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Italie: "Le succès de l’initiative Potere al popolo montre le désir d’une alternative politique"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Entretien avec Franco Turigliatto, ancien sénateur italien, aujourd’hui l’un des dirigeants de Sinistra anticapitalista (Gauche anticapitaliste).
Les sondages donnent Berlusconi et ses alliés gagnants devant le mouvement 5 Stelle et la coalition de Renzi. Comment expliquer ce retour possible de Berlusconi ?
Les derniers sondages donnent le Mouvement 5 Étoiles autour de 27-28%, le Parti démocrate de Renzi en baisse à 22%, et les forces de droite en hausse : Forza Italia 16%, la Ligue du Nord 13,2% et les Fratelli d’Italia 5% ; additionnées, elles pourraient atteindre les 35%. Les indécis et les abstentionnistes sont à 40%.
Le scrutin sera soumis à un nouveau système électoral, en partie nominal, en partie proportionnel : il paraît peu probable que l’une des trois forces candidates à la gestion du capitalisme italien obtienne seule la majorité parlementaire ; un gouvernement de coalition tel que le propose le Président de la République n’est pas à exclure.
Le mouvement des travailleurs et les forces de gauche sont confrontés à une offensive globale de la part des forces de droite, au développement d’idéologies réactionnaires et racistes, au dédouanement, sous des formes plus ou moins masquées, du fascisme lui-même. Ce qui pèse, ce sont les défaites subies par la classe ouvrière, l’acceptation des politiques libérales par les syndicats majoritaires, une désorientation politique générale, le fait que la colère et le désespoir priment sur une volonté réfléchie de résister et de se réorganiser. Les luttes sociales et ouvrières sont nombreuses mais éclatées, sans unité ni perspective alternative. Il n’est pas étonnant que le curseur politique se soit déplacé vers la droite car ce sont les gouvernements de « centre-gauche » du Parti démocrate qui, pendant des années, ont géré l’austérité.
La coalition de Berlusconi combine xénophobie, racisme, nationalisme et propositions fascisantes et, dans le débat politique, elle a imposé ses thèmes sur la sécurité publique, sur la flat tax et sur les migrants. Par des baisses d’impôts et de cotisations sociales, le gouvernement du Parti démocrate a fait un cadeau de 40 milliards aux patrons ; il a favorisé la précarité et la destruction des droits du travail, en augmentant les dépenses militaires et en diminuant les dépenses sociales. Le ministre de l’intérieur Minniti s’est distingué dans le refoulement des migrants et une façon réