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Maroc. «Le Rif et la présence massive des militaires»

Maroc

Lien publiée le 6 octobre 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/afrique/maroc/maroc-le-rif-et-la-presence-massive-des-militaires.html

Par Baudoin Loos

Où en est le «Hirak», ce mouvement de contestation né en octobre 2016 dans le Rif, le nord berbère du Maroc? Le point culminant de ce mouvement de masse contre la «hogra» (le mépris, l’abus de pouvoir, l’injustice) et la marginalisation de la région devait avoir lieu le 20 juillet dernier lors d’une manifestation annoncée comme historique. Las pour les organisateurs, le pouvoir central marocain avait réagi par une répression générale, accentuant lourdement celle qui avait déjà accueilli le mouvement dès son initiation.

Depuis lors, les revendications sont devenues plus concrètes et concernent la libération exigée des centaines de détenus, condamnés ou prévenus, liés à ce mouvement de contestation.

Ce 3 octobre à Casablanca, loin du Rif, une vingtaine de prévenus comparaissaient encore devant leurs juges. Des dizaines d’autres ont déjà été condamnés à diverses peines, avec un funeste record pour le jeune (18 ans) Jamal Ouled Abdennabi, condamné à 20 ans de prison en première instance. Et les arrestations continuent, à un rythme quotidien. «Les associations locales recensent entre trois et dix nouvelles interpellations par jour», relève l’ONG EuroMedDroits au terme d’un communiqué destiné à faire connaître «la détérioration des conditions de détention des prisonniers politiques du Hirak».

Le nombre exact de prisonniers est difficile à établir. Les sources vont de 200 à 500. Ce qui est sûr c’est que des dizaines d’entre eux observent une grève de la faim depuis plusieurs semaines pour dénoncer à la fois leur détention, qu’ils estiment arbitraires, et dénoncer les conditions de leur détention. Certains grévistes de la faim seraient dans un état critique, incapables d’encore se mouvoir. Des cas de torture ont été dénoncés par Amnesty et Human Rights Watch alors que des avocats ont parlé de harcèlement à leur encontre.

Sur place, comme nous le dit Labib Fahmy, journaliste belge d’origine rifaine,

«un couvre-feu non déclaré a été mis en place, la région est comme en état de siège entretenu par une présence massive de militaires».

Les autorités n’aiment guère les témoins. Quatre journalistes étrangers ont été expulsés en 2017, deux Espagnols, un Algérien et un Irano-Britannique. Ce dernier a été renvoyé à Londres la semaine dernière au motif qu’il n’avait pas reçu l’autorisation de se rendre dans le Rif. Sept journalistes rifains sont, eux, sous les verrous, selon Labib Fahmy. (Voir ci-dessous le récit du procès du journaliste Hamid Mahdaoui).

Sur le plan politique, on ne peut parler d’avancée. Le roi Mohammed VI, que l’on dit inquiet, a reçu lundi un rapport d’audit sur le projet de développement d’Al-Hoceima, l’épicentre de la contestation dans le Rif, qui avait été lancée en octobre 2015. Les inspecteurs ont décelé «le retard» ou «la non-exécution» de plusieurs points, mais ont exclu «tout acte de malversation ou de fraudes». Ce programme, baptisé «Al-Hoceima, phare de la Méditerranée, 2015-2019 » (Al Hoceïma Manarat Al Moutawassit), avait été doté d’un budget de 600 millions d’euros.

Mais cette initiative peine à convaincre. «Franchement, ils ne sont pas sérieux, nous dit Said el-Amrani, un autre journaliste belge d’origine marocaine et rifain de son état, ça fait des années qu’on parle de ce programme, mais nous n’avons rien vu malgré les beaux discours. Après l’arrestation de plus de 420 activistes pacifistes, les gens ne croient plus à leurs promesses. »

Le souverain s’apprête-t-il à frapper un grand coup de communication? La rumeur et certains médias locaux disent en tout cas qu’il devrait débarquer sans prévenir avec sa suite à l’aéroport d’Al-Hoceima. Il y constaterait sans doute que le mouvement de revendication régional ne s’apparente nullement à des velléités sécessionnistes, comme les ennemis du «Hirak» le décrivent volontiers pour mieux le discréditer au plan national.

