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Guantanamo: "Il faut fermer le centre, mais aussi que justice soit faite"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Il en avait fait l’une de ses priorités de campagne, en 2008. Sept ans plus tard, et à moins de dix mois de son départ de la Maison Blanche, Barack Obama a dévoilé, le 23 février, son ultime plan pour fermer le centre de détention de Guantanamo, ouvert par son prédécesseur, George W. Bush, dans la foulée des attentats du 11-Septembre.
Pour Nathalie Berger, responsable de la coordination Etats-Unis de l’organisation Amnesty International France, la prochaine fermeture du camp ne doit pas éclipser la question de la traduction devant la justice de ceux qui ont commis ou commandité des actes de torture.
Comment réagissez-vous aux annonces du président Obama ?
C’est la énième annonce de la fermeture de Guantanamo. Bien sûr qu’il faut fermer ce camp, c’est très important. Il fermera un jour ou l’autre, une partie des bâtiments est en ruine. Il faut fermer Guantanamo, mais il faut aussi que justice se fasse. Mettre la clé sous la porte et transférerles détenus n’est pas suffisant.
Les détenus qui ont commis des crimes doivent être jugés devant des cours fédérales américaines, compétentes pour juger des affaires de terrorisme, et doivent purger leur peine. Mais il faut que ceux qui ont subi des actes de torture et des violations de leurs droits puissent égalementobtenir justice. Que ceux qui ont commis ces violations et ceux qui les ont commanditées, les dirigeants, puissent eux aussi être jugés et punis. Dans son autobiographie, George W. Bush reconnaît avoir autorisé des simulacres de noyade. Cela suffirait à le traduire en justice !
Barack Obama peut-il réussir à fermer le camp d’ici à la fin de son mandat ?
On ne pourra pas nier que le président américain aura eu la volonté de fermer Guantanamo. Cela aura une portée symbolique forte s’il parvient à tenir sa promesse, même si cela aura pris du temps. Mais je ne suis pas convaincue qu’il réussisse. Les républicains vont tout faire pourempêcher cette fermeture. En pleine campagne électorale, le candidat à l’investiture républicaine Donald Trump a dit qu’il souhaitait agrandir le centre de détention. Même si Barack Obama légifère par décret, les républicains porteront la bataille sur le terrain judiciaire.
Qu’est-ce qui a fait obstacle, jusqu’ici, à la fermeture de Guantanamo ?
Le principal obstacle, c’est le vide juridique dans lequel les détenus ont été placés. Après le 11-Septembre, des mesures ont été votées, dont celle permettant au président américain de désigner toute personne soupçonnée de terrorisme comme « ennemi combattant ». Cette notion, qui n’existe dans aucune législation fédérale ou internationale, soustrait ces personnes à toute législation. Ce qui est illégal.
Aujourd’hui, sur les 91 détenus de Guantanamo, 36 sont désignés comme non jugeables, parce que les preuves à charge ont été obtenues sous la torture et sont donc non recevables. Et ces détenus sont non libérables. Il est effarant qu’un pays comme les Etats-Unis nous dise qu’il va maintenir 36 personnes en détention pour une durée indéterminée et sans jugement ! Si elles sont transférées vers des prisons de haute sécurité américaines, on aura juste modifié le code postal de Guantanamo.
Il faut que ces détenus bénéficient d’un procès équitable. Mais, même en faisant preuve de bonne volonté, les Américains ne savent pas comment les réintégrer dans le circuit judiciaire normal. Comme il y a un vice de forme dès le départ, dès le moment de leur arrestation, ils seraient immédiatement remis en liberté. Or il y a certainement parmi eux des personnes dangereuses.
L’autre problème concerne les détenus libérables : ils sont en grande majorité yéménites et ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays. Il faut donc trouver un pays tiers qui accepte – mais aussi qui soit capable – de les accueillir, de les aider à se réinsérer. Un Yéménite a récemment refusé de quitter sa cellule pour être transféré en Albanie, un pays dont il ne parle pas la langue, où il n’a aucun proche. Après quatorze ans dans une cellule de trois mètres carrés, c’est tout à fait compréhensible que cet homme ait peur.
Vous demandez à ce que justice soit faite. Y a-t-il des avancées sur ce plan ?
Concernant les actes de torture commis par des Américains, l’impunité est totale. Les anciens détenus de Guantanamo qui ont porté plainte pour torture, enlèvement et séquestration devant des cours fédérales ont tous été déboutés. Le gouvernement a invoqué l’argument du secret-défense.
Il faudra beaucoup de temps avant que les Etats-Unis reconnaissent que des anciens détenus de Guantanamo ont été victimes de violations. C’est le cas de tous les pays face aux épisodes dramatiques de leur histoire, de la France sur la question de la torture en Algérie, par exemple. Mais il est important pour toutes ces victimes qu’elles sachent que nous continuerons à nous battre.
Un ancien commandant du camp, le général Geoffrey D. Miller, est convoqué le 1er mars devant la justice française*. Faut-il en attendre quelque chose ?
Il ne viendra pas ! Mais là encore, c’est symbolique, c’est important d’en parler. La France est le seul pays européen qui a engagé une procédure contre des responsables américains.
*Le général Geoffrey D. Miller a supervisé le camp de Guantanamo avant d’officier dans la prison irakienne d’Abou Ghraib. Deux anciens détenus français de Guantanamo, Mourad Benchellali et Nizar Sassi, ont porté plainte pour séquestration, détention arbitraire et actes de torture. Elle est instruite depuis 2005 par le tribunal de grande instance de Paris.