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Flashball à Montreuil: 3 policiers renvoyés en correctionnelle, une première
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Montreuil, le 8 juillet 2009 : six tirs de Flashball, six blessés. Cinq ans plus tard, une juge d'instruction a décidé de renvoyer l'ensemble des policiers tireurs devant le tribunal correctionnel. Son ordonnance de renvoi est sévère.
Pour la première fois, plusieurs policiers vont être jugés ensemble pour avoir tiré au Flashball et blessé des manifestants. Le 8 juillet 2009 au soir, à Montreuil, trois policiers avaient fait usage de leur arme sur des manifestants, qui s’enfuyaient après la dispersion d’un rassemblement devant une clinique, évacuée le matin même par les forces de l'ordre. Six tirs, six blessés, dont cinq touchés au-dessus des épaules. L’un d’eux, Joachim Gatti, réalisateur de 34 ans, y perd un œil (lire ici son témoignage, que nous avions publié le 13 juillet 2009, ainsi que notre enquête sur les violences policières lors de la soirée du 8 juillet 2009).
Alors que le parquet de Bobigny avait requis début avril le renvoi d’un seul des trois policiers tireurs, Mélanie Belot, vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal de grande instance de Bobigny, a décidé le 8 juillet 2014 de renvoyer les trois fonctionnaires devant le tribunal correctionnel. L’agent de la brigade anticriminalité (Bac) de Montreuil, accusé d’avoir blessé Joachim Gatti ainsi qu’un autre jeune homme, encourt la peine la plus grave. Pour la juge d’instruction, la légitime défense invoquée par le policier ne peut être retenue. Contrairement à ce qu’affirme l’agent, « l’information n’a pas permis de retenir l’existence de jets de projectiles » au moment des tirs. « Même si tel avait été le cas », précise-t-elle, l’usage à deux reprises d'une « arme non létale, mais susceptible de causer de graves blessures en direction d’un groupe compact de personnes à une distance de l’ordre de 8 à 10 mètres (…) n’aurait pu constituer les circonstances d’une riposte proportionnée à l’attaque ».
Mais le gardien de la paix, âgé de 33 ans au moment des faits, échappe toutefois aux assises. En accord avec les victimes, indique la juge d’instruction, ces « faits criminels » ont en effet été « artificiellement » requalifiés en faits délictuels. Pourquoi ? La juge estime qu’il ne s’agit pas d’un « crime classique » mais d’une infraction commise dans le cadre de fonctions « dangereuses et risquées ».
Elle pointe surtout la lourde responsabilité de l’institution policière. Aucun des policiers tireurs n’avait bénéficié du stage de recyclage règlementaire, alors que leur habilitation au Flashball remontait à plusieurs années (près de sept ans pour l’un). Et les fonctionnaires n’avaient reçu aucune consigne de leur hiérarchie sur l’utilisation de cette arme lors de l’intervention. Ni le commissaire de Montreuil, ni son lieutenant de police, qui dirigeait l’intervention, n’avaient pensé à rappeler à leurs troupes que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur arme ». La juge d'instruction indique également avoir préféré éviter aux victimes, « déjà affectées par les faits et la longueur du traitement judiciaire du dossier », « la longueur et la lourdeur d'un procès d'assises ». Le gardien de la paix de la Bac de Montreuil est donc simplement renvoyé pour violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. La juge d'instruction choisit d'omettre la circonstance aggravante que ces violences ont été commises par une personne dépositaire de l’autorité publique.
Les deux autres policiers, un brigadier de l’unité mobile de sécurité de Montreuil et un gardien de la paix de la Bac de Rosny-sous-Bois, sont accusés d’avoir blessé quatre manifestants moins grièvement. Ils seront eux jugés pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique.
Les événements du 8 juillet avaient donné lieu à une vaste désinformation de la part des forces de l'ordre, qui mettaient en avant l'état de légitime défense. Obligeant les victimes et leurs proches à rétablir quelques vérités. En particulier, le père de Joachim Gatti s'était fendu d'une longue lettre dans laquelle il donnait la version des faits de son fils : « Le matin du mercredi 8 juillet, la police avait vidé une clinique occupée dans le centre-ville. La clinique, en référence aux expériences venues d'Italie, avait pris la forme d'un 'centro sociale' à la française : logements, projections de films, journal, défenses des sans-papiers, repas... Tous ceux qui réfléchissent au vivre ensemble regardaient cette expérience avec tendresse. L'évacuation s'est faite sans violence. Les formidables moyens policiers déployés ont réglé la question en moins d'une heure (...). Ceux qui s'étaient attachés à cette expérience et les résidents ont décidé pour protester contre l'expulsion d'organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil. Trois immenses tables de gnocchi (au moins cinq mille) roulés dans la farine et fabriqués à la main attendaient d'être jetés dans le bouillon. Des casseroles de sauce tomate frémissaient. Ils avaient tendu des banderoles pour rebaptiser l'espace. Des images du front populaire ou des colonnes libertaires de la guerre d'Espagne se superposaient à cette fête parce que parfois les images font école. »
Il poursuivait : « J'ai quitté cette fête à 20 heures en saluant Joachim. À quelques mètres de là, c'était le dernier jour, dans les locaux de la Parole errante à la Maison de l'arbre rue François-Debergue, de notre exposition sur Mai-68. Depuis un an, elle accueille des pièces de théâtre, des projections de films, des réunions, La nuit sécuritaire, L'appel des appels, des lectures, des présentations de livres... Ce jour-là, on fermait l'exposition avec une pièce d'Armand Gatti, L'homme seul (...). C'était une lecture de trois heures. Nous étions entourés par les journaux de Mai. D'un coup, des jeunes sont arrivés dans la salle, effrayés, ils venaient se cacher... ils sont repartis. On m'a appelé. Joachim est à l'hôpital, à l'Hôtel-Dieu. Il était effectivement là. Il n'avait pas perdu conscience. Son visage était couvert de sang qui s'écoulait lentement comme s'il était devenu poreux. Dans un coin, l'interne de service m'a dit qu'il y avait peu de chance qu'il retrouve l'usage de son œil éclaté. Je dis éclaté parce que je l'apprendrais plus tard, il avait trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux, la paupière arrachée... »
«Fait rarissime»
Selon les réquisitions du procureur, dont nous faisions état ici, l'ex-commissaire de Montreuil a même dû reconnaître que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur arme ». Selon le commissaire, « les fonctionnaires ont dû se méprendre sur le cadre d’intervention ». Ni lui, ni son lieutenant de police, qui dirigeait l’intervention, n’avaient cependant pensé à rappeler cette règle à leurs troupes. Sur le terrain, « dans un contexte de feux d’artifice », le lieutenant n’aurait d’ailleurs « pas perçu » les tirs de Flashball de ses hommes.
