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"Les Kurdes ont été traités comme des citoyens de seconde zone"

international Syrie

Lien publiée le 28 mars 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://histoireetsociete.wordpress.com/2016/03/28/les-kurdes-ont-ete-traites-comme-des-citoyens-de-seconde-zone/

26 mars 2016

Texte: Youri Bogdanov

http://www.vzglyad.ru/world/2016/3/26/801728.html

Moscou maintient des contacts étroits avec les Kurdes syriens, qui sont devenus une force militaire et politique majeure, mais reste prudente quant à la proclamation de l’autonomie kurde. Et à Damas et Ankara celle-ci est perçue avec hostilité. Une illustration de ces divergences est apparue à la conférence tenue « sur un terrain neutre » à Moscou avec la participation d’experts arabes, kurdes et russes.

(Traduit du russe par Marianne Dunlop pour histoireetsociete)

Moscou est en contact permanent avec les Kurdes syriens, tout en soutenant le principe de l’unité de la Syrie, a déclaré vendredi le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov. «Avec les Kurdes, nous avons de bons rapports. Nous sommes en contact avec eux, non seulement avec le Parti de l’Union Démocratique, mais aussi avec d’autres organisations ; des personnalités indépendantes, Kurdes sont venues même de Damas « , – cite RIA Novosti .

Selon ses propos,  » les différentes délégations ont différents points de vue et approches, et notre tâche est justement de les aider à trouver un langage commun, des dénominateurs communs. » Notez que le fait que la Russie et les États-Unis sont parvenus à un accord pour intensifier les efforts visant à intégrer les Kurdes syriens aux négociations entre Damas et l’opposition à Genève, a été mentionné vendredi par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Ceci est l’un des résultats des négociations des dirigeants russes avec le secrétaire d’Etat américain John Kerry.

«Les intérêts généraux de la Syrie devraient prévaloir sur les intérêts purement ethniques et confessionnels. La Syrie est un seul pays, et on ne peut pas la tirailler dans des directions différentes, ce serait mauvais pour les Syriens eux-mêmes et la région « , – a déclaré le ministre adjoint des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov.

Cependant, il est clair que les différentes forces politiques (et ethno-politiques) de la Syrie – même en étant sur la même ligne de front du combat contre ISIS – comprennent l’unité du pays de différentes manières. L’aspiration des Kurdes syriens à l’autonomie et à la fédéralisation, leur volonté « ici et maintenant » de proclamer l’autonomie, est pratiquement perçue par certains milieux à Damas comme un appel à la dislocation de la Syrie une et indivisible. D’autre part, le représentant des initiateurs de l’autonomie, le parti kurde « Alliance démocratique », Abd Salam Ali a récemment déclaré: «Nous espérons que notre exemple sera utile pour les autres nationalités et religions vivant en Syrie. Notre expérience peut être utile pour les Alaouites et les sunnites. Peut-être cela est la clé de la paix dans notre pays.  »

« Enterrés vivants« 

Qu’est-ce qui a poussé les Kurdes syriens à la création d’une région fédérale dans le nord de la Syrie? N’était-ce pas en quelque sorte une réponse au fait que les Kurdes n’ont pas été invités à participer aux pourparlers de Genève? Quel degré d’autonomie cherchent les Kurdes syriens et dans quel domaine? C’est à ces questions qu’on a tenté de répondre au cours de la table ronde multimédia organisée hier au centre international de presse MIA « Russie aujourd’hui » sur le thème: «Kurdistan syrien: fédéralisation et implications politiques. » La discussion ne fut pas sans conflit émotionnel entre les rapporteurs – Arabes et Kurdes.

« Tous les faits de la vie des Kurdes font valoir qu’ils ont été marginalisés par Damas. Selon l’expression d’un orientaliste occidental, les Kurdes syriens ont été enterrés vivants, – a insisté le président de l’Institut de l’analyse médiatique et politique (Erbil, Kurdistan irakien) Radwan Badni. – Naturellement, à la première occasion, ils se sont levés contre leurs oppresseurs. Les décisions des  Kurdes syriens sont d’une importance cruciale. Malheureusement, les trois tentatives du président du Kurdistan irakien Massoud Barzani pour l’unité des Kurdes n’ont pas donné de résultats sérieux », – a dit Badni.

Le sort des Kurdes syriens se décide maintenant, a déclaré un expert du Kurdistan irakien. « Voudront-ils revenir à l’état d’avant la révolution, quand ils ne disposaient pas de droits, ou bien la situation va-t-elle changer, » –s’est-il demandé.

