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Grèce : l’impossible résistance d’Alexis Tsipras
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(La Tribune) Les discussions ont repris entre Grecs et créanciers, mais un accord semble peu probable avant l'Eurogroupe du 9 mai. Alors que l'Eurogroupe réclame des mesures "contingentes", la situation d'Alexis Tsipras est de plus en plus difficile.
La discussion entre la Grèce et ses créanciers n'en finit pas de s'étirer. La fin de la « première revue » du troisième mémorandum semble encore loin. Ce mardi 3 mai, les responsables des deux camps ont repris contact, après la pause de la pâque orthodoxe, pour tenter d'avancer. Mais, selon le quotidien grec Kathimerini, un accord est peu probable lors de la réunion de l'Eurogroupe du lundi 9 mai prochain. Il faudra donc encore attendre.
Cette attente place le gouvernement d'Alexis Tsipras dans une situation très difficile. L'Etat grec, qui n'a pas reçu d'aide du Mécanisme européen de Stabilité (MES) depuis le 23 décembre dernier, commence à manquer de liquidités et puise désormais dans les excédents des entités publiques pour honorer ses paiements les plus urgents. Tout ceci ressemble de plus en plus à l'asphyxie financière qui avait été organisée l'an dernier. Et le but n'est pas différent : les créanciers cherchent à faire accepter à Athènes ce qui, voici encore quelques semaines, était inacceptable.
Obtenir l'accord du FMI
Que réclament les créanciers ? Le respect des objectifs fixés dans le mémorandum et notamment un excédent budgétaire primaire, hors service de la dette, de 3,5 % du PIB à partir de 2018 et pour les années suivantes. Cet excédent est, pour eux, la condition sine qua non de la « soutenabilité » de la dette grecque. Dans leur logique, en dégageant un tel excédent, la Grèce sera capable de faire face à ses échéances de remboursement. Or, la « soutenabilité » de la dette hellénique est, à son tour, la condition sine qua non de la participation du FMI au financement de « l'aide » à la Grèce. Une participation qui est nécessaire pour obtenir l'aval du Bundestag, le parlement allemand, sans qui toute la construction du troisième mémorandum est impossible.
Les « mesures contingentes »
On comprend donc que les créanciers refusent de discuter un tel objectif qui, en réalité, semble assez peu crédible sur le plan purement économique. Cet objectif d'excédent primaire de 3,5 % du PIB était déjà inclus dans les deux premiers mémorandums et avait dû être repoussé faute de crédibilité. Mais, cette fois, le FMI a exigé du concret, car, rappelons-le, ses statuts lui interdisent de prêter à des Etats insolvables. Du coup, pour amadouer l'institution de Washington, l'Eurogroupe a, la semaine dernière, exigé que la Grèce adopte, en plus des mesures d'austérité nouvelles pour atteindre les objectifs d'ici à 2017, un « plan de mesures contingentes » au cas où les comptes de la Grèce ne seraient pas encore une fois dans les clous du mémorandum.
Le détail de ces mesures n'est pas connu, mais leur montant l'est : 3,6 milliards d'euros, soit 2 % du PIB. C'est précisément la différence entre les estimations d'excédent primaire du FMI et l'objectif de 3,5 % du PIB pour 2018. C'est donc tout simple : on donne au FMI ce qu'il souhaite pour le faire entrer dans le jeu. Et on lui donne aussi des garanties fermes que ces mesures seront appliquées. Ces mesures, a précisé Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, devront en effet être « crédibles, votées à l'avance, automatiques et basées sur des facteurs objectifs. »
Nouveau stade dans les demandes des créanciers
Avec cette proposition, l'Eurogroupe a clairement franchi un nouveau stade dans son traitement de la crise grecque. Il s'agit désormais d'introduire un mécanisme préventif qui échapperait aux gouvernements helléniques et déclencheraient immédiatement une série de mesures précises. Autrement dit, la demande de l'Eurogroupe est d'exclure à l'avenir ces mesures du champ politique. Une fois votée à l'avance, elles s'imposeraient aux Grecs quel que soit le gouvernement ou la situation économique. Avec cette demande, l'Eurogroupe et le FMI affirment leur défiance absolue vis-à-vis de la Grèce et réclame que le gouvernement grec aie le moins de maîtrise possible à l'avenir de sa politique budgétaire et économique, qui est pourtant déjà réduite. Ce que les créanciers veulent éviter, ce sont les discussions sur le détail des mesures qui ont trop ralenti à leur goût l'adoption des mesures depuis cet été.
Contourner la loi grecque
La demande de l'Eurogroupe va également fort loin dans la mesure où, comme l'a précisé Jeroen Dijsselbloem, les ministres des Finances de la zone euro savent parfaitement que des « mesures contingentes » sont inconstitutionnelles en Grèce. Il n'est pas possible de voter des décisions budgétaires « à l'avance ». Le président de l'Eurogroupe, comme le commissaire européen Pierre Moscovici, ont donc invité les Grecs à proposer un mécanisme permettant de contourner la loi fondamentale hellénique. Bref, tout se passe comme si l'intérêt des créanciers devait primer en Grèce sur tout le reste, y compris l'ordre démocratique et l'état de droit.
