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"Tous les candidats veulent passer à Bure"

Bure écologie

Lien publiée le 19 février 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/02/17/tous-les-candidats-veulent-passer-a-bure-on-dirait-notre-dame-des-landes-en-2012_1549300

Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon… A Bure, un petit village de la Meuse, les opposants au futur centre d’enfouissement de déchets nucléaires sont sollicités par les prétendants à l’Elysée. Mais ils les tiennent à distance.

L’été 2016 a marqué pour eux «un tournant». Le début d’une«amplification» de la mobilisation contre Cigéo, un projet d’enfouissement de déchets nucléaires à 500 mètres sous terre. Alors six mois plus tard, quand on retrouve les opposants à ce Centre industriel de stockage géologique dans leur «maison de la résistance»à Bure (Meuse), l’atmosphère a changé. Et pas seulement parce que la gadoue a remplacé le soleil d’août. L’air s’est «zadifié», même si l’appellation de «zone à défendre» (ou ZAD) ne plaît pas à tout le monde ici. La lutte, en tout cas, s’est enracinée. Autour de la grande table en bois de la cuisine, dans la maison qui fait office de QG pour ces opposants au projet, des visages familiers discutent de la manifestation prévue ce samedi. Ils attendent au moins autant de participants que lors du dernier rassemblement, le 14 août : environ 500 personnes. John (1), la trentaine, n’a quitté Bure que quelques semaines depuis cette date. Comme plusieurs dizaines d’autres, il mène désormais ici une «vie pleinement politique», dixit son camarade Sylvain. Pas anodin, en période électorale. D’ailleurs, autour d’un café, ce jeudi matin, Paul raconte comment, à deux mois de la présidentielle, le combat jusqu’alors cantonné à la sphère activiste attire soudainement les politiques.

En deux semaines, ils disent avoir été sollicités par les militants ou équipes de Philippe Poutou (NPA), Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) et Benoît Hamon (PS). La venue de ce dernier serait, selon eux, prévue pour lundi, mais rien d’officiel du côté du candidat PS. Ça les fait rire. Pour John, «le fait que tous les candidats veuillent passer ici est très révélateur. On dirait Notre-Dame-des-Landes en 2012». La manœuvre électoraliste est d’autant plus soupçonnable dans le contexte actuel de division de la gauche : draguer les écologistes en parlant du nucléaire est forcément de bon ton. Alors la réponse des opposants est claire : c’est «non» pour les accueillir. «On n’a pas envie d’être une collection de petites cases qu’on coche pendant une campagne, dit Paul, en chemise à carreaux. Antinucléaires : check ; anticapitalistes : check ; écolos : check… et ainsi de suite. C’est comme François Hollande qui faisait le tour des usines en affirmant son soutien aux ouvriers. On ne veut pas être un tremplin.» C’est pourquoi, lorsque Poutou les a sollicités, ils ont dit «OK pour qu’il vienne, mais pas de prise de parole et pas d’interview à la presse». S’il veut venir ce samedi, le mieux serait même que le candidat se cache derrière le masque de hibou confectionné avec des assiettes en carton et porté par les militants sur les photos. En ce qui concerne Mélenchon, Paul propose en plaisantant d’envoyer Bordel - le chien - pour le rencontrer. «Comme l’a fait le mouvement Occupy Wall Street avec le maire de New York.»

Coming-out

Quant à l’éventuelle visite du candidat PS lundi, les opposants au site de Bure la tiennent pour certaine. Et ils tentent, en cette fin de semaine, de trouver une parade. «A BZL [Bure Zone Libre, le nom de leur maison-QG, ndlr], c’est juste mort, rappelle Sandra, dans le bureau. Pas de responsables politiques ici, c’est un principe.» La jeune femme, salariée du réseau Sortir du nucléaire en plus d’être engagée personnellement, explique qu’à BZL, on n’est «pas apolitiques» - «on fait de la politique toute la journée» - mais «apartisans». Et d’ajouter : «Si certains veulent voir Hamon, il faut trouver un lieu neutre.» Une difficulté, cependant : le village de 80 habitants (sans compter les activistes) est tout petit.«C’est clair qu’il ne va pas pouvoir se trimballer dans Bure sans avoir des problèmes, sourit un copain devant son ordinateur. En même temps, s’il se fait chahuter, ça nous arrange, c’est un peu du foutage de gueule.» Un peu plus tôt, une autre critiquait la démarche - intéressée d’après elle - de David Cormand, le secrétaire national d’EE-LV, lors de la manif d’août : «J’ai essayé de parler avec lui du fond du dossier, sans succès. J’ai eu l’impression qu’il n’était là que pour l’exposition médiatique.»

