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Ecosse: bientôt l’indépendance?

Lien publiée le 20 août 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Le 18 septembre prochain se tiendra en Ecosse un référendum sur l’indépendance de ce « territoire » qui, aujourd’hui, fait partie du Royaume-Uni, c’est-à-dire d’un Etat – une monarchie constitutionnelle - constitué de l’Angleterre, du Pays de Galles, de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord.

Le rattachement - par la force, faut-il le préciser … - de l’Ecosse à la Couronne britannique remonte à 1707. Si la revendication d’indépendance - et de séparation d’avec le Royaume-Uni - n’a pas eu en Ecosse la même force et la même profondeur que, par exemple, en Irlande, il existe cependant depuis longtemps un mouvement en ce sens, marqué à gauche et même partie intégrante du mouvement ouvrier ou, au moins, de sa fraction la plus radicale.

Le référendum constitue, de fait, une nouvelle étape institutionnelle et politique, dont l’origine récente est le processus dit de « dévolution » qui a consisté à rétrocéder à l’Ecosse un certain nombre de pouvoirs et de prérogatives qui étaient auparavant concentrés à Londres.

La principale traduction en a été la création, en 1999, d’un Parlement écossais (Holyrood) ainsi que d’un exécutif (ougouvernement) écossais. Un processus analogue a eu lieu au Pays de Galles, mais avec des pouvoirs nettement plus limités.

Le Parlement et le Gouvernement écossais disposent de pouvoirs significatifs principalement en ce qui concerne la santé, l’éducation et, plus généralement, les dépenses sociales. De même, l’Ecosse possède une certaine autonomie en matière de fiscalité. Mais, par contre, des domaines stratégiques sont exclus de cette dévolution, qu’il s’agisse de l’utilisation des revenus tirés de l’extraction du pétrole en Mer du Nord ou des questions de politique étrangère et de défense. Ces questions demeurent strictement du ressort du Royaume-Uni, c’est-à-dire du gouvernement britannique et du Parlement de Westminster.

Cette situation particulière – une redistribution des pouvoirs réelle, mais partielle et limitée à certains domaines – a des conséquences sur les interrogations qui reviennent le plus souvent à propos du contenu concret d’une indépendance éventuelle de l’Ecosse.

Des questions institutionnelles, d’abord : la Reine d’Angleterre demeurera-t-elle le chef de l’Etat d’une Ecosse indépendante ? Ou bien la question de la République sera-t-elle posée ? Des questions monétaires, ensuite : maintien ou non de la livre sterling comme devise de l’Ecosse ?

Des questions économiques, évidemment : l’Ecosse récupérera-t-elle les revenus du pétrole de la Mer du Nord ? Mais aussi : de quelle proportion de la dette britannique « héritera »  une Ecosse indépendante ?

Et, enfin, des questions stratégiques et militaires : l’Ecosse sera-t-elle membre de l’Union européenne ? Restera-t-elle membre de l’OTAN ? Et, si ce n’est pas le cas, qu’adviendra-t-il des bases de missiles nucléaires Trident, qui constituent l’apport militaire principal du Royaume-Uni à l’OTAN et qui, géographiquement, sont situées… en Ecosse ?

Le contexte politique

On peut considérer le processus de dévolution comme une concession faite par la classe dominante britannique aux classes dominantes particulières d’Ecosse et du Pays de Galles, une redistribution des pouvoirs entre les différentes fractions de la bourgeoise britannique. Ou, a contrario, comme une tentative de désamorcer des mouvements nationaux « anti-britanniques » qui, certes, pouvaient éventuellement offrir une perspective alléchante à certains secteurs des bourgeoises locales (Ecosse et Pays de Galles), mais dont la dynamique était fondamentalement une dynamique populaire, une expression spécifique de la révolte de la classe ouvrière des territoires « périphériques » contre la caste bourgeoise et aristocratique qui constitue le sommet du pouvoir politique et économique britannique.

