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De quel droit somme-t-on Danièle Obono de crier «Vive la France» ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La députée nouvellement élue de La France insoumise s'est vue rappeler à la radio une pétition de 2012 où elle défendait la liberté d'un artiste à chanter «Nique la France». Est-ce parce qu'elle est noire qu'elle est la seule des signataires à s'être ainsi fait sermonner ?
Il se passe une chose surréaliste, autour de Danièle Obono, porte-parole nationale de La France insoumise élue députée de la 17e circonscription de Paris. Depuis mercredi monte une polémique, suivant un circuit désormais rodé : partant de la fachosphère, relayée par le Front National, amplifiée par les réseaux sociaux, elle est arrivée à trouver un débouché dans la presse. Le Figaro nous informait ce matin d'une importante affaire : «Une députée Insoumise défend le droit de dire "Nique la France" et soulève une bronca.»
Cette «bronca» fait suite à une interview sur RMC, hier. Danièle Obono était conviée au grand oral des Grandes Gueules. Là, au bout d'une quart d'heure, lui fut rappelé qu'elle avait signé en 2012 une pétition de soutien au groupe ZEP, coupable d'une chanson intitulée «Nique la France». La pétition, lancée par les Inrocks, faisait suite à la mise en examen du chanteur Saïdou du groupe ZEP (Zone d’expression populaire) et du sociologue Saïd Bouamama pour «injure publique» et «provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence», suite à une plainte de l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), association d'extrême droite. En cause, un ouvrage et une chanson, Nique la France, sortis en 2010. La chanson disait : «Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes. Nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes.»
«En tant que députée, êtes-vous fière d'avoir signé ?» Elle fit une réponse limpide : «Pour défendre la liberté d’expression de ces artistes, oui. Parce que ça fait partie des libertés fondamentales.» Réponse assez évidente mais pas suffisante pour les journalistes et chroniqueurs qui entouraient Danièle Obono et qui roulaient des yeux ronds comme des billes. Parce que quand même, devinait-on dans les mines indignées, «Nique la France», même au nom de la liberté d'expression, cela trahit quand même un petit manque d'amour de la République. Cette République dont il fut rappelé à Danièle Obono qu'elle lui avait permis de s'élever au rang de députée (grâce à l'«école républicaine», etc…). Pour laver l'affront, la députée – scène surréaliste – se vit enjoindre de dire, là, sur le plateau : «Vive la France». «Vous pouvez dire "vive la France" ?» lui demanda le journaliste. Là, c'est elle qui roulait des yeux ronds : «Je peux dire «vive la France», mais pourquoi, en soi ? Je ne me lève pas le matin en disant "Vive la France"» Autour d'elle, le ton, de semi-accusateur, vira indigné : «Vous signez plus facilement nique la France que vous ne dites "vive la France".» Voilà comment donc est née «la bronca».
Il faut préciser à ce moment que Danièle Obono est noire. Et aussi que d'autres responsables politiques ont signé la même pétition, en 2012. Noël Mamère, Clémentine Autain, Eric Coquerel, Eva Joly, Olivier Besancenot. On n'a pas souvenir d'avoir entendu un journaliste demander à Noël Mamère ou Clémentine Autain de déclamer son amour sans réserve de la Nation sur un plateau pour justifier (ou expier) sa signature. Nous avons raté l'article du Figaro sur Eric Coquerel, lui aussi élu : «Un député Insoumis défend le droit de dire «Nique la France» et soulève une bronca». En fait, le seul mérite de cet ahurissant procès fait à Danièle Obono est de conférer un supplément de pertinence à la pétition qu'on lui reproche d'avoir signée.