«Quelle oppression?! »

L’expert de l’Irak a été soutenu par son homologue russe, Stanislav Ivanov, chargé de recherches à l’Académie des Sciences, spécialiste du Kurdistan. Le scientifique a déclaré que les Kurdes irakiens avaient été sauvés du génocide seulement grâce au fait qu’ils avaient annoncé leur autonomie à temps. « Les Kurdes disent qu’ils sont prêts à coopérer avec tous les représentants des autorités de Damas, s’ils tiennent compte de leurs droits. Mais jusqu’à présent, ni Assad ni l’opposition ne vont en ce sens. C’est ce qui a poussé les Kurdes à une telle démarche « – dit Ivanov. Si nous ne résolvons pas le problème kurde maintenant, il prendra une tournure telle qu’il fera trembler l’ensemble de l’Orient « , – a-t-il conclu à la fin de son intervention.

« Nous devons reconnaître que la Syrie, telle qu’elle était avant n’existe plus – a déclaré Ivanov. – les Kurdes n’ont pas déclaré leur fédéralisation de gaîté de cœur. Les Kurdes ont été séparés de force. Il y a le problème des familles, des tribus et des nations séparées. Lorsque les colonialistes ont tracé la frontière syrienne et celle des pays voisins, ils ont complètement ignoré les intérêts du peuple kurde, « – dit Ivanov.

« En termes économiques, les terres où  vivaient les Kurdes étaient les plus sous-développées. Les Kurdes ont été expulsés, on ne les a pas laissé se développer, leur langue a été interdite « , – énumère l’expert. Selon Ivanov, les Kurdes n’ont rien obtenu de bon sous le régime baasiste (Baath, « le Parti de la Renaissance socialiste arabe  » – parti au pouvoir en Syrie depuis le milieu des années 1960, le leader actuel du Baath syrien est le président Bachar al-Assad). « Les Kurdes ont été traités en citoyens de seconde zone », – estime l’expert.

Curieusement, c’est l’intervention de l’expert russe qui a suscité les réactions les plus dures et les plus émotionnelles des Syriens arabes, présents à la table ronde. À leur avis, Damas n’a jamais opprimé les Kurdes. « Les Kurdes ont leurs députés et ministres. De quelle oppression parlez-vous « -?! se sont récrié les Arabes.

La situation était si tendue que le modérateur de la table ronde a dû intervenir et réduire le degré d’émotion de certains des participants, pour la plupart des Arabes.

En fait, la Syrie est déjà divisée en plusieurs enclaves, a dit Ivanov. L’expert a souligné ce fait évident qu’en Syrie actuellement il y a les territoires de Daesh (ISIS), de l’opposition islamique, et il y a aussi les « îlots » alaouites et baasistes. L’ « ilot baasiste » se maintient grâce au soutien de l’Iran, du « Hezbollah », et des forces aérospatiales russes.

Les leçons d’Öcalan

L’orateur suivant fut le président de la Société russe pour la solidarité et la coopération avec le peuple kurde, Youri Nabiyev. L’expert a parlé de façon très convaincante et essayé d’expliquer scientifiquement les motivations idéologique et socio-politique de la fédéralisation. Nabiyev a conjuré toutes les personnes présentes à ne pas exagérer les annonces de fédéralisation et à se tourner vers les sources qui ont guidé les Kurdes de Syrie.

Il a abordé dans son discours la partie idéologique de la solution des Kurdes, ainsi que dissipé certains mythes présents dans la presse mondiale.

« Afin de comprendre quels Kurdes ont déclaré la fédéralisation, et qui sont ces gens qui n’ont pas été invités à Genève, il faut se référer à l’idéologie d’Abdullah Öcalan (chef du PKK en Turquie, qui purge actuellement une peine à perpétuité dans une prison turque). Pendant les années de son emprisonnement, ses idées ont subi une grande transformation. Öcala n’était partisan au départ de l’union de toutes les quatre parties d’un grand Etat kurde. Puis ses idées, sous l’influence des philosophes anarchistes, ont subi des changements majeurs, « – dit Nabiyev.

« À son tour, le principal parti du Kurdistan syrien, le PYD, et son chef Salih Muslim soulignent que, dans la pratique, le parti est guidé par l’idéologie d’Abdullah Öcalan. Je conseille à ceux qui sont intéressés par ces problèmes de lire les livres d’Öcalan. Si vous êtes attentifs, vous verrez que même dans les noms des partis kurdes il n’y a pas les mots Kurde ou Kurdistan. Ce qu’ils ont annoncé – c’est un projet anarchiste pour la création et le développement de communes. En Syrie, elles sont appelées cantons. D’abord des communes, puis une confédération démocratique des peuples. Ce sont les idées d’Öcalan « , – a dit l’expert. Nabiyev attire l’attention sur le caractère international des formations kurdes en Syrie.

En outre, Youri Nabiyev a montré la déclaration des Kurdes syriens sur la proclamation de la fédération. Il a souligné que le document ne fait aucune mention aux Kurdes ou au Kurdistan.