Toujours est-il que ce processus s’est accompagné de la montée en puissance, dans l’opinion et dans les urnes, du Parti national écossais (SNP). Ce parti a prospéré sur la conjonction de plusieurs facteurs sociaux et politiques. Relativement peu peuplée, l’Ecosse est une région à la sociologie extrêmement populaire, qu’il s’agisse de la paysannerie modeste ou d’importantes concentrations ouvrières, même si ce territoire a payé, depuis une trentaine d’années, un lourd tribut à la crise et aux processus de désindustrialisation.

Du coup, l’électorat écossais a manifesté une hostilité jamais démentie vis-à-vis du Parti conservateur ainsi que des différents gouvernements que ce dernier a dirigé. Même lorsque les Conservateurs étaient totalement hégémoniques au Royaume-Uni - sous le règne de Margaret Thatcher, par exemple – l’Ecosse a continué à élire une majorité de députés travaillistes. Et, même aujourd’hui, la coalition gouvernementale (qui regroupe les Conservateurs et les Libéraux – Démocrates) ne recueille que des scores ridicules en Ecosse. Mais, les travaillistes « façon Blair » ont aussi beaucoup déçu et l’hégémonie traditionnelle de ce parti est contestée depuis plusieurs années par le SNP, qui a réussi à construire une alternative politique autour du thème de l’indépendance de l’Ecosse. Lors des élections au Parlement écossais de 2007, le SNP a dépassé de peu le parti travailliste. Cette performance a été confirmée en 2011 : le SNP a clairement devancé le Parti travailliste. Conséquence de ce succès, Alex Salmond - le principal leader du SNP - est aujourd’hui « Premier ministre » de l’Ecosse.

L’enjeu du référendum

Cette situation est à l’origine du référendum de septembre prochain. De manière factuelle, la question posée sera uniquement celle-là : indépendance ou pas. Formellement, il existe donc une assez grande incertitude sur ce que serait le contenu réel, politique et social, d’une éventuelle indépendance. A priori, en cas de victoire du « Oui », des négociations s’ouvriraient entre le gouvernement britannique et le gouvernement écossais sur les modalités de l’indépendance. Pour autant, l’actuel gouvernement écossais – le SNP, donc – a détaillé sa conception de l’indépendance dans un Livre Blanc publié récemment. Cela ne signifie pas automatiquement qu’un accord serait trouvé avec le gouvernement britannique sur ces bases, même si le SNP s’est appliqué à désamorcer la charge subversive de la revendication indépendantiste et, encore plus, de sa mise en œuvre. Mais, jusqu’à présent, le gouvernement britannique – soutenu en cela par l’ensemble des milieux politiques hostiles à l’indépendance – a indiqué son opposition à ce qu’une Ecosse indépendante puisse continuer à utiliser la livre sterling ou être membre de l’Union européenne… Mais il est difficile de faire la part de ce qui dans ses affirmations relève d’une position destinée à demeurer effective (si le « Oui » l’emporte) et ce qui relève davantage d’un chantage destiné à peser sur le résultat du scrutin, en agitant le spectre du chaos au cas où les électeurs écossais auraient l’audace de voter en faveur de l’indépendance.

Toujours est-il que le phénomène le plus spectaculaire dans l’actuel débat référendaire est la constitution d’une véritable « union nationale » britannique qui regroupe l’essentiel de la classe politique. A savoir : la majorité gouvernementale constituée par le Parti Conservateur et les Libéraux-Démocrates ; l’UKIP (très à droite, hostile à l’Union européenne et aux immigrés, ce parti vient de connaître un important succès lors des élections européennes de mai dernier). Mais aussi… l’opposition officielle (Parti travailliste). Tous sont regroupés au sein d’une même coalition baptisée « Better together » (« Mieux ensemble ») qui mène farouchement campagne contre toute perspective d’indépendance de l’Ecosse. De quoi accroître le discrédit du Parti travailliste en Ecosse même, où ses élus apparaissent comme se ralliant de fait au gouvernement Cameron, lequel possède deux défauts rédhibitoires aux yeux des couches populaires écossaises : d’abord, il est conservateur et mène une politique austéritaire forcenée. Et ensuite… il est britannique ! Ou, plus exactement, anglais. Ainsi, les commentateurs ne manquent pas de souligner que ces interventions de la classe politique britannique ont été extrêmement contre-productives pour la cause qu’elles sont censées promouvoir. Voire qu’elles sont l’une des principales raisons de la remontée du « Oui »…

Une campagne dynamique

Il est très difficile de prévoir quelle sera, au final, l’issue du référendum. Quand la date et les modalités du scrutin ont été fixées, les partisans du « Oui » à l’indépendance partaient avec un retard significatif dans les sondages. Mais, depuis de longs mois, une campagne extrêmement dynamique s’est développée.