Le texte (que nous republions ci-dessous) rappelait que la chanson de ZEP s'inscrit dans une tradition pamphlétaire française. Il citait Ferré, Renaud, Aragon. Le texte s'inquiétait de la liberté d'expression à deux vitesses qui fait, en substance, que le droit des Français à critiquer la France diminue à mesure que leur peau se colore. «Cela dépasse, choque et insupporte qu’une telle parole puisse être portée, d’autant plus quand elle l’est par ceux qui subissent en premier lieu les politiques racistes et antisociales. Lorsque des Noirs ou des Arabes font le choix de sortir de l’invisibilité et du mutisme afin de décrire la réalité telle qu’elle est – violente, inégale et destructrice –, la droite extrême, l’extrême droite ou encore l’Etat s’emploient à tenter de convaincre l’opinion publique de l’illégitimité de ces discours.» Cinq ans plus tard, la stupide agitation autour de Danièle Obono rappelle que ces lignes sont toujours tristement d'actualité.
Si Ferré pouvait «baiser la Marseillaise» et Renaud «tringler la République», le chanteur de ZEP (même arabe) peut bien «niquer la France». Si Coquerel, Besancenot ou Eva Joly peuvent (doivent ?) rappeler cette saine évidence, Danièle Obono (même noire) le peut aussi.
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Pétition pour le droit à l'insolence antiraciste
«Le rappeur Saïdou du groupe Z.E.P. (Zone d’Expression Populaire) et le sociologue et militant Saïd Bouamama ont été mis en examen pour "injure publique" et "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence" sur une plainte de l’AGRIF, un groupe d’extrême droite nostalgique de l’Algérie française. En cause, un ouvrage et une chanson du même nom, Nique la France, qui assène en refrain : "Nique la France et son passé colonialiste, ses odeurs, ses relents et ses réflexes paternalistes / Nique la France et son histoire impérialiste, ses murs, ses remparts et ses délires capitalistes."
«Comme des millions de gens à travers le globe ces dernières années, les deux auteurs ont attaqué le colonialisme et le système capitaliste et impérialiste. Comme beaucoup d’entre nous ils dénoncent une idéologie toujours très en vogue : le racisme, sous ses formes les plus courantes mais aussi les plus décomplexées. Comme de nombreux habitants des quartiers populaires, ils ont criés leur colère contre les inégalités, les discriminations et la justice à double vitesse.
«S’inscrivant dans une longue tradition pamphlétaire des artistes engagés en France contre l’Etat français, du "nation de porcs et de chiens" d’André Breton à "le temps que j’baise ma marseillaise" de Léo Ferré en passant par le "je conchie l’armée française" d’Aragon ou le "votre République, moi j'la tringle" de Renaud, Saïdou et Saïd Bouamama ont choisi d’assumer leur "devoir d’insolence" afin d’interpeller et de faire entendre des opinions qui ont peu droit de cité au sein des grands canaux de diffusion médiatique.
«Mais voilà, cela dépasse, choque et insupporte qu’une telle parole puisse être portée, d’autant plus quand elle l'est par ceux qui subissent en premier lieu les politiques racistes et antisociales. Lorsque des Noirs ou des Arabes font le choix de sortir de l’invisibilité et du mutisme afin de décrire la réalité telle qu’elle est – violente, inégale et destructrice – la droite extrême, l’extrême droite ou encore l’Etat s’emploient à tenter de convaincre l’opinion publique de l’illégitimité de ces discours. NTM, Sniper, Ministère Amër, Mr R, La Rumeur, Youssoupha ou Houria Bouteldja sont autant de rappeurs et militants attaqués ces dernières années pour des paroles jugées trop irrévérencieuses. Pourtant tous n’ont fait que porter publiquement l’expression populaire du rejet des discriminations et de la stigmatisation des quartiers populaires, des Noirs, Arabes et musulmans.
«En signant cette pétition, nous exigeons que les poursuites contre Saïdou et Saïd Bouamama soient abandonnées. D’accord ou pas d’accord avec les propos et les formulations incriminés, nous défendons leur droit de les tenir. L’extrême droite veut interdire le droit de chanter la révolte, imposons le droit de l’exprimer sans entraves.