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    L’accord entre le Rwanda et la RDC, signé sous l’égide des Etats-Unis, peut-il amener la paix ?

    Par Luc Raisse (12 juillet 2025)
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    L’accord de paix entre le Rwanda et la République du Congo (RDC), signé le 27 juin à Washington, a été qualifié parfois d’« historique ». En tout cas, Trump en est très fier (« un nouveau chapitre d’espoir », « un jour merveilleux »...) – d’autant que c’est l’un de ses rares succès diplomatiques. De là à lui attribuer le Nobel de la paix, comme il en rêve à ce que l’on dit, il y a un gouffre qui est loin d’être franchi. Car la probabilité que cet accord mette fin aux conflits meurtriers qui ravagent l’Est de la RDC depuis plus de trente ans est faible.

    Un objectif limité à l’accord entre les deux États

    Ce n’est d’ailleurs même pas son objectif officiel. Signé par les ministres des affaires étrangères du Rwanda et de la RDC sous la supervision de Marco Rubio, cet accord concerne uniquement le conflit entre ces deux pays, qui n’est pourtant qu’un des volets de la situation complexe expliquant la crise et la guerre permanentes à l’Est de la RDC. Il ne prévoit rien pour démanteler les dizaines de groupes armés qui sévissent en toute impunité, contrôlant des mines, multipliant les exactions, obligeant les populations à fuir, avec parfois la complicité de l’armée officielle et de ses fonctionnaires de la RDC. L’accord du 27 juin affirme certes le droit au retour des populations déplacées (du reste sans prévoir les moindres indemnisations ou réparations, sans même parler de mesures d’accompagnement et de soutien), mais cela restera un vœu pieux tant que la paix civile ne sera pas rétablie. Or cela ne peut passer que par le retour du contrôle de l’État congolais sur l’ensemble des mines et des infrastructures, qui suppose leur nationalisation et leur sécurisation par une armée nouvelle, constituée par la population elle-même et débarrassée de la corruption en étant bien payée pendant le temps du service.

    Le gouvernement de la RDC est au plus loin d’une telle politique : alors que l’exploitation des mines a, depuis longtemps, été soit cédée à des entreprises principalement chinoises, soit abandonnée à des entreprises mafieuses reposant sur des groupes armés, Tshisekedi vient de s’engager à donner aux entreprises états-uniennes un plus grand accès aux très nombreux et très précieux minerais congolais : c’est le prix exigé par Trump pour son intervention diplomatique. De son côté, le Rwanda a concédé aux mêmes entreprises états-uniennes des facilités pour acheminer les minerais congolais et les exporter partout dans le monde (ce qu’il fait déjà largement pour les minerais exploités légalement ou illégalement en RDC).

    Non seulement l’accord est très limité, mais en outre il est loin d’être certain qu’il puisse être atteint. L’accord prévoit d’une part le retrait des soldats rwandais du sol congolais, d’autre part la neutralisation des FDLR, cette milice dirigée par les anciens génocidaires des Tutsis du Rwanda en 1994, qui continuent de sévir à l’Est du Congo où elle s’est réfugiée et où elle se livre à des exactions contre les Tutsis congolais depuis trente ans – raison invoquée par le Rwanda pour justifier les « mesures défensives » qu’il a prises. Le fait est que, comme l’a confirmé une fois de plus le nouveau rapport du groupe d’experts mandaté par le Conseil de sécurité de l’ONU, paru le 2 juillet, la présence de soldats rwandais sur le sol de la RDC a bien joué un rôle décisif dans les succès du M23, tandis que l’armée de la RDC, violant ses engagements antérieurs, s’est alliée avec les FDLR sous prétexte de combattre le M23. Il peut donc sembler que les deux mesures principales de l’accord soient les clés pour une résolution du conflit entre les deux États.

    Ni le M23, ni les FDLR ne sont parties prenantes de l’accord

    Pourtant, rien n’est moins sûr. D’une part, la mise en œuvre de l’accord dépend uniquement de la bonne volonté des deux gouvernements. Il y a certes un calendrier (avec des étapes précises sur quatre mois) et un comité de surveillance de l’accord (composé de représentants de l’Union africaine, des États-Unis et du Qatar), mais aucune sanction n’est prévue si les parties ne le respectent pas ou traînent des pieds. Or il semble que des représentants des deux États commencent déjà à polémiquer sur l’interprétation de l’accord, quant à l’ordre des étapes du processus – la RDC exigeant que le Rwanda commence par retirer un partie de ses soldats et le Rwanda attendant un début de démantèlement des FDLR... Du reste, cet accord n’est pas le premier qui soit signé sous l’égide des USA : les précédents, notamment en 2004 et en 2023, sont restés lettres mortes.  

