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En Uruguay, les démons de la dictature militaire rôdent toujours

Uruguay

Lien publiée le 4 avril 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Plusieurs défenseurs des droits de l’homme, dont un magistrat français, ont été récemment menacés de mort par un obscur commando qui exige l’arrêt des procès contre les anciens tortionnaires.

Plus de trente ans après la fin de la dictature militaire uruguayenne (1973-1985), celle-ci continue de hanter le pays. Treize défenseurs des droits de l’homme – magistrats, journalistes, hauts fonctionnaires – uruguayens, mais également français et italiens, ont été menacés de mort, à Montevideo, par un commando paramilitaire dénommé « commando général Pedro Barneix ». Celui-ci exige la fin des poursuites judiciaires contre les anciens tortionnaires.

Depuis 1986, en Uruguay, une amnistie, approuvée par deux référendums, couvrait les militaires et les policiers impliqués dans les violations des droits de l’homme commises pendant les années de plomb. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 2005 a ouvert une petite brèche dans ce dispositif. Une quinzaine d’anciens soldats et policiers ont été condamnés.

Selon une commission pour la paix, on recense 230 Uruguayens disparus, majoritairement en Argentine, dans le cadre du plan Condor, sorte de « multinationale » des dictatures militaires sudaméricaines visant à éliminer les opposants politiques dans les années 1970 et 1980. En Uruguay, on estime qu’il y a eu 6 000 prisonniers politiques, pour environ 3 millions d’habitants.

« Vengeance »

Barneix était le nom d’un militaire qui fut directeur des services secrets militaires durant le gouvernement de droite de Jorge Batlle (2000-2005) et qui, dans le premier gouvernement du socialiste Tabaré Vazquez (2005-2010), réélu en 2014, intégrait une commission chargée d’enquêter sur les disparitions forcées pendant la dictature. Il s’est tiré une balle dans la tête en 2015, au moment où il allait être arrêté et mis en accusation pour la mort, sous la torture, du militant communiste Aldo Perrini en 1974.

Le magistrat français Louis Joinet, fondateur du Syndicat de la magistrature, fait partie des victimes des menaces récentes « pour avoir dénoncé, depuis la France, les crimes commis par les militaires durant la dictature ». A Paris, ce dernier a adressé une lettre au Monde, dans laquelle il condamne ces menaces. Il dévoile également une piste probable expliquant le nom du mystérieux commando Barneix.

« En 1975, à l’occasion de ma mission en Uruguay pour la Fédération internationale des droits de l’homme, écrit le magistrat, j’avais enquêté sur l’affaire Aldo Perrini (…). Or, qui était présent, selon un article de Brecha [hebdomadaire de gauche uruguayen], dans la salle d’interrogatoire ? Un certain… Pedro Barneix, ainsi que deux autres officiers complices militaires. (…). Sa présence dans cette salle d’interrogatoire donne à penser – mais sans être en mesure, en l’état, d’en rapporter la preuve – que ce sont probablement ces ex-militaires de haut rang qui, par esprit de vengeance et pour faire pression sur la justice, se cachent, avec quelques complices, derrière ce commando Barneix. »

A Montevideo, « ces menaces ont eu moins de répercussion qu’à l’étranger malgré leur gravité », souligne la magistrate Mirtha Guianze, qui figure parmi les personnes menacées, le 28 janvier, dans un message électronique. Membre de l’Institution uruguayenne des droits de l’homme, elle fut la procureure au cours du procès du président Juan Maria Bordaberry (1972-1976). L’ancien dictateur avait été condamné, en février 2010, à 30 ans de prison, pour son rôle dans le coup d’Etat de 1973, la disparition forcée d’opposants politiques et 16 homicides. Il est mort, en 2011, à 83 ans, alors qu’il purgeait sa peine en résidence surveillée, vu son âge.

La magistrate ajoute « qu’il n’y a aucune réponse de la part de la justice, comme si cela n’avait aucune importance ». « L’Observatoire Luz Ibarburu, précise-t-elle, a demandé une audience à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui doit se réunir fin mai à Buenos Aires pour traiter de l’impunité en Uruguay, et en particulier des récentes menaces. » Cet observatoire, qui regroupe des organisations des droits de l’homme exigeant la poursuite des procès pour les violations des droits de l’homme commises par le terrorisme d’Etat, a également mis en doute « la capacité des autorités à éclaircir les responsabilités et en finir avec l’impunité ».

Lettre d’intellectuels du monde entier

En revanche, pour l’avocate Hebe Martinez, également menacée, « il ne faut pas accorder d’importance à ces menaces », qui, selon elle, « favorisent le jeu de quelqu’un ». « Mais je ne sais pas qui », ajoute-t-elle. C’est elle qui avait impulsé le procès contre Bordaberry. Elle est aussi l’avocate de la famille Michelini dans le cadre du procès sur l’assassinat de Zelmar Michelini, journaliste et homme politique uruguayen, assassiné en 1976 à Buenos Aires. Elle confie « ne pas avoir peur ». « Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles on aurait pu me tuer depuis longtemps », fait remarquer l’avocate.

Felipe Michelini, un des fils du sénateur assassiné, membre du Groupe de travail pour la vérité et la justice créé par le gouvernement, estime que « ce dernier doit réaliser toutes les gestions nécessaires pour identifier les auteurs des menaces et leur faire répondre de leurs actes devant la loi ».

Une lettre signée par 155 intellectuels du monde entier a été adressée, le 20 mars, au président Tabaré Vazquez, exprimant « leur soutien et leur solidarité » avec les victimes de menaces. « Il est absolument inacceptable, revendiquent les signataires, que des défenseurs des droits de l’homme, tant uruguayens qu’étrangers, soient victimes de telles menaces, provenant d’individus et d’organisations plus ou moins cachées qui continuent, encore aujourd’hui, à revendiquer le terrorisme d’Etat. »