Ou, pour être plus précis, des campagnes : principalement, deux. L’essentiel de la campagne est, évidemment, mené par le SNP, qui manifeste une préoccupation principale : rassurer les électeurs et dédramatiser le scrutin. Quitte, parfois, à édulcorer sérieusement le projet indépendantiste et à donner beaucoup de gages tant aux milieux d’affaires qu’aux cercles militaires, alors même que le démantèlement des bases de missiles nucléaires est une revendication traditionnelle du mouvement indépendantiste. Au risque, donc, de démobiliser cette partie de l’électorat pour laquelle l’indépendance n’a de valeur que pour autant qu’elle contribue à amorcer une transformation radicale de ses conditions de vie…

De fait, la contribution politique du SNP est assez ambivalente. Comme sa légitimité a été sanctionnée par les urnes et qu’il exerce concrètement une partie du pouvoir en Ecosse, cela a puissamment aidé à crédibiliser la perspective de l’indépendance. En même temps, à cause de cet exercice partiel du pouvoir, le SNP ne peut pas s’exonérer complètement des politiques impopulaires d’austérité dont il a été amené à négocier la mise en œuvre avec le gouvernement central britannique. 

Parallèlement à la campagne « officielle » en faveur du « Oui » a émergé une autre campagne, à l’initiative de la gauche radicale, politique et associative. Regroupée au sein de la Radical Independence Campaign (RIC), cette démarche s’est traduite par de nombreux évènements populaires et militants : rassemblements, manifestations, concerts, porte-à-porte, etc. La dimension « radicale » est attestée aussi bien par les formes d’action que par le fait que, dans un contexte difficile marqué par l’éclatement de l’extrême gauche écossaise, cette initiative a réussi à rassembler la plupart des organisations se réclamant du socialisme et de la révolution. Ceci se traduit notamment dans le contenu de classe - voire socialiste - qui est donné au combat pour l’indépendance.

C’est une dimension d’autant plus importante qu’un des principaux arguments « de gauche », notamment dans les milieux syndicaux, contre l’indépendance est que celle-ci va constituer une division supplémentaire au sein de la classe ouvrière - entre travailleurs britanniques et travailleurs écossais - et qu’à la solidarité des travailleurs, quelle que soit leur appartenance nationale ou régionale, va se substituer une alliance interclassiste, chaque prolétariat étant enjoint à se solidariser avec « sa » bourgeoisie.

Questions en débat

Bien sûr, de telles discussions ne sont pas complètement nouvelles dans le mouvement ouvrier et révolutionnaire… Sur la question des rapports entre oppression nationale et luttes de classes, il existe une littérature théorique extrêmement riche à laquelle ont d’ailleurs contribué, notamment à propos de la question irlandaise, des dirigeants révolutionnaires « britanniques », comme James Conolly ou John MacLean.

Dans leur grande majorité, fidèles à la tradition marxiste en matière de question nationale, les organisations de l’extrême gauche britannique ont pris position – avec plus ou moins de conviction et d’enthousiasme… - en faveur de l’indépendance de l’Ecosse et, donc, du « Oui »  au référendum. On trouvera en complément de cet article une sélection non exhaustive – l’extrême gauche britannique est assez… plurielle ! – de leurs prises de position.

