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Résistances et contre-insurrections : le temps des accélérations.
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le printemps 2016 a été marqué en France par un des mouvements sociaux les plus significatifs de ces dernières années en Europe. L’opiniâtre résistance collective à la « loi travail » a développé durant quatre mois et demi de multiples pratiques de lutte dont l’aspect novateur et la puissance offensive réside moins dans les méthodes stratégiques et tactiques déployées que dans l’apparition d’une force politique élargie de recomposition sociale se réappropriant des espaces délaissés. Occupations et blocages des lieux de travail et d’étude, occupation des places et des rues, « cortèges de tête » et son lot d’affrontements avec la police et les services d’ordre syndicaux, actions en tout genre de sabotage et de harcèlement, nouveaux espaces de discussions et d’expériences partagées au-delà des mortifères assemblées générales typées étudiantes, réquisitions de bâtiments et réappropriations d’outils de travail, sont autant de pratiques de rupture.
Ce mouvement social n’a pas été « comme les autres », brisant systématiquement les schémas établis de contestation sociale pacifiée par ses structures dirigeantes auto-proclamées. Ce printemps de lutte a davantage pris acte des impasses répétées des derniers mouvements sociaux et des causes structurelles de leurs échecs. Au sein des syndicats majoritaires, les innombrables antagonismes internes ont bouleversé leur cadre institutionnel et ont permis d’interroger leur fonction sociale au sein de la société capitaliste contemporaine. Les « adhérents » militants des organisations syndicales se sont confrontés aux contradictions politiques inhérentes à leur cadre formel de lutte, contradictions soudainement mises à nu.
Le mot d’ordre formel de « convergence des luttes » qui suppose leurs séparations s’est concrétisé dans un dépassement des identités corporatistes à travers la réappropriation de pratiques offensives et de débordements. Bien sûr, nous insistons ici sur ce qui a été la force constante et le moteur réel de ce mouvement social de longue haleine, sans insinuer que l’ensemble du mouvement a opéré de telles ruptures de manière explicite et systématique. Il s’agit plutôt d’audaces latentes, de créativités offensives sporadiques, tendances qui ne cherchent qu’à s’étendre, s’affirmer et s’aiguiser. Des nouvelles aux anciennes générations, quels que soient leurs secteurs de classe, nombreux.ses sont celleux qui ont découvert la puissance de la force collective, nourrissant une rage revendicative considérable. Dans différents secteurs de travail, les personnes en lutte ont redonné toute sa cohérence et sa force de frappe à la grève, par sa reconduction journalière ou hebdomadaire, entremêlée de multiples actions de blocage stratégiques, ce des semaines durant. Par ailleurs, il a été largement compris que chaque pratique de lutte prend consistance par telle autre, autant qu’elle lui donne également de la consistance ; que la diversité des pratiques et leur association, loin de faire perdre à la lutte sa force offensive, la nourrissent.
Ainsi, avec ce printemps 2016 français, de nombreux tissus de résistance et de solidarité ont émergé. Et malgré le renforcement considérable et continu de son attirail répressif, l’Etat a peiné à freiner de tels élans. Déjà, la « trêve » estivale, qui résonne comme l’ultime institution pacificatrice, n’empêche pas les nombreux appels à la « reprise » du mouvement dès le mois de septembre. Les « bastions » de résistance donnent le ton : avec « l’université d’été des luttes » qui s’est déroulée ces derniers jours à Nantes et un appel au blocage des lycées et des universités depuis Paris pour le 15 septembre, se juxtaposant à l’appel à la grève nationale interprofessionnelle de la CGT ce même jour pour l’abrogation de la « loi travail » – finalement adoptée par un énième recours au 49-3 fin juillet.
