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Chapitre 5.3: "L’eau, enjeu central pour l’humanité"
La Tendance CLAIRE a décidé d’ "appeler à voter pour Jean-Luc Mélenchon tout en menant bataille contre les impasses réformistes de son programme" (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1705). C’est pourquoi nous proposons une analyse critique du programme de l’Union populaire.
Billets précédents :
Chapitre 1.1, Chapitre 1.2, Chapitre 1.3, Chapitre 1.4, Chapitre 1.5, Chapitre 1.6
Chapitres 2.1 et 2.2, Chapitre 2.3, Chapitre 2.4, Chapitre 2.5, Chapitre 2.6
Chapitre 3.1, Chapitre 3.2, Chapitre 3.3, Chapitre 3.4
Chapitre 4.1, Chapitre 4.2, Chapitre 4.3, Chapitre 4.4, Chapitre 4.5
5. 3) « L’eau, enjeu central pour l’humanité » : le programme AEC prône une « gestion 100% publique »... mais reste évasif sur ce que cela signifie et ne dit rien des multinationales du secteur, qui pourtant exploitent la majorité de l’eau potable !
L’eau est, avec l’air, l’un des deux seuls « biens communs » dont le programme AEC exige la « collectivisation » sans attendre le « référendum » qui devra définir la liste des autres biens et services communs. C’est justifié parce que « l’eau est le grand défi commun de l’humanité. C’est une urgence écologique : le cycle de l’eau est perturbé par le réchauffement climatique. C’est aussi une urgence sociale. Des centaines de milliers de Français, les Ultramarins en première ligne, subissent des coupures d’eau et leur eau est polluée. Garantir le droit d’accès à l’eau et à l’assainissement par une gestion publique est une priorité. »
On peut bien sûr approuver les mesures symboliques, car il n’est jamais inutile d’affirmer des principes, même s’ils ne garantissent en fait pas grand-chose : la « mesure clé », qui est de « consacrer une "règle bleue" qui applique le principe de la "règle verte" (ne pas prendre à la nature davantage qu’elle ne peut reconstituer) à l’eau pour son usage et pour la protection de sa qualité » ; la proposition d’« inscrire l’eau comme bien commun et la protection de l’ensemble de son cycle, y compris les nappes phréatiques, dans la Constitution » ; et celle d’« inscrire l’accès à l’eau, son assainissement et le droit à l’hygiène comme droit humain fondamental ».
De même, il faut se réjouir que, sur ce sujet de l’eau, le programme AEC soit souvent assez précis et concret : il propose ainsi, à juste titre, de « réprimer plus durement les coupures d’eau illégales » (opérées aujourd’hui par les distributeurs privés, comme Véolia, Suez, etc.), « rendre effectif le droit à l’eau et à l’assainissement par la gratuité des mètres cubes indispensables à la vie digne et par la suppression de l’abonnement », « instaurer une tarification progressive et différenciée selon les usages », « mailler le territoire de fontaines à eau, de douches et de sanitaires publics et gratuits », « renforcer les effectifs de la police de l’eau présente sur tous les territoires pour contrôler plus strictement le captage par les industries de l’eau en bouteille et pour empêcher toute pollution industrielle ou agricole », « redonner des moyens humains et financiers aux agences de l’eau », « mettre fin au déclassement des cours d’eau et rétablir les cours d’eau déclassés », « atteindre durant le mandat le très bon état écologique et chimique de tous les cours d’eau (fleuves, rivières, ruisseaux) et réserves souterraines », « systématiser le recours au fret fluvial dès que possible »...
Enfin et surtout, le programme AEC se propose de « créer un haut-commissariat à l’eau pour organiser une gestion 100% publique de l’eau, articulée autour de régies publiques locales ouvertes aux citoyens ». Il serait juste en effet que l’eau soit gérée par le peuple et ses représentants, et la façon même dont se présente cette ressource (territorialité des nappes phréatiques et des eaux de source) justifie que cette gestion soit en bonne partie locale. Malheureusement, le programme AEC reste évasif sur ce que signifie l’expression « gestion 100% publique ». Officiellement, en effet, la gestion de l’eau potable (ou du moins de sa distribution) et de l’assainissement relève encore des communes, même si elle est confiée en fait, au-delà des grandes villes, à des regroupements bureaucratiques de communes et même de plus en plus à des EPCI (Établissements publics à caractère commercial et industriel) où chaque commune n’a plus vraiment voix au chapitre ; et bien sûr, dans tous les cas, les citoyen-ne-s ne sont jamais associé-e-s à cette gestion. Mais surtout, la plupart des communes et regroupements de communes qui ne sont pas petits (31% d’entre eux, mais 60% de la population) délèguent en fait leurs compétences « eau et assainissement » à des trusts privés, à savoir essentiellement Véolia et Suez (dont le secteur eau est lui-même en partie contrôlé par Véolia), avec à la clé des coûts excessifs pour les usager/ère-s et une négligence de l’entretien conduisant au gaspillage de l’eau (on estime qu’en France un quart de l’eau captée est gaspillée en raison de la vétusté des canalisations !). Certes, suite à différents scandales dans la gestion de ces trusts, on a assisté depuis les années 2010 à une « remunicipalisation » des services de l’eau et de l’assainissement dans plusieurs grandes villes riches, comme Paris, Grenoble ou Bordeaux, qui ont les moyens de les financer par leurs fonds propres. Mais il n’en reste pas moins que, tout en étant officiellement un service public, la distribution de l’eau et l’assainissement sont aujourd’hui assurés essentiellement par ces multinationales françaises, qui occupent d’ailleurs aussi les premières places dans ce secteur au niveau international. Or, aussi incroyable que cela paraisse, le programme AEC n’en dit pas un mot ! Comment veut-il dès lors parvenir à une véritable « gestion 100% publique » ? On peut supposer qu’il compte simplement attendre que leurs contrats de délégation arrivent à échéance... mais ce sera parfois dans de nombreuses années, puisque ces contrats durent en général de 7 à 20 ans ! On serait au moins en droit d’attendre que le programme AEC assume cette amère potion, au lieu d’y noyer le poisson ! Pour que la « collectivisation de l’eau » qui nous est promise soit réellement mise en œuvre, il faut en fait rompre sans conditions ni indemnités les contrats de Véolia, Suez et Cie, qui se sont bien assez enrichies sur le dos des usager/ère-s. Pour réparer dans tout le pays les canalisations dont elles ont négligé l’entretien, et parce que c’est une urgence écologique, il faut leur confisquer leurs moyens techniques et logistiques. Et il faut intégrer leurs salarié-e-s dans la fonction publique territoriale (et non dans les contrats de travail de droit privé des EPCI). En un mot, il faut imposer comme seul modèle sur tout le territoire celui de la bonne vieille régie directe (par la commune ou le regroupement volontaire de communes), seule digne du qualificatif de « 100% publique ». Cela suppose bien sûr d’abroger les lois NOTRe et Maptam qui privent de fait les communes de leur compétence eau et assainissement, et mettre en place des instances communales et intercommunales élues, mais aussi révocables et contrôlées par les citoyen-ne-s.
Nous reviendrons dans le point suivant sur le problème que pose le souhait de laisser à ces entreprises privées l’exploitation de l’eau de source.