Left Unity constitue un cas un peu particulier : l’influence de la gauche révolutionnaire y est importante, du fait de la participation à ce processus de plusieurs organisations d’extrême gauche, dont Socialist Resitance (section britannique de la IV° Internationale) et plusieurs courants issus de la crise du SWP. Mais, en même temps, Left Unity se définit comme un « parti large » ayant vocation à rassembler tout ce qui se situe à gauche du Parti travailliste et donc, un parti dont les références principielles sont en cours de définition. Toujours est-il que Left Unity n’a pas, en tant qu’organisation nationale britannique, pris de position claire au sujet du référendum écossais et a ouvert dans ses rangs un débat, alimenté par la publication sur son site, de deux contributions contradictoires : l’une rédigée par un porte-parole de la Radical Independance Campaign, l’autre par le groupe Red Papper Collective qui se définit comme un« groupe d’activistes, de syndicalistes, d’universitaires et de militants politiques dont le but est de proposer une alternative ouvrière à l’opposition stérile entre nationalistes et partisans de l’union avec le Royaume-Uni » et qui, concrètement, mène campagne contre le « Oui ». 

Que dire en conclusion ?

Sinon que ce référendum au cœur de la partie développée de l’Europe et dans un des plus vieux pays du continent pose à la société, à la gauche - et aussi à la gauche radicale… – une série de questions tout à fait importantes.

. D’abord, bien sûr, comme on l’a noté, le problème des rapports et de l’articulation entre lutte de libération nationale et luttes de classes. Une question qui, soit dit en passant, n’a rien d’exotique et qui, à nos portes, concerne le Royaume-Uni (à travers les questions irlandaise et écossaise) et l’Etat (monarchique) espagnol (à travers les questions basques et catalanes, notamment). Mais aussi… la République française, ne serait-ce qu’à travers le Pays Basque (Euskadi Nord) et la Corse. Pour ne pas parler des colonies françaises au sens strict, pudiquement baptisées territoires ou départements d’Outre-mer…

. Ensuite, comment ne pas noter la résurgence de l’aspiration républicaine ? Bien sûr, en France, du fait de la longue histoire coloniale et anti-ouvrière des Républiques bourgeoises (troisième, quatrième et cinquième du nom), cette référence a rarement les faveurs de la gauche radicale. Mais on est bien forcé de souligner la concomitance du référendum écossais – qui pose, objectivement et, aussi, de plus en plus, subjectivement, la question de la République - et des soubresauts de la monarchie espagnole (à travers l’abdication de Juan Carlos) qui a également revitalisé cette thématique pour ce qui concerne l’Etat espagnol. Naturellement, l’aspiration républicaine qui se dégage de ses évènements n’a que peu à voir avec la République « une et indivisible » puisque, précisément, elle s’enracine dans des revendications nationales qui visent à … « diviser » les vieux Etats.

. Autre thème que remet en lumière l’hypothèse d’une victoire du « Oui » : les rapports entre transformation sociale et construction européenne. Ou, plutôt : comment comprendre et évaluer la bataille qui se mènerait, à l’encontre des oukases de Londres, sur l’adhésion à de l’Ecosse indépendante à l’Union européenne ? Bien sûr, répondre à cette question serait du ressort des Ecossais ayant retrouvé leur souveraineté nationale et populaire. Mais, au-delà du principe -  aux Ecossais de décider ! - et de l’espoir qu’une rupture démocratique, même dans un pays de taille limitée, secouerait l’édifice construit par les élites européennes, il reste que l’Union européenne demeure une machine de guerre contre les droits sociaux.

. Bien sûr, la question principale demeure la dynamique potentielle de l’indépendance, du point de vue politique et social. Finalement, est-ce qu’une victoire du « Oui » et, dans la foulée, l’accession de l’Ecosse à l’indépendance - franche ou partielle - ne constitueraient-elles qu’une péripétie institutionnelle dans les modes de domination de la classe dirigeante (capitaliste) ? Ou bien, assisterait-on à une véritable rupture dans cette domination de classe, ouvrant la voie à des mobilisations populaires et à des transformations radicales, dans le domaine social comme en matière de démocratie ? Globalement, cette seconde option est l’espoir et l’hypothèse de travail de la gauche radicale, aussi bien écossaise que britannique…

François Coustal

Pour compléter cette courte présentation des enjeux politiques du référendum écossais, le mieux est encore d’aller à la source et de consulter les prises de positions et analyses des différents groupes de la gauche radicale, écossaise et britannique. Voici en pièces jointes quelques-uns des documents les plus intéressants (traduits par mes soins).