Cependant, l’enjeu crucial de cette rentrée des luttes sera d’embrasser politiquement les phénomènes qui n’entrent pas dans le champ classiquement admis du « mouvement social ». D’une part, de composer avec la conflictualité sociale propre aux quartiers populaires. Notamment par un positionnement de solidarité pratique sur la question de la terreur policière, à travers le cas concret du meurtre policier du jeune Adama Traoré en juillet au Val d’Oise. Avant cela, il a déjà été tenté d’ouvrir une brèche avec un événement autour des violences policières centré sur le mot d’ordre politiquement inédit « Quartiers populaires et Mouvement social », lors du 14 juillet à Paris. Malgré ses évidentes limites et le maintien tenace des séparations politiques classiques entre les différentes composantes sociales et politiques qui ont participé à l’événement, sa tenue reste un fait notable qu’il s’agit d’encourager et de renforcer. En effet, les différentes entités militantes qui ont pris la parole sur la scène se sont souvent contentées de répéter ce qu’elles expriment déjà de manière isolée dans leurs stratégies de lutte respectives, sans profiter de l’occasion pour une mise en commun des problématiques et des axes stratégiques. Seule une intervention a fait cet effort politique en concrétisant par son discours l’objet même de l’événement : le « cortège de tête » comme première piste pratique de recomposition sociale par la capacité des tactiques de débordements de s’étendre aux diverses forces sociales en présence dans la rue ; la nécessité de renforcer la mobilisation active, que ce soit lors des rassemblements de solidarité devant les commissariats où il y a eu un meurtre policier ou dans les manifestations du mouvement social; finalement, le devoir de transgresser les frontières tacites de nos ghettos politiques respectifs, d’apprendre à composer socialement et de dépasser l’ignorance des histoires d’oppressions et de résistances propres aux différentes réalités urbaines – dont essentiellement celle des quartiers populaires ségrégués.
Ces nouvelles dynamiques de résistance se heurtent cependant à des événements utilisés par l’Etat pour renforcer son appareil institutionnel répressif et ses dispositifs de contre-insurrection.
Le soir même du 14 juillet, l’ « attentat » de Nice et ses 85 morts capture toute l’attention politique, dont le traitement médiatique bourgeois tente de balayer la dynamique des résistances en cours. Cinq jours plus tard, Adama meurt entre les mains de la police le jour de son anniversaire, provoquant plusieurs nuits d’émeutes au Val d’Oise. Malgré l’injonction médiatique bourgeoise au racisme et à la défiance suite au massacre de Nice, une marche blanche rassemblera 10 000 personnes aux cris de « Pas de justice, pas de paix » et « Justice pour Adama », surprenante par son nombre. Un mouvement « Black Lives Matter » est créé en France, tandis que certains membres du Black Panthers Political Organisation (BPPO) revendiquent une action armée spectaculaire à Dallas tuant cinq officiers de police début juillet. Une semaine après le meurtre d’Adama, un nouvel « attentat » a lieu à Saint-Etienne-du-Rouvray où un prêtre de 86 ans est égorgé par deux jeunes personnes agissant au nom de Daech. Simultanément, l’Etat engage une campagne d’envergure de « chasse aux migrants » à Paris, détruit les campements de fortune et effectue des rafles à coups de matraques et de lacrymogènes, provoquant des dizaines de blessé.e.s. Entre-temps, un double « attentat » a lieu en Allemagne, une explosion-suicide revendiquée par Daech à Wurtzbourg, et une tuerie au fusil d’assaut à Munich entraînant dix morts du fait d’un néo-nazi. Dans la même période, un coup d’Etat est tenté en Turquie dont la reprise en main finale par Erdogan entraînera près de 300 morts, des dizaines de milliers d’arrestations dans toutes les sphères sociales et politiques de la société, la fermeture forcée de nombreux organes de presse, etc.
Tous ces événements évoqués volontairement pêle-mêle sont concentrés dans un espace-temps limité, c’est-à-dire quatre semaines. Il est clair que les méthodes de gouvernance en Europe se concrétisent dangereusement dans un nouvel autoritarisme d’Etat à la rhétorique réactionnaire et fascisante faisant mine que cela ne soit lié en rien à la multiplication et l’intensification des « troubles sociaux » sur les territoires nationaux. En France, un amendement pour le « service civique obligatoire » est adopté par le gouvernement le 29 juin dans le cadre du projet de loi « Egalité et citoyenneté » en réponse au mouvement social, tandis que la réponse bourgeoise aux séries d’attentats est sans équivoque : sur le front extérieur, intensification des bombardements en Syrie et des opérations militaires en général (un bombardement français peu de temps après le double-attentat causera la mort de 260 civils à Manbij, au nord-est d’Alep, en Syrie) ; et sur le front intérieur, rallongement de l’état d’urgence de six mois, multiplication des rafles dans les campements de migrants et réfugiés, création d’une « réserve opérationnelle » en dehors du corps militaire présentée par Cazeneuve à travers un « appel aux patriotes » ; nouvelles lois antiterroristes comme autant de mesures de contrôle et de surveillance des populations ; quadrillage militaire renforcé en zone urbaine; etc. En outre, à partir de la rentrée de septembre s’engage le dispositif pacificateur et répressif de la « course aux élections présidentielles » qui auront lieu au printemps 2017. PS, UMP et FN rivalisent déjà de surenchère autoritaire, liberticide et sécuritaire. D’ores et déjà, une campagne « à l’abordage » est lancée par plusieurs groupes militants pour appeler au sabotage des élections en vue de leur annulation.