Vers 22 heures, voyant qu’une « cinquantaine » des convives du dîner festif se dirigeaient vers la clinique, sept policiers de l’unité mobile de sécurité de Montreuil avaient appelé des renforts. Des agents des Bac de Montreuil et de Rosny-sous-Bois, du groupe de sécurité de proximité, de la brigade de nuit et de la brigade de jour les rejoignent. Soit 28 fonctionnaires au total, pas vraiment spécialistes du maintien de l'ordre. Ils reçoivent, selon le réquisitoire, « une pluie de projectiles, des canettes lancées en cloche ». Les manifestants se dispersent rapidement vers la place du marché de Montreuil, où les tirs de projectiles cessent, de l’aveu même du lieutenant. C’est pourtant à ce moment que le gardien de la paix de la Bac de Montreuil tire à deux reprises au Flashball. Atteint au visage, Joachim Gatti tombe au sol, avant d'être relevé par des manifestants, l’œil en sang.
Le policier, aujourd’hui âgé de 38 ans, affirme avoir tiré pour protéger ses collègues qui procédaient à une interpellation et qui « étaient toujours caillassés » par un groupe qui « continuait à avancer ». Le fonctionnaire, passionné par son métier et champion de France en équipe de tir à la carabine, a également assuré ne pas s’être rendu compte qu’il avait blessé quelqu’un. Une version « peu compatible » avec celle de sa propre hiérarchie et de plusieurs riverains interrogés par l’IGS (inspection générale des services), avait déjà relevé le parquet dans son réquisitoire.
Les témoins, qui ont assisté à la scène place du marché, ont effet décrit « une ambiance bon enfant » avec des manifestants qui « reculaient ». Aucun n’a vu de jets de projectiles. Et selon plusieurs riverains, « les policiers ne pouvaient pas ne pas voir le blessé, il avait chuté immédiatement et il n’y avait personne autour de lui », indique le réquisitoire. Dans leurs rapports, obligatoires après chaque utilisation du Flashball, aucun des trois policiers tireur n’a pourtant fait mention de blessés. Et ils se sont encore moins portés à leurs secours...
Cinq longues années après les faits, ce renvoi représente donc une vraie victoire pour le collectif du 8-Juillet, qui rassemble plusieurs des personnes blessées. Dans ce dossier emblématique, le parquet de Bobigny avait clairement joué la montre, mettant plus de deux ans à rendre son réquisitoire. Dans son ordonnance de renvoi, la juge d’instruction ne cache d’ailleurs pas son agacement. Elle rappelle qu’il a fallu plusieurs « rappels par courriels en automne 2013 » et une manifestation des victimes en mars 2014 sur le parvis du tribunal pour que la procureure de la République de Bobigny se décide enfin à rendre son réquisitoire définitif, le 4 avril 2014.
« Le renvoi de trois policiers devant les tribunaux et la mise en cause de leur hiérarchie est un fait rarissime », a réagi dans un communiqué le collectif du 8-Juillet. La justice « admet qu’il ne s’agit pas d’un acte isolé, ni d’une bavure, mais d’un cas avéré de violence en réunion par des policiers armés de Flashball, salue le collectif. D’autre part, en signalant les nombreuses anomalies qui caractérisent cette opération de maintien de l’ordre, elle révèle que la hiérarchie policière est compromise dans les violences de ce soir-là ».
Selon notre décompte depuis la généralisation en 2004 en France des lanceurs de balle de défense, 26 personnes ont été grièvement blessées, pour la plupart au visage. Mais seul un fonctionnaire a été condamné. Il s'agit d'un policier condamné en janvier 2011 à six mois de prison avec sursis pour avoir éborgné six ans plus tôt un adolescent de 14 ans aux Mureaux.
Lire la tribune du collectif du 8-Juillet : « Que fait la justice ? Ça crève les yeux ! »