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En Moldavie, le candidat prorusse frôle la victoire au 1er tour de la présidentielle
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Igor Dodon profite de la faillite des partis proeuropéens, au pouvoir depuis 2009. Sa rivale, Maia Sandu, ancienne ministre, a obtenu 37,9 % des suffrages.
Igor Dodon a échoué d’un fil, mais peut d’ores et déjà se prévaloir d’un succès qui sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel européen. Le candidat du Parti des socialistes moldaves, résolument prorusse, a été tout près de remporter, dès le premier tour, l’élection présidentielle organisée dimanche 30 octobre dans cette République de 3,5 millions d’habitants. Avec 48,7 % des voix et la quasi-assurance de rallier les 6 % d’électeurs d’une autre formation prorusse, « la victoire est inévitable », a-t-il clamé dimanche soir. Le second tour aura lieu le 13 novembre et dépendra largement de la participation, faible ce dimanche (49 %).
Ancien ministre de l’économie et du commerce qui a commencé sa carrière en soutenant le rapprochement de la Moldavie avec l’Union européenne, M. Dodon voit désormais en Vladimir Poutine un modèle, veut « ramener l’ordre » dans son pays et y défendre les « valeurs traditionnelles », expliquait-il au Monde peu avant la fermeture des bureaux de vote, depuis son quartier général de campagne tapissé de clichés le montrant en compagnie du président russe ou du patriarche orthodoxe de Moscou. Surtout, le candidat Dodon entend convoquer, s’il est élu, un référendum consultatif sur « l’orientation géopolitique » de la Moldavie, qui pourraitmenacer l’accord d’association signé entre Bruxelles et Chisinau à la fin de 2013.
« C’est dans l’intérêt de la Moldavie d’avoir des relations proches avec la Russie, mais surtout avec son marché », explique-t-il, alors que le Kremlin a largement fermé la porte aux importations moldaves depuis la signature de l’accord. Moscou est aussi le principal soutien de la République de Transnistrie, amputée au territoire moldave depuis 1991.
Une campagne « à 20 000 dollars »
Hormis cette menace de référendum, les pouvoirs du président sont limités. Mais le nouvel élu bénéficiera d’une légitimité populaire immense, cette élection étant la première au suffrage universel depuis vingt ans. « Face à une classe politique à bout de souffle, Dodon aurait des leviers pour faire dérailler le processus d’intégration européenne », estime le politologue Dionis Cenusa. Resterait toutefois une incertitude : la volonté russe de s’impliquer en Moldavie. « Moscou veut évidemment conserver de l’influence en Moldavie, estime un diplomate occidental, mais le pays n’a toujours été qu’une pièce rapportée dans l’empire, pour laquelle les Russes ne veulent pas trop investir. Ils en ont déjà assez de devoir financer la Transnistrie. »
Signe de la polarisation extrême du scrutin, plusieurs candidats proeuropéens se sont retirés de la course dans les tout derniers jours de la campagne, laissant la place à l’une des figures de la contestation antigouvernementale de 2015. Ancienne ministre de l’éducation formée à Harvard et passée par la Banque mondiale, Maia Sandu a obtenu 37,9 % des suffrages. Sa probité unanimement reconnue – presque une incongruité dans le paysage politique moldave – n’a pas suffi à combler le déficit de notoriété dont elle souffrait, dû à une campagne financée « à hauteur de 20 000 dollars » et à un accès réduit aux chaînes de télévision, contrôlées par les oligarques locaux. Dimanche, la candidate dénonçait aussi au Monde des cas de fraudes dans les différentes régions.
Importante minorité russophone
Mme Sandu peut encore escompter gagner quelques scrutins avec le dépouillement, lundi, des bulletins des Moldaves vivant à l’étranger. Dans la perspective du second tour, elle peut aussi espérer une mobilisation plus importante des jeunes, qui se sont largement abstenus dimanche, et compter sur une petite réserve de voix d’autres candidats.
