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Ministère de la Culture: ne rien lâcher!

Par Laszlo Merville (24 mai 2012)
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Aurélie Filippetti est la nouvelle ministre de la culture du gouvernement Hollande. Cette femme, fille d’ouvrier communiste, romancière et militante du PS, a été nommée le 16 mai dernier par Jean-Marc Ayrault à la tête de ce ministère. Les espoirs sont grands envers elle tant les chantiers sont nombreux et l’état de la culture en réelle dégénérescence.

Ses premières promesses ont d’ailleurs été accueillies avec satisfaction dans les milieux culturels qui sont généralement et historiquement situés plutôt à gauche. Citons par exemple sa volonté de débloquer « rapidement » certains crédits du ministère qui avaient été gelés sous le précédent gouvernement : « Le précédent gouvernement avait fait des gels budgétaires en début d"année qui ont considérablement pénalisé non seulement les compagnies dramatiques mais aussi les centres chorégraphiques, les festivals, les orchestres » (Au. Filippetti, France Inter, Lundi 21 mai).

Elle s’est également dite favorable à un retour de la TVA à 5,5% sur le livre, ce qu’espéraient tous les libraires indépendants des grandes maison d’édition.

Elle a évoqué la possibilité d’une « éducation artistique de la maternelle à l’université » dont elle devra dessiner les contours avec Vincent Peillon, le ministre de l’Éducation, et s’est dite prête à soutenir le spectacle vivant, déplorant que les structures chorégraphiques, dramatiques, musicales du spectacle vivant et de la création « aient été asphyxiées par une politique de gel budgétaire » (déclaration à l’AFP, 19 mai 2012).

Bref, toutes ces mesures, ou plutôt promesses, semblent bien sûr progressistes dans le contexte actuel. Mais si l’on se penche plus particulièrement sur trois chantiers décisifs (l’audiovisuel, Hadopi et les intermittents du spectacle), on ne peut que constater que Filippetti n’a nulle intention de s’en prendre à la dure réalité du système capitaliste et de l’austérité.

Concernant l’audiovisuel, Filippetti veut que, d’ici début 2013, la nomination des présidents des chaînes publiques par le chef de l’État soit remplacée par un « nouveau  CSA » dont les membres seraient désignés par les commissions culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat. Sur France Inter, elle a en effet déclaré que « cela permettra une plus grande indépendance du CSA vis-à-vis du pouvoir exécutif, pour l’intitulé on verra, ce sera un nouveau CSA ». La suppression de la désignation des patrons de l’audiovisuel public par le président de la République est à saluer, tant le processus instauré par Nicolas Sarkozy était anti-démocratique.

Mais si le PS obtient la majorité parlementaire, ce sera donc lui et lui seul (les commissions sont tenues et contrôlées par la majorité en place) qui désignera les membres d’une instance appelée ensuite à nommer les futurs PDG de France Télévision et de Radio France. Et alors, ou est le progrès ? Quelles seront les garanties d’indépendance vis-à-vis du pouvoir ? Et pourquoi confier à des parlementaires, qui auront naturellement une lecture politique du rôle qui leur est confié, le soin de composer une instance dont les membres devront leurs mandats à une poignée de députés et de sénateurs majoritairement de gauche ? Finalement la question principale n’est pas réglée : celle de l’ indépendance des médias audiovisuels vis-à-vis du monde politique.

Pour notre part, nous considérons qu’il faut une réelle indépendance de l’audiovisuel, des médias et de la presse pour les libérer du diktat des industries culturelles des médias, des « chiens de garde » du capitalisme. Il faut créer un véritable service public des médias et de l’audiovisuel en expropriant les grands groupes capitalistes et en le plaçant sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes.

Sur la loi HADOPI, qui vise à réprimer le partage sur Internet des fichiers soumis au droit d’auteur ou plutôt aux grosses maisons de production musicale et cinématographique, Aurélie Filippetti avait déclaré, dans une interview fin 2011 : « Moi, je veux supprimer Hadopi, oui. Ne nous trompons pas : le numérique est une aubaine, il va nous permettre de multiplier les formes artistiques et leur consommation. Il faut sortir d’une vision malthusienne et mettre fin au modèle répressif. Pour le remplacer, nous mettrons à contribution les bénéficiaires de la chaîne numérique afin de collecter une somme qui servira à rémunérer les auteurs. » (Le Monde, 22 décembre 2011).

Bref, une mesure effectivement « normale » pour un gouvernement de « gauche ». Sauf que, depuis son élection, la ministre de la culture a quelque peu retourné sa veste, sans doute face aux grognements des grands patrons de l’industrie culturelle qui contrôlent le net. Ainsi, elle a déclaré lors du Festival de Cannes qu’elle mettrait finalement en place « une nouvelle méthode de concertation, sans brutalité, sans précipitation, sans opération de communication qui ne débouche pas sur des réalités concrètes ». A cette occasion, sera effectué un « bilan » de la Hadopi, avec « ses forces et ses faiblesses ». Samedi, la veille de son arrivée au festival, Aurélie Filippetti avait déjà donné un gage aux pro-Hadopi : elle avait annoncé à son directeur de cabinet durant la campagne, Juan Branco, qu'il ne ferait pas partie de son équipe rue de Valois. Or Juan Branco était un militant anti-Hadopi de la première heure, ayant notamment été, en 2009, à l'origine d'une tribune anti-Hadopi cosignée par Chantal Akerman, Victoria Abril, Catherine Deneuve, Louis Garrel, Chiara Mastroianni et son père, le producteur Paulo Branco (1).