    D’autre part et surtout, cet accord n’associe pas le M23 et les FDLR, qui sont pourtant au cœur de la question ! Le M23 a emporté des victoires militaires contre l’armée de RDC et ses supplétifs, il occupe une bonne partie des deux Kivus, dont les capitales Goma et Bukavu, où il a mis en place une administration, une fiscalité propre, etc., tout en se renforçant par des milliers de nouvelles recrues. Il est donc en position de force dans les négociations avec le gouvernement central de la RDC, qui se déroulent au Qatar et qui sont au point mort. Le gouvernement de Tshisekedi exige comme préalable que les rebelles du M23 et de l’AFC (Alliance du fleuve Congo, la structure politique à vocation nationale qui s’est alliée au M23) retirent leurs troupes, les cantonnent et se soumettent à l’autorité de l’État, mais il n’a pas le rapport de forces qui lui permette de l’espérer. De leur côté, le M23 et l’AFC exigent un cessez-le-feu immédiat et des « mesures de confiance » prouvant que l’État central les reconnaisse comme des forces faisant partie de la vie politique nationale, ce que Tshisekedi refuse absolument car il a fait de la lutte contre le M23 et l’AFC une priorité de sa politique.

    Quant aux FDLR, rien ne dit qu’elles acceptent d’être « neutralisées » par l’État de la RDC. Elles ont maintenu leur existence autonome depuis trente ans, avec des périodes où elles étaient combattues par l’armée congolaise et d’autres où elles étaient alliées. Elles tiennent à leur identité, qui repose sur une idéologie forte, transmise aux générations plus jeunes, fondée sur le racisme anti-tutsi, le suprématisme hutu, le négationnisme du génocide de 1994 (avec de forts relais internationaux) et même une fascination certaine pour l’armée nazie (Voir Dominic Johnson, Simone Schlindwein et Bianca Schmolze, Les FDLR, histoire d'une milice rwandaise : des forêts du Kivu aux tribunaux de l'Allemagne, Éditions Ch. Links, 2019). De plus, elles sont plutôt dans une phase de déclin suite à des dissensions internes et aux défaites que leur a infligées le M23, jusqu’à l’arrestation de certains de ses dirigeants (comme cet ancien génocidaire recherché par le Tribunal pénal international pour le Rwanda - Il s’agit du sinistre Ezechiel Gakwarere, voir Libération, 5 mars 2025). Du reste, les revers qu’elles ont subis font que les FDLR sont encore plus dispersées qu’auparavant, certains de ses groupes étant même cachés dans les zones contrôlées par le M23 : il sera donc difficile de les « localiser », ce qui constitue la première phase de l’accord avant leur « neutralisation ». Il est fort à craindre que, si le gouvernement de la RDC veut vraiment aller jusqu’au bout, il soit contraint de recourir à la force pour démanteler les FDLR, et c’est peut-être justement ce qu’il ne voudra pas, car ce serait là renoncer à une milice qui lui a été fort utile pour combattre le M23, son ennemi principal. Du reste, les opposants parlementaires à Tshisekedi font monter la pression : certains protestent déjà contre l’accord en considérant qu’il brade les richesses du pays aux USA et qu’il consiste en une capitulation devant le Rwanda. Or la coalition gouvernementale, constituée de façon largement opportuniste après une longue période de crise et de négociations, reste très fragile (Voir Libération, 17 mai 2024).

    Enfin, l’objectif d’ouvrir des négociations entre le Rwanda et la RDC pour constituer un cadre d’intégration économique régionale et renforcer la coopération des deux États sur la gestion des ressources naturelles, des investissements transfrontaliers et des parcs nationaux, reste théorique à ce stade, car il dépendra évidemment de la réalisation des points principaux de l’accord. Il est peu probable que le sommet prévu fin juillet, au cours duquel les deux présidents Tshisekedi et Kagamé devraient se rencontrer avec Trump en personne ne reste pas symbolique.

    La seule solution pour une paix durable passera par l’intervention des peuples concernés

    L’accord du 27 juin est donc limité et incertain. Il n’en reste pas moins que l’intervention des États-Unis depuis le début du printemps a contribué à faire cesser les combats entre le M23 et l’armée de RDC, gelant les positions des uns et des autres. C’est évidemment une bonne chose, car les populations civiles sont les principales victimes de ce conflit. Mais la guerre peut reprendre à tout moment et, de toute façon, les conflits sanguinaires continueront de sévir dans la région car elle est aux mains d’une myriade de groupes armés qui, avec l’exploitation des mines, ont des assises assez fortes et jouent tous leur propre jeu.

    Un véritable processus de paix ne sera possible que si les deux peuples du Rwanda et de la RDC se saisissent de la question et prennent en main leurs propres affaires. Cela impliquera nécessairement le renversement de Kagamé et de Tshisekedi, élus l’un et l’autre de manière frauduleuse, la convocation d’élections libres contrôlées par le peuple lui-même, le démantèlement des groupes armés privés, la nationalisation des richesses nationales et des mesures de rupture avec les puissances impérialistes qui les exploitent allègrement.

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