l'UMP, puisque le parti part de très haut : il détient 21 régions sur 22 et 61 conseils généraux sur 102. Une perspective qui inquiète franchement le trésorier du parti. « Perdre des élus dans les conseils généraux ou régionaux va nous coûter cher », admet Jean-François Debat. Chaque élu départemental ou régional reverse 10 % de son salaire au parti : entre 220 et 270 euros par mois et par conseiller. Cette manne risque de s'amenuiser d'ici 2017. Le PS partirait alors à la présidentielle très fragilisé.