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L’absence des Kurdes à Genève élude une dimension de la crise syrienne
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les pourparlers indirects intersyriens, dont le cadre a été fixé par une résolution de l'Onu en décembre, et qui visent à mettre en place une transition politique négociée, première étape vers la paix, ont repris lundi à Genève.
Mais ce processus de discussions semble déjà mal engagé et risque de se trouver très rapidement paralysé. L'attitude de l'opposition syrienne envoyée par Riyad, qui s'est rendue à Genève à reculons, révèle la persistance de divergences fondamentales sur les orientations stratégiques à suivre et de rivalités aiguës entre des acteurs hétérogènes qui, lors des discussions préliminaires, ne se sont pas retrouvés autour d'une même table.
La délégation du gouvernement syrien a, pour sa part, fait savoir que les pourparlers étaient encore en « phase préparatoire en attendant de connaître la composition de la délégation de l'opposition ». L'émissaire de l'Onu, Staffan de Mistura, a d'ores et déjà annoncé des discussions « difficiles et compliquées » entre une opposition fragmentée et un régime conforté par l'évolution favorable de la donne sur le terrain militaire et qui entend amener l'opposition à davantage de concessions. Parmi les contradictions fondamentales qui minent ce processus, l'exclusion, conformément à la volonté de l'Arabie saoudite et de la Turquie, des Kurdes, qui se trouvent pourtant en première ligne dans la lutte contre le groupe État islamique (EI).
« La délégation kurde est arrivée le lundi (25 janvier) à Genève mais n'a pas reçu d'invitation, et elle est repartie le samedi avant que la délégation de Riyad n'arrive à Genève. Il y avait bien un chantage de la part de l'Arabie saoudite. Les Kurdes se sont sentis humiliés et il a fallu que les États-Unis envoient un diplomate pour leur expliquer la situation, puisqu'ils ne comprennent pas qu'on les mobilise dans la lutte contre le groupe EI et que l'on suive les vues de ceux qu'ils considèrent être les sponsors de l'EI », explique Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité au Washington Institute. Mais selon le chercheur, si Moscou a dans ce contexte soutenu l'initiative de Genève, c'est pour mieux « légitimer sa propre opposition et imposer des opposants laïcs dans le gouvernement de transition, au détriment des groupes islamistes perçus comme des terroristes ».
(Lire aussi : Des négociations au forceps imposées par des parrains aux intérêts divergents)
En ce sens, Genève n'est pas une initiative syrienne mais l'expression de la volonté des acteurs régionaux et internationaux de relancer le processus de négociations, sans toutefois d'intention sérieuse. Une sortie politique négociée de la crise syrienne est directement liée à l'évolution de la dynamique conflictuelle sur le terrain, dont les Kurdes sont une dimension essentielle. Ainsi, si la question épineuse des Kurdes, qui revient invariablement depuis le démantèlement de l'empire ottoman et la promesse non tenue d'un État kurde en 1920, ressurgit à travers le dossier syrien, elle constitue une équation à plusieurs inconnues.
Tandis que les Kurdes sont aujourd'hui perçus par l'opposition syrienne comme un allié objectif du régime, la convergence entre le PYD et le régime n'en demeure pas moins ponctuelle et n'efface en rien l'existence d'un antagonisme puissant entre les deux acteurs. Si, comme le rappelle Fabrice Balanche, les Kurdes revêtent un intérêt considérable dans la stratégie offensive des forces du régime contre les groupes armés, par la fermeture de la frontière syro-turque et la coupure de la principale voie d'approvisionnement des rebelles, le régime reste intransigeant sur le principe d'intégrité territoriale de la Syrie et s'oppose à toute velléité indépendantiste kurde.
Néanmoins, selon M. Balanche, aujourd'hui, « ce sont les Russes qui ont pris en main la question kurde. Si Vladimir Poutine est intervenu en Syrie, ce n'est qu'à condition que Moscou puisse négocier directement avec les Kurdes ».
Pour Washington, les Kurdes apparaissent comme un paravent dans la lutte contre l'EI, indispensable sur le terrain ; en contrepartie, les Kurdes sollicitent l'appui des États-Unis pour l'unification des trois cantons kurdes de Syrie, dans le cadre du projet du Rojava. Ils constituent également un élément important dans la stratégie russe de contrôle des frontières et jouent donc sur les contradictions entre Washington et Moscou pour la réalisation de leurs ambitions politiques.
Or cette perspective de voir émerger un proto-État kurde sur le territoire syrien serait aussi un scénario catastrophe pour la Turquie, qui fait une fixation obsessionnelle sur l'ennemi kurde. Ainsi, si le problème kurde fait partie intégrante de la résolution de la crise syrienne, comme l'a rappelé Moscou hier, il risque également de constituer un enjeu primordial de la lutte entre les différents acteurs pour le remodelage et le contrôle des frontières.