C’est d’ailleurs ce que fait remarquer le vieux militant des droits de l’homme, Mohamed Neshnash, dans les colonnes du magazine TelQuel ce 2 octobre 2017 tout en exprimant ses regrets à propos du traitement du Hirak par le pouvoir:

«Pourquoi détient-on des personnes simplement parce qu’elles portent le drapeau rifain et ont des revendications économiques et sociales légitimes? D’un côté, le Maroc est généreux et dit qu’il pardonne à tous les Sahraouis qui ont pris les armes contre le royaume. De l’autre, il emprisonne des manifestants qui ne sont même pas séparatistes. Ce n’est pas cohérent.» Et de lâcher une réflexion amère en allusion au règne de feu Hassan II: «Nous avions cru que les années de plomb étaient terminées, mais on voit aujourd’hui le même phénomène se répéter.» (Article publié dans le quotidien belge Le Soir, en date du 4 octobre 2017)

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Le Hirak, sujet d’un colloque du Parlement européen
le 9 octobre 2017

Le Parlement européen organise un colloque sur le Hirak rifain le 9 octobre à l’initiative de l’eurodéputée (GUE) Marie-Christine Vergiat, indiquent les organisateurs dans un communiqué, en partenariat avec l’Association de défense de droits humains au Maroc (ASDMOH), le Collectif d’associations de solidarité et droits de l’homme en Hollande (Rif Alerte) et la Coordination maghrébine des organisations des droits humains (CMODH), rapporte Yabiladi.

Y sont conviés Saïd Fawzi, président de l’ASDMOH et Khadija Ryadi, coordinatrice du CMODH, ainsi que l’artiste Salima Zyani (Silya), arrêtée puis graciée par le roi Mohammed VI, Ahmed Zafzafi, le père de Nasser Zafzafi, leader du Hirak en attente de son jugement et Mustapha Benchrif, avocat et auteur de l’ouvrage «Crimes internationaux et droit des victimes à la réparation. Le cas de la guerre du Rif 1921-1926» (Le Desk, le 2 octobre 2017)

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Hamid Mahdaoui: «Je lève mon poing, car je suis appelé
à ce tribunal injustement»

La deuxième audience des procès du journaliste Hamid Mahdaoui et de 21 militants du Hirak s’est une nouvelle fois déroulée sous haute tension. Nouveauté: la salle d’audience a été réaménagée et équipée de caméras, ce qui a suscité l’ire de la défense.

Hamid Mahdaoui

Sécurité ultra-renforcée, mise en place d’un bureau de presse et une salle d’audience réaménagée avec des caméras. C’est dans une ambiance électrique que la deuxième audience des procès du journaliste Hamid El Mahdaoui et de 21 militants du Hirak s’est ouverte ce mardi 3 octobre à la première chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca.

Il est 9 heures du matin lorsque nous passons le premier barrage à l’entrée du tribunal avec fouille corporelle, contrôle des sacs et même des calepins. Avant d’avoir accès au tribunal, nous sommes priés de nous enregistrer auprès du bureau de presse, tenu par des fonctionnaires du ministère de la Communication. Au passage, on déposera aussi nos téléphones. Badge autour du cou, on peut enfin passer le deuxième barrage de police avec scan d’effets personnels (comme à l’aéroport). Une première.

Une nouvelle déco et des caméras à l’intérieur de la salle

Avant d’avoir accès à la salle numéro 8, nous passons un troisième barrage avec un autre scanner. Et première remarque: l’espace menant à la salle a été réaménagé. Des palissades en bois arborant l’inscription «La justice au service du citoyen» et une signalétique au sol ont été mises en place pour orienter le public. Des arbustes disposés dans des pots flashy complètent cette nouvelle décoration. Du jamais vu dans un tribunal au Maroc.

A l’intérieur de la salle où les préparatifs vont bon train pour le début de la séance, trois caméras, des micros et un projecteur ont été installés. «C’est nouveau ça», lance un homme venu assister à l’audience.

En plus des journalistes, acteurs associatifs, policiers, et des familles des détenus, on distingue aussi des enfants en bas âge dans la salle. Ce sont les enfants d’un détenu, Karim Amghar. «Ils sont trois, dont un nourrisson de moins de deux mois que l’accusé n’a jamais vu», nous explique Wail Asserhi, frère du directeur de publication du site Rif 24, lui aussi sur le banc des accusés. Autre nouveauté, le box des accusés d’habitude transparent a été peint d’une couleur opaque pour empêcher tout contact entre les détenus du Hirak et l’audience.

Une jeune femme assise à côté nous lance alors: «la sécurité a été renforcée, j’ai vraiment eu peur en entrant… Ils m’ont demandé d’enlever mon t-shirt à l’effigie de Hamid». Elle, c’est la sœur de Hamid El Mahdaoui, bientôt rejointe par son père.

Il reste silencieux durant toute la séance. La mère du journaliste en a gros sur le cœur. Elle se confie: «Mon fils est un brave homme. Que Dieu ait pitié de lui». Sa sœur ajoute: «mes parents ont eu du mal à entrer au tribunal, c’est un avocat de la défense qui leur a garanti l’accès».

Imbroglio sur le droit de filmer 

10h15. Le procès peut commencer. Le juge appelle Hamid El Mahdaoui qui est poursuivi pour «manquements à son obligation de porter à la connaissance des autorités une tentative de nuire à la sécurité intérieure de l’État», selon sa défense. Le directeur de publication du site Badil, entre le poing levé devant le juge.