Nous sommes dans une période d’accélération. Le terrible renforcement des dispositifs de contre-insurrection et la montée des extrêmes-droite de gouvernement, en France comme partout en Europe, la menace ultra-autoritaire avec Erdogan en Turquie et Donald Trump aux Etats-Unis, nous forcent à accélérer également nos dynamiques de résistance. Si les manifestations sauvages lycéennes à Paris sont parfois passées par le métro Stalingrad le printemps dernier en scandant « Solidarité avec les réfugiés » et « Des papiers pour tous » en plus du désormais classique « Tout le monde déteste la police », il faudra encore élargir ces nécessaires ponts de lutte entre différentes réalités sociales et politiques. Il nous semble prioritaire d’une part de nous engager massivement sur la question des violences policières dans les quartiers populaires, si possible à travers la dynamique même du mouvement social. D’autre part, d’encourager la stratégie de « globalisation » des résistances à l’échelle européenne, qui se réalise actuellement à travers un premier appel au « Black September ». Plusieurs manifestations internationales contre la précarité et l’austérité sont déjà prévues en Europe tout le long du mois de septembre, dont les premières sont celles de Berlin le 2 septembre qui vise à converger sur le Ministère du Travail et de Paris le 15 septembre où de nombreux internationaux sont censés rejoindre les différents cortèges de la grande manifestation contre la « loi travail ».
Nous voici donc dans une véritable course à l’armement idéologique. C’est à qui fortifiera le plus « son camp » : d’un côté la fabrication marchande et industrielle de peur par l’Etat ; de l’autre les pistes et les brèches ouvertes par les forces collectives pour le parti de la transformation sociale radicale. L’hystérie étatique autour du burkini va au-delà du racisme inhérent à la République française de ces dernières décennies : « l’ennemi intérieur » cristallisait jusque-là les peurs encouragées par la ségrégation urbaine dans les quartiers populaires ; dorénavant, l’offensive raciste est revendiquée et assumée, ouverte et directe. La ségrégation sur les plages a donné l’idée à des restaurateurs d’interdire l’accès de leurs établissements aux personnes musulmanes ou apparentées telles, et de refuser de les servir. A Sisco en Corse, la « ratonnade » a été savamment maîtrisée par la police qui entretient ainsi la menace latente. Cependant, dans le même temps, à Aurillac des milliers de festivaliers ont refusé le chantage à la fouille et au check-point policiers jusqu’à assumer l’affrontement de rue avec les forces de l’ordre pendant plusieurs heures. Ce dernier week-end d’août a été marqué par la « reprise des hostilités » à Nantes qui a vu quelques débordements émeutiers sur fond d’appel sans compromis au sabotage et à l’abordage de la gôche capitaliste et de la mascarade électorale déjà enclenchée.
Aurillac
La bataille est claire : c’est à qui imposera sa temporalité politique, de la Réaction ou du Débordement. Du sort de ce rapport de force émergeront les enjeux d’orientations que prendront les troubles sociaux massifs à venir. Si s’affronter à la police et tenir une grève dure n’empêche pas de voter FN par la suite, élargir les pratiques de lutte et les inscrire dans la durée immunise contre les réflexes réactionnaires.
A nous d’entretenir la brèche ouverte ce printemps et de l’élargir, de la renforcer pour acculer les forces d’oppression et les faire apparaitre ce qu’elles sont : des rouages qui reposent sur le consentement silencieux et collaborateur des « masses ». Ne soyons plus masses, soyons frappes. Ils sont vichy, soyons pirates.
– Mouvement Anarchiste Révolutionnaire.