Les discussions ne portent pas seulement sur cette question des mesures contingentes pour 2018, elles portent aussi sur les mesures pour atteindre les objectifs de 2016 et 2017. La réforme des retraites reste en discussion, ainsi que le niveau d'exemption de l'impôt sur le revenu. Les créanciers veulent abaisser le revenu en deçà duquel il y a exemption à 8.182 euros annuels contre 9.550 euros aujourd'hui. Le gouvernement propose 9.091 euros.
Situation difficile pour Alexis Tsipras
Pour le gouvernement grec, le tour que prennent les événements est très préoccupant. Voici encore un mois, le gouvernement espérait négocier une série de mesures pour tenir jusqu'en 2017 qui ne soient pas trop lourdes pour les Grecs, ouvrir des négociations sur la restructuration de la dette publique et convaincre les créanciers européens de se passer du FMI pour, ensuite, remettre en cause les objectifs insensés du mémorandum. Tous ces espoirs s'éloignent désormais. En réalité, Alexis Tsipras ne dispose guère de moyen de pression pour faire pendant aux exigences des créanciers. Ces derniers utilisent donc une stratégie qu'ils ont utilisée avec succès l'été dernier : ils relèvent très fortement leurs exigences en rendant publiques de nouvelles mesures. Ils contraignent alors les Grecs à accepter une partie de ces exigences. In fine, le gouvernement grec peut certes prétendre avoir fait reculer les créanciers sur leurs demandes, mais la facture est en réalité beaucoup plus lourde que prévu. Il en va ainsi des exigences fiscales le mois dernier ou des « mesures contingentes » ce mois-ci.
Acceptation de la logique de l'Eurogroupe
D'ores et déjà, le gouvernement grec a dû accepter de lourds sacrifices comme le relèvement de 23 à 24 % du taux normal de TVA, dont a été exclu - c'est la concession accordée à Athènes - l'eau et l'électricité ou encore la poursuite du principe du remplacement d'un seul fonctionnaire sur cinq partant à la retraite. Mais ces « mesures contingentes » représentent cependant un défi considérable pour le gouvernement grec qui se retrouve dans une position impossible. S'il les accepte, Alexis Tsipras risque en effet de devoir faire face à une fronde politique majeure dans son camp et perdre le contrôle du mémorandum. Or, son engagement vis-à-vis de ses électeurs lors des élections du 20 septembre a été précisément de pouvoir peser sur les mesures. Mais s'il les refuse, il s'expose à une nouvelle crise financière que le pays - qui devrait encore connaître une contraction du PIB de 0,2 % cette année si l'on en croit la Commission européenne - ne peut se permettre.
De fait, si le gouvernement grec refuse toujours le principe de ces mesures contingentes, il a néanmoins accepté l'idée de mesures préventives en proposant une baisse automatique des dépenses publiques. Or, si cette mesure est moins « précise » que les mesures contingentes, l'effet macro-économique risque d'être le même. Car le vrai problème est bien la logique qui est à l'œuvre chez les créanciers. Ces derniers considèrent que l'excédent primaire élevé sera un gage de confiance pour les investisseurs. Or, il se pourrait que l'épée de Damoclès des mesures contingentes ou de la baisse automatique des dépenses découragent en réalité tout investissement, affaiblissent encore la croissance et rendent encore plus difficile et improbable l'atteinte des objectifs fixés. C'est du reste ce scénario qui est le plus probable au regard de l'histoire récente et de la capacité d'une économie grecque dont la taille a été réduite d'un quart depuis 2010. Déjà, Kathimerini soulignait ce mardi que les recettes fiscales s'annonçaient inférieures aux attentes en ce début d'année. Or, le gouvernement grec est désormais dans l'incapacité de remettre en cause cette logique. La révision nécessaire de l'objectif de 3,5 % semble désormais s'éloigner définitivement.
Angela Merkel, peu encline à la bienveillance
Alexis Tsipras manque clairement de moyens de pression sur les créanciers. En avril, il a tenté de peser sur les créanciers en menaçant de faire passer au parlement des mesures sans l'accord des créanciers. Il a finalement renoncé, car la menace n'a pas impressionné les créanciers. Il a ensuite tenté de renouveler sa stratégie de 2015 en cherchant un accord au niveau politique. Il a donc réclamé un conseil européen, réunion sèchement refusée par le président dudit conseil, Donald Tusk.
Comme l'an passé, Angela Merkel n'a pas de raison de reprendre la main. Elle préfère laisser l'Eurogroupe, dominé par son ministre des Finances Wolfgang Schäuble, mener la danse. Car, à la différence de 2015, elle est aujourd'hui politiquement affaiblie. Toute mesure de bienveillance à l'égard de la Grèce serait perçue comme une aubaine par ses adversaires conservateurs et eurosceptiques. Elle doit absolument obtenir l'accord du FMI et un plan qui « neutralise » le gouvernement grec dans l'application des « réformes. » De ce point de vue, les « mesures contingentes » sont une proposition qui lui convient parfaitement parce qu'elles assurent cette « neutralité » et pourrait même conduire à la chute d'un Alexis Tsipras jugé trop peu coopératif à Berlin.
Voilà pourquoi le premier ministre grec n'a pas pu diviser les créanciers et convaincre l'Eurogroupe de se passer du FMI... Les créanciers tentent donc d'achever politiquement le troisième mémorandum. Et c'est pourquoi la stratégie « politique » d'Alexis Tsipras risque de se trouver rapidement très limitée. L'allongement des discussions pourrait lui permettre de rallier des appuis en Europe. Mais le temps joue aussi contre lui. En juillet, des échéances importantes guettent le pays...