Alors que ce dernier l’interroge sur cette entrée, El Mahdaoui, visiblement en forme, répond: «je lève mon poing, car je suis appelé à ce tribunal injustement». Et alors qu’il se lance dans une diatribe contre l’injustice, sa mère se met à pleurer.

Pendant ce temps, les détenus du Hirak installés dans le box opaque mettent leur main sur la vitre pour signifier leur présence. Le sujet central de cette deuxième audience sera bel et bien l’installation des caméras. «Si ces caméras ont été mises en place pour des considérations politiques, nous exigeons d’obtenir les enregistrements», déclare calmement l’avocat Mohammed Ziane. «C’est vraiment étrange d’accepter des caméras de la télévision nationale alors qu’il y a des journalistes qui ont été empêchés d’accès au tribunal», renchérit un de ses confrères. «Monsieur le juge, aucune décision ne nous est parvenue à ce sujet. Est-ce que vous avez décidé secrètement de les laisser filmer? C’est illégal», poursuit-il.

Le juriste invoque alors l’article 303 disposant que «l’enregistrement de l’audience doit se faire avec l’autorisation du représentant du ministère public et l’accord des accusés eux-mêmes». Le juge rétorque: «les autorisations requises sont dans le dossier», ce que la défense du Hirak nie. «On ne va pas vous laisser manipuler l’opinion publique en disant que les gens du Rif sont séparatistes. On ne va pas vous laisser faire» renchérit Me Ziane. S’en est suivi un brouhaha. La séance est levée alors que l’assistance et les détenus clament en chœur: «la mort plutôt que l’humiliation».

A la sortie de la salle 8, nous retrouvons Wail Asserhi, le frère du directeur de publication de Rif 24, qui nous assure que ce dernier n’a pas entamé de grève de la faim contrairement à d’autres détenus du Hirak. «Je l’ai vu il y a deux semaines, mais il menace d’entrer en grève de la faim et de l’eau aussi», nous confie son frère. Au total, 37 détenus du Hirak sont entrés en grève de la faim, d’après l’Observatoire marocain des prisons (OMP). L’administration pénitentiaire (Nabil Ahemjik, Mohamed Jelloul et Rabii Al Ablak) affirme de son côté qu’ils ne sont que trois.

Le procès reprend, et la défense du Hirak n’en démord toujours pas au sujet des caméras dans la salle d’audience. La question s’est d’ailleurs déjà posée lors d’Ansar Al Madhi [procès contre le salafiste portant ce nom et accusé de terrorisme] en 2007. L’avocat Abdelaziz Nouidi estime que «si la SNRT (Société nationale de radiodiffusion et de télévision) a une autorisation, on veut que d’autres supports puissent avoir la possibilité de filmer». «Filmer le procès, empêcher l’accès à la salle et faire peur à l’audience ne sont pas les véritables conditions d’un procès équitable», ajoute-t-il. «Je ne me sens pas visé», assure un journaliste de 2M. «Nous n’avons rien filmé, c’est une boîte de production qui le fait afin de diffuser l’audience dans une autre salle», nous confie-t-il.

A ce moment-là, Hamid El Mahdaoui demande l’autorisation de parler à la cour. Après avoir supplié le juge, il se lance. «Je suis accusé, mais aussi un héros, et je ne suis pas honoré d’être filmé par 2M et la SNRT» dit-il, avant de remercier plusieurs sites d’information dont Goud, Lakome et Alyaoum 24 et le quotidien du groupe Akhbar Al Yaoum dirigé par Touafik Bouachrine.

Le juge ajourne alors le procès au 17 octobre et ne se prononce pas au sujet de la liberté provisoire pour le journaliste. Le parquet répond alors aux protestations de la défense. «Les deux chaînes ont demandé l’autorisation et elles l’ont obtenue. Cela fait partie du droit à l’accès à l’information», explique le procureur général. «J’aimerais juste préciser une chose: nous ne poursuivons pas Hamid Mahdaoui, car il est journaliste ou à cause de ses opinions, mais à cause d’un fait grave et c’est pour cette raison qu’on a requis l’emprisonnement. N’essayez donc pas de détourner le débat. La liberté d’expression, des propos les plus extrêmes sont exprimés quotidiennement au Maroc sans que les concernés soient dérangés», ajoute-t-il.

S’adressant toujours aux avocats de la défense, le procureur déclare: «Ceux qui disent que des journalistes ou autres ont été interdits d’accès à la salle qu’ils les fassent venir! Et puis si des personnes ont été empêchées d’entrer, c’est pour garantir de bonnes conditions d’audience». Une déclaration qui a provoqué de vives protestations des avocats alors que le procès se poursuivait toujours. Voilà qui promet de prochaines séances tout aussi houleuses. (Publié dans TelQuel.ma, 3 octobre 2017)