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    Chapitre 6.1: "Créer un état d’urgence sociale"... en semant des illusions keynésiennes ?

    Par Luc Raisse (17 mars 2022)
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    La Tendance CLAIRE a décidé d’ "appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme" (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.

    Billets précédents :

    Chapitre 1.1, Chapitre 1.2, Chapitre 1.3, Chapitre 1.4, Chapitre 1.5, Chapitre 1.6

    Chapitres 2.1 et 2.2, Chapitre 2.3, Chapitre 2.4, Chapitre 2.5, Chapitre 2.6

    Chapitre 3.1, Chapitre 3.2, Chapitre 3.3, Chapitre 3.4

    Chapitre 4.1, Chapitre 4.2, Chapitre 4.3, Chapitre 4.4, Chapitre 4.5

    Chapitre 5.1, Chapitre 5.2, Chapitre 5.3, Chapitre 5.4, Chapitre 5.5, Chapitre 5.6, Chapitre 5.7

    La partie 3 du programme AEC s’intitule « Unir pour bien vivre ». Ce titre est à lui seul un bon résumé de la nature même de ce programme, réformiste et même « populiste » : il ne s’agit pas avant tout de développer la lutte de classe, ni en général les luttes des dominé-e-s contre les dominants, car cela impliquerait forcément d’assumer que la société est « divisée » et de se battre pour la fin de la domination de classe, pour l’égalité réelle, en un mot pour le communisme. Mais le programme AEC veut unir le « peuple », compris non dans le sens des classes populaires, mais selon le mythe d’une unité nationale où les intérêts des capitalistes et des prolétaires, des possédants et des dépossédés, serait un objectif vertueux (certes en réduisant les inégalités, en taxant les riches, en combattant les oppressions, etc.). Cependant, il n’en contient pas moins un ensemble de propositions en elles-mêmes progressistes, la principale question étant là encore que leur application dans le cadre du capitalisme est pour le moins douteuse...

    Cette partie compte trois chapitres : « La vie en état de pandémie permanente » (chapitre 6) ; « Plein emploi » (chapitre 7) ; et « Partage des richesses » (chapitre 8).

    Le titre du chapitre 6 peut sembler curieux et peu optimiste, mais son contenu vise en fait à sécuriser les conditions de vie face aux risques sociaux, sanitaires et écologiques.

    6. 1) « Créer un état d’urgence sociale »... en semant des illusions keynésiennes typiques du réformisme ?

    Le constat est ici le suivant : « Ces dernières années, les états d’urgence se multiplient : sécuritaire, sanitaire. Ils vont tous dans le même sens : restreindre les libertés individuelles et collectives. Pour faire face à l’insécurité écologique due aux pandémies et aux conséquences du changement climatique, il faut à l’inverse un état d’urgence sociale pour garantir la sécurité sociale des personnes et renforcer les liens d’entraide. » On peut douter qu’il soit pertinent d’opposer une urgence sociale à l’urgence sanitaire comme celle à laquelle on a dû faire face avec l’épidémie de Covid, dans la mesure où les temporalités ne sont pas les mêmes. Bien sûr, indépendamment des aléas imprévisibles, il faut prendre avant tout des mesures pour mettre fin à l’insécurité sociale des personnes. Mais cela relève en fait de mesures structurelles et non conjoncturelles – soit, à notre avis, de mesures anticapitalistes et non seulement d’une promesse d’intervention étatique pour limiter les dégâts du capitalisme...

    Ainsi la « mesure clé » est-elle de « bloquer les prix des produits de première nécessité ». Nous sommes d’accord bien sûr, car c’est une limite au marché libre ; mais c’est plus une mesure d’urgence qu’une mesure structurelle : au-delà d’une certaine durée et/ou d’une certaine quantité de produits (sachant que la « première nécessité » peut être entendue dans un sens assez large), les entreprises capitalistes n’auraient aucun intérêt à continuer à produire et distribuer avec des profits nuls ou trop faibles. Là encore, il faut anticiper leurs réactions et les rapports de forces : soit le gouvernement de Mélenchon devra céder aux menaces d’arrêt de la production, de licenciements, de délocalisations, etc. – et alors il ne pourra pas bloquer beaucoup de prix ; soit il devra aller jusqu’au bout d’une logique d’entrave au marché libre et de promotion des besoins sociaux – mais dans ce cas se posera très vite la question d’exproprier les entreprises indispensables qui feraient un tel chantage.

    Le programme AEC propose ensuite d’« augmenter immédiatement le SMIC et les minima sociaux ». Nous sommes évidemment pour, car c’est une revendication légitime des travailleurs/se-s et des personnes rendues pauvres par le capitalisme, et ce serait une mesure d’urgence. Mais, là encore, on ne peut négliger le fait que, avec la concurrence internationale, cela aura à moyen terme pour conséquence une baisse des profits et donc des fermetures d’entreprises. C’est pourquoi, au-delà d’une revendication syndicale élémentaire, il faut qu’un programme politique articule cette mesure à une stratégie plus globale. Les marxistes révolutionnaires prônent en ce sens l’expropriation des grands groupes capitalistes. Les keynésiens et les réformistes, dont le programme AEC est une expression, laissent croire qu’on pourrait augmenter les revenus du prolétariat et des classes populaires sans mettre en cause le capitalisme.

    C’est encore plus le cas quand le programme AEC préconise non seulement de « repousser de deux ans le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) », mais aussi de « réquisitionner les dividendes distribués pendant une crise sanitaire, par les entreprises du CAC 40 et créer des emplois utiles immédiatement pour faire face à l’urgence sociale ». Mais, d’une part, les dividendes en question ne sont pas un stock disponible : ils ont déjà été réinvestis ou consommés par les capitalistes ! Donc les « réquisitionner » ne peut signifier que des mesures d’expropriation au moins partielle, par la saisie des actions et autres parts de capital, voire des biens de luxe, que détiennent ces capitalistes. D’autre part, il est évident que si un gouvernement commençait à réquisitionner ces avoirs, les entreprises du CAC 40 ne resteraient pas l’arme au pied, mais engageraient une résistance générale contre ce gouvernement et n’hésiteraient pas à licencier, délocaliser et fermer des usines pour sauver leurs profits. Malheureusement, le programme AEC ne se préoccupe pas ici des conséquences des mesures qu’il propose, semant en fait des illusions.

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