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Pourquoi la révolte syrienne se démarque-t-elle des autres révolutions du monde arabe ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis deux mois, la répression de la contestation a fait 850 morts en Syrie, selon l’ONU. Depuis plus de deux mois, un mouvement de révolte agite la société syrienne et met en danger le régime autoritaire de Bachar Al-Assad. Si cette mobilisation s’inscrit dans le cadre du printemps arabe, elle se différencie du modèle des révolutions tunisienne et égyptienne à de nombreux égards. Pour l’historien et politologue Hamit Bozarslan, ancien directeur de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman, cette contestation se démarque “moins par sa nature que par la nature du régime syrien”.
Le mouvement de révolte en Syrie est-il comparable aux révolutions de Tunisie et d’Egypte ?
Hamit Bozarslan : Le monde arabe connaît une attente démocratique et réclame la fin des régimes autoritaires depuis des années. Une aspiration qui se combine avec la passion d’une nouvelle génération pour la liberté, l’égalité et la dignité. De ce point de vue-là, ce qui se passe en Syrie fait partie d’une contestation qui dépasse le simple cadre du pays. La différence avec les autres pays révolutionnaires ne s’explique donc pas tant par la nature de la contestation que par la nature du régime.
Dans le cas de la Tunisie et de l’Egypte, étaient installés au plus haut niveau ce que l’on appelle des “Etats cartels”. Ces réseaux, constitués autour d’un prince, sont composés de différents organes, notamment l’armée, une partie de la bourgeoisie et de la bureaucratie. Dans ces systèmes, le prince a pour rôle principal de garantir la survie de ce cartel, mais les différentes composantes, et principalement l’armée, disposent d’une autonomie considérable. C’est pour cette raison qu’en Tunisie et en Egypte, l’armée a pu se dissocier du prince et conduire à la chute du régime. En Syrie, la relation entre l’armée et le pouvoir est infiniment plus forte et plus encadrée. Et l’organisation de l’Etat, très réduit autour de la famille du président et d’un petit clan de la minorité alaouite, s’apparente davantage en ce sens à l’ancien régime de Saddam Hussein en Irak.
D’un point de vue géographique, en quoi la contestation syrienne se démarque-t-elle ?
Dans le cas de l’Egypte et de la Tunisie, on observait que les villes du Caire et de Tunis étaient centrales. Il y avait également des contestations locales, mais l’avenir des deux pays s’est joué dans ces deux grandes agglomérations. En Syrie, les dynamiques locales sont infiniment plus importantes. Damas, qui devrait jouer un rôle central, ne parvient pas à émerger comme tel. Cette inertie s’explique par la forte surveillance militaire mais aussi par une différence sociologique par rapport aux autres révolutions arabes. C’est avant tout une révolte des provinces.
Pourquoi la répression du régime syrien semble-t-elle plus efficace ?
Les pratiques coercitives sont très différentes d’un pays à l’autre. En Syrie, on a évidemment un exemple sinistre des pratiques du pouvoir avec l’épisode de Hama, en 1982 [les troupes du président Hafez Al-Assad, père de l'actuel président, avaient réprimé dans le sang une insurrection orchestrée par les Frères musulmans]. Aujourd’hui, le régime syrien se montre très efficace car il parvient à fracturer l’espace et le temps de la contestation, à imposer son rythme. En déplaçant ses chars d’une ville à l’autre, en faisant régner la terreur dans différents lieux successifs, le pouvoir syrien réussit à empêcher la création d’une dynamique commune de l’opposition. Ce que n’avait pas réussi à faire Ben Ali et Moubarak. De ce point de vue, je crains que le temps joue en faveur du pouvoir. Plus les autorités imposent leur rythme, plus elles rendent la contestation diffuse.
Existe-t-il en Syrie une force d’opposition cohérente ?
Il est très difficile de définir aujourd’hui l’opposition syrienne, même si on dispose d’énormément d’éléments. Il s’agit visiblement d’une coalition hétéroclite dans laquelle on trouve des intellectuels, des jeunes de la classe moyenne, des exclus du système informel, des membres de courants libéraux, une opposition conservatrice, voire islamiste. A l’inverse des mouvements tunisiens et égyptiens, on entend dans les cortèges le slogan “Allah akbar” [Dieu est le plus grand]. Ce qui ne signifie pas nécessairement un mot d’ordre islamiste : le slogan est aussi un appel à la résistance depuis un siècle et demi dans le monde arabe.
L’organisation de la contestation est-elle différente ?
Comme en Tunisie et en Egypte, la contestation se joue sur le plan virtuel, sur Internet et avec les réseaux sociaux. Mais la différence principale réside dans la faculté d’organisation sur le terrain. La Tunisie et l’Egypte présentaient ce paradoxe qu’ils étaient des pays très ouverts : ils accueillaient des millions de touristes, ils avaient une diaspora très importante et une forte influence. A condition de ne pas toucher la personne du prince, les intellectuels pouvaient se rassembler, la vie universitaire était très vivace…
En Syrie, ce n’est pas du tout le cas. Si l’Etat s’est effectivement retiré de certains domaines sociaux comme la “soupe populaire” ou les dispensaires, l’encadrement de la société demeure très fort. La peur des moukhabarat, la police secrète syrienne, est bien plus forte que celle qui existait en Tunisie ou en Egypte.
Comment s’explique le manque de réactivité de la communauté internationale ?
Il y a cinq ans, la Syrie a été réhabilitée par la communauté internationale. Une décision commune qui trouve de nombreuses justifications, parmi lesquelles la stabilisation de la frontière entre la Syrie et l’Irak, ou encore la pacification du Liban. Ces facteurs expliquent en grande partie l’inertie actuelle de la communauté internationale, qui ne parvient pas à trouver une position commune. Il faut rappeler qu’Israël joue aussi un rôle important car la Syrie représente un peu son “meilleur ennemi”. Le régime de Bachar Al-Assad, bien que très hostile évidemment à l’Etat d’Israël, est relativement encadré, notamment grâce à l’influence de Washington. Or le remplacement du régime Al-Assad pourrait représenter un grand danger pour les Israéliens.
Propos recueillis par Charlotte Chabas
LEMONDE.FR | 13.05.11 |