Par ailleurs François Hollande avait écrit une lettre à Nicolas Seydoux, président de l'ALPA (Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle), pour lui dire qu'il jouerait un rôle moteur sur ce dossier. Or cet homme dont l'avis est écouté dans le monde du cinéma souhaite le maintien d'un volet répressif, seule arme dissuasive à ses yeux.

Cet exemple montre une nouvelle fois que, lorsque l’on est ministre dans un pouvoir qui défend les intérêts des capitalistes, les belles promesses font trois petits tours et puis s’en vont…

Il faut abroger immédiatement Hadopi qui renforce les capitalistes et asphyxie les labels de musique et de cinéma indépendants, il faut créer une plate-forme publique de téléchargement et on peut inventer un autre système plus juste de rémunération des artistes qui ne soit pas dépendant des grands groupes de l’industrie culturelle.

Enfin, sur les intermittents du spectacle qui sont de plus en plus précarisés et dont le système même risque à courte échéance de disparaître car il n’est absolument pas rentable pour le capitalisme, il est important de regarder de plus près ce qu’a dit Aurélie Filippetti, ou plutôt ce qu’elle n’a pas dit. Elle a souligné qu'il faudrait rouvrir ce dossier avant fin 2013, date de l'expiration des conventions Unedic (dossier en hibernation sous Sarkozy par peur de la réaction des travailleurs intermittents, souvent très combatifs et notamment nombreux dans les médias, donc dangereux pour le pouvoir). Toujours à Cannes, elle a déclaré : « Nous serons vigilants à préserver ce système qui contribue à soutenir la création française »  Avant de préciser qu'« il faudra être lucide, courageux, mais aussi savoir où on veut aller, vers le soutien à la création, au spectacle vivant ». Bref, pas très claire sur les intentions du nouveau gouvernement sur ce dossier !

Avec les travailleurs et travailleuses du spectacle, nous exigeons le retour au régime d’assurance chômage d’avant 2003, date à laquelle le patronat et la CFDT avaient signé un accord pourri concernant les annexes 8 et 10, qui diminue drastiquement le droit des intermittents. Des luttes ont été lancées, des collectifs créés, des festivals annulés, grâce à la grève des travailleurs du spectacle, mais malheureusement la réforme est passée, et des milliers d’intermittents ont perdu leur statut et ont été plongés dans une grande précarité. Ne rien faire aujourd’hui pour revenir sur cette réforme, c’est capituler devant le MEDEF, devant le grand patronat, et nous ne sommes pas étonnés que ce nouveau ministère de la Culture soit déjà en train de capituler… ou plutôt d’approuver indirectement les attaques contre les travailleurs du spectacle.

L’intermittence est un statut déjà précaire ; c’est pourquoi, en plus de revenir sur la réforme de 2003, il faudrait mettre en place un système plus mutualiste et un élargissement du champ d'application des annexes 8 et 10 à toutes les activités artistiques non prises en compte à ce jour (plasticiens, photographes, sculpteurs, peintres, etc.).

Pour conclure, il nous faut également parler de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) qui est, in fine, la cause des coupes drastiques dans les secteurs culturels divers. Dire qu’on va débloquer de l’argent pour la culture sans remettre en cause la RGPP, comme le dit Madame Filippetti, c’est mentir de façon honteuse aux travailleurs. La RGPP, qu’approuve le Parti socialiste, est synonyme de précarisation des agents non titulaires, de coupes budgétaires pour les collectivités, de partenariats de plus en plus étendus avec le privé et les multinationales, alors que dans le secteur culturel déjà un quart des salariés sont précaires (26%). Bref, la RGPP est une véritable arme d’austérité anti-sociale que les travailleurs du secteur culturel doivent détruire par la grève et l’auto-organisation et non pas en faisant confiance à des ministres prétendument socialistes. Dans nos revendications immédiates pour les salariés du secteur culturel, nous devons donc intégrer la restitution des emplois supprimés, la mise en place d’un plan de recrutement massif de titulaires en fonction des besoins réels, des formations à la hauteur des missions d’un service public culturel digne de ce nom et d’un nouveau plan de titularisation de tous et toutes les précaires et non-titulaires qui le souhaitent, sans condition de concours ni de nationalité. Nous devons aussi exiger des moyens supplémentaires alloués à l'éducation artistique, assortis de la possibilité pour les artistes et techniciens de comptabiliser ces interventions artistiques et pédagogiques dans leurs ouvertures de droits et indemnisations.

On le voit, malgré toutes les belles promesses de la nouvelle ministre de la culture, le capitalisme et l’austérité vont prendre le dessus. Il sera donc nécessaire de se mobiliser, de s’organiser, à la base, dans la culture et ailleurs, pour faire plier ce gouvernement, pour bloquer l’austérité, pour détruire le capitalisme et construire le véritable socialisme, seul système qui permettra l’épanouissement et la réelle démocratisation culturelle.


1) Cf. http://www.liberation.fr/culture/0101560675-lettre-ouverte-aux-spectateurs-citoyens

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