Voilà pour l’image des dirigeants politiques. Alors dans cette campagne marquée par des candidats «en perdition générale», selon la formule d’un jeune dont les parents voulaient voter Fillon jusqu’au récent scandale, la question d’aller voter se pose. Et ne fait pas consensus. Julien, par exemple, n’est pas de ceux qui rejettent en bloc les élections. Auprès de nous, il fait son coming-out : «A [sa] grande surprise», il a«voté Hamon à la primaire». Il n’est pas sûr, en revanche, d’aller voter à la présidentielle. Avec une amie, il est arrivé la veille de Paris, et visite ce jeudi après-midi le bois Lejuc, à quelques kilomètres de BZL. Un lieu au cœur du conflit qui oppose les détracteurs de Cigéo à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), en charge du projet et propriétaire de la forêt. Sous les arbres qui s’y dressent aujourd’hui se trouvera, à terme, une zone destinée à l’aération des galeries souterraines où seront enterrés les déchets les plus radioactifs et ceux ayant la durée de vie la plus longue du parc nucléaire français. La mise en service de ce centre de stockage, dont le coût estimé oscille entre 25 et 40 milliards d’euros, est prévue pour 2025.

«Révolutionnaire»

Accompagné par des habitués, Julien découvre les cinq cabanes construites ces derniers mois dans les arbres. «Au-delà de l’exotique, c’est presque une arme de guerre d’avoir des cabanes, estime Sylvain, un baudrier autour de la taille, au pied du grand chêne de 24 mètres, en haut duquel une cahute est posée. C’est un moyen de résistance.»

Les habitants du bois - une vingtaine, pas toujours les mêmes - pourraient être expulsés dans les jours ou semaines à venir. Or «déloger quelqu’un à 30 mètres de haut est très compliqué». Tout là-haut, il y aurait de quoi «tenir huit jours». Toutes les habitations ne sont cependant pas construites en hauteur. Bâtir cabanes et barricades est leur moyen à eux d’avoir «une prise concrète sur le cours des choses»,entend-t-on. Une nouvelle arrivante, venue de la région parisienne, avoue être là précisément parce qu’elle «ne savai[t] pas trop quoi faire pour agir de [son] côté», et qu’elle est un peu «paumée». Elle a fait des études d’orthophoniste, gagne sa vie grâce à un petit boulot.

Au niveau de «barricade nord», à un des coins du bois, on demande à une vingtenaire à bonnet noir pourquoi Bure plutôt que Notre-Dame-des-Landes, ou ailleurs : «Je sens que j’ai davantage ma place ici, où la lutte est encore en formation.» Aux abords de la barricade faite de bric et de broc, un épouvantail, mais aussi une banderole en soutien à Théo, le jeune homme d’Aulnay-sous-Bois brutalisé par la police. S’ils ne sont pas tous d’accord sur le mot en «iste» (zadiste, écologiste, anticapitaliste, anti-autoritariste, anarchiste…) qui les qualifierait le mieux, les dizaines d’opposants qui affluent depuis le début de la semaine en prévision de la mobilisation du week-end savent au moins ce qu’ils ne sont pas : «des fachos». Ils sont aussi globalement opposés au «travail subi», mais font les gros yeux quand on évoque le revenu universel, défendu par Benoît Hamon. Oriane ne peut pas dire si elle est pour ou contre, la question est presque «philosophique». Comme d’autres, elle a les pieds dans le concret et beaucoup de questions métaphysiques dans la tête.

A côté d’elle, Paul dit qu’il préfère le mot «œuvrer» au mot «travailler»,et se moque des partis qui se prétendent révolutionnaires et prônent l’interdiction du licenciement plutôt que d’envisager la question du salariat dans un «paradigme» différent. «Si ce n’était pas si pompeux, moi je me définirais comme un vrai révolutionnaire», dit le trentenaire, thésard en sociologie.

Pas loin de lui se trouve un «copain» qui a travaillé il y a quelques années comme chargé de mission dans un ministère, sous François Hollande. «La prise sur le cours des choses, elle n’était pas là-bas», en a conclu celui qui a étudié à Sciences-Po et vit à Bure depuis huit mois. Sa volonté à lui de «faire bouger les lignes» dépasse le combat contre le nucléaire. Dans cette «France périphérique» où «le voisin, agriculteur, vend son litre de lait 27 centimes - le prix d’une demi-cigarette !» - il veut «donner envie de se battre pour ce territoire». «Je ne sais pas si on arrivera à changer les choses, mais ça vaut la peine d’essayer, et d’être vécu.»

(1) Les prénoms ont été changés.