« N’y aura-t-il pas un effet domino ? »

Le Chef de la Section pour la coopération internationale et les échanges culturels de la Société impériale orthodoxe de Palestine, l’orientaliste Oleg Fomin a adressé sa question aux Kurdes. Il a noté qu’il y a une certaine préoccupation chez les amis de la Syrie et des Kurdes, en rapport avec l’annonce de la fédération.

«Ne pensez-vous pas que la création de cette région va commencer le processus de démembrement de la Syrie, qui était le but de l’ingérence extérieure. Quelqu’un d’autre va se constituer en région, par exemple, Deraa ou Alep. N’y aura-t-il pas un effet domino? »»- a demandé Fomin.

Stanislav Ivanov a noté qu’il y avait deux opinions sur cette question. « Certains pensent que la fédéralisation détruira la Syrie. D’autres sont convaincus qu’elle permettra de la sauver. Si nous parlons des Kurdes de Syrie, où voulez-vous qu’ils aillent? D’un côté la Turquie hostile, de l’autre – l’Etat islamique ennemi. Ils n’ont physiquement nulle part où aller, « – dit Ivanov. Youri Nabiyev, à son tour, a rappelé que la grande majorité des pays dans le monde vivent dans un système fédéral. L’expert a ajouté que les partisans du parti PYD, sur la base de leur idéologie, rejettent l’Etat en tant que tel.

En fin de compte, chaque participant à la table ronde est resté sur sa propre opinion. Aussi bien les Kurdes de Syrie et les Syriens arabes ont des intérêts légitimes. Les principaux participants à la conférence ont noté que la question de l’avenir de la Syrie doit être résolue par la diplomatie et une action commune contre les terroristes d’ISIS.

« Malheureusement, le soutien du monde civilisé n’a pas suffi. Sous la pression de la Turquie, de nombreux pays ont affaibli leur soutien aux Kurdes de Syrie. C’est à cause de la pression turque que les Kurdes sont restés en marge de la conférence cruciale de Genève-3. Nous pouvons dire avec confiance que la Fédération kurde en Syrie ne devrait pas causer de problèmes pour les Arabes « , – a déclaré le président de l’Institut d’analyse médiatique et politique Radwan Badni.

Coopération ou «tolérance zéro»?

Plus de 2,5 millions de Kurdes syriens, habitant de manière compacte la zone dans le nord et le nord-est du pays (dénommé en kurde « Rojava » – littéralement « Occident », à savoir la région occidentale du Kurdistan), contrairement aux Kurdes irakiens, n’ont pas eu et n’ont toujours pas leur autonomie reconnue légalement. Mais au cours de la guerre civile syrienne qui dure depuis  2011, le Kurdistan syrien a obtenu de facto son indépendance, et les milices des partis kurdes sont devenues une puissance militaire significative. La création d’une région autonome dans le nord, selon les dirigeants kurdes, a pour but d’unir les communautés ethniques disparates pour la lutte commune contre les organisations terroristes.

Le Comité suprême kurde, qui est dirigé par le chef du parti « Alliance démocratique » Salih Muslim Muhammad est en alliance avec Bachar al-Assad, mais poursuit évidemment ses propres objectifs qui peuvent ne pas coïncider avec les objectifs de Damas.

Les autorités de Damas ont déjà déclaré que la création d’une région kurde fédérale est illégale. Selon les autorités, ce processus ne peut que nuire à la lutte contre le terrorisme, mais aussi risque de diviser la Syrie. Ainsi, l’ambassadeur de Syrie à l’ONU, représentant extrêmement influent du gouvernement syrien, Bashar Jaafari, a averti d’une «tolérance zéro» pour les Kurdes, s’ils veulent une « fédéralisation ou sécession. »

L’opposition syrienne ne soutient pas non plus l’initiative, appelant tous les citoyens du pays à s’unir. Le Coordinateur du Conseil supérieur pour les négociations (WCP), pro-saoudien, l’Arabe Riyad Hijab a déclaré que le comité rejette l’idée d’introduire en Syrie une structure fédérale. Certains experts estiment que les Iraniens, qui veulent avoir une Syrie unifiée comme allié pourraient s’opposer à la fédéralisation du Kurdistan.

Sur l’irrecevabilité de ces mesures unilatérales, on a vu les mises en garde des Etats-Unis et de la Turquie (qui connaît de grandes difficultés avec la population kurde dans le sud-est). Moscou estime que ces questions devraient être résolues par consensus en vertu d’une nouvelle constitution syrienne, et non unilatéralement. Il y a des adversaires aussi parmi les Kurdes. Ainsi, des partis kurdes indépendants sont indignés par la décision de plusieurs autres mouvements kurdes qui annoncent la fédéralisation en Syrie – comme l’a déclaré le secrétaire général du Parti de jeunesse de la justice et du développement au Kurdistan syrien Baruin Ibrahim.