Mais le score de M. Dodon est déjà en soi une sensation immense et un avertissement. Au fil des ans, la Moldavie, ancienne république soviétique, s’était imposée comme le « meilleur élève » du partenariat oriental, et un modèle régional. Le pays a aussi largement bénéficié des fonds européens, Bruxelles lui octroyant plus de 800 millions d’euros pour la seule période 2010-2015. Cela n’a pas empêché le soutien de l’opinion à l’Union européenne, supérieur à 70 % il y a quelques années, de devenir minoritaire.
Les ingrédients de la méfiance moldave sont en partie les mêmes que pour le reste du continent. Après un voyage de Mme Sandu à Berlin, la presse tabloïde avait par exemple assuré que la candidate avait accepté la demande insistante de la chancelière allemande, Angela Merkel, d’accueillir 30 000 réfugiés syriens. A cela s’ajoutent la présence d’une importante minorité russophone (plus de 20 %) et la diffusion importante des télévisions russes, populaires au-delà de cette seule minorité.
« Casse du siècle »
Mais l’explication principale du désamour est ailleurs. Elle tient à la faillite des partis politiques proeuropéens, au pouvoir depuis 2009. L’épisode le plus saillant de cette faillite fut la découverte, à la fin de 2014, de la disparition des caisses de trois banques du pays de 1 milliard d’euros, soit 15 % du PIB, qui vont durablementplomber le budget national. Le « casse du siècle » a profondément choqué un pays où 40 % de la population vit avec moins de 5 dollars par jour.
Le rejet de classe politique « proeuropéenne » corrompue s’incarne particulièrement dans un homme : Vladimir Plahotniuc, dont le Parti démocrate dirige les différentes coalitions gouvernementales, au pouvoir depuis 2009, notamment en achetant l’allégeance de députés d’autres partis. Oligarque présent dans l’immobilier, il contrôle des entreprises publiques et a fait main basse sur plusieurs institutions, depuis la banque nationale jusqu’aux tribunaux.
Malgré sa mainmise sur les médias nationaux (il contrôle au moins six chaînes de télévision), Plahotniuc a échoué, en janvier, à devenir premier ministre lui-même, face à l’opposition de la rue et au veto du président d’alors, Nicolae Timofti. Selon une source proche du pouvoir, M. Timofti aurait pris soin d’envoyer sa famille à l’abri aux Etats-Unis au moment d’annoncer sa décision. Pavel Filip, un affidé, a été nommé à la place du patron.
« Prédation organisée »
Devant les sondages prédisant une défaite de son candidat à la présidentielle, Vladimir Plahotniuc a lui aussi soutenu la proeuropéenne Maia Sandu. Un cadeau empoisonné que celle-ci s’est empressée de refuser. En effet, elle avait auparavant promis de le combattre en lui arrachant le contrôle du Bureau du procureur général, un organe aux prérogatives larges.
De plus, nombre d’analystes ont vu, dans le peu d’empressement des chaînes de télévision à soutenir Mme Sandu, le signe que l’oligarque s’accommoderait volontiers d’une victoire d’un Igor Dodon, moins pointilleux. « Tout nous convient, nous préférons rester en retrait », confiait ainsi un conseiller de M. Plahotniuc au Monde.
« Ce sont ces gens qui ont décrédibilisé l’idée européenne, tempête un diplomate occidental. L’Europe est devenue ici synonyme de cette prédation organisée. Et les Européens eux-mêmes ont une part de responsabilité, pour les avoir laissé faire leurs affaires au nom de la sacro-sainte stabilité, et parce qu’ils brandissaient un drapeau européen. »
Alexei Tulbure, ancien représentant de la Moldavie à l’Organisation des Nations unies et au Conseil de l’Europe, qui fut un temps dans le parti de M. Plahotniuc, partage cette vision, et évoque même « l’épouvantail » de la menace russe :
« Cette opposition géopolitique a été gonflée pour éviter que les sujets délicats soient abordés. Si Igor Dodon gagne, Plahotniuc et ses gens pourront dire aux Européens : “Nous avons tout fait pour l’arrêter, ça n’a pas réussi, mais maintenant nous sommes le seul rempart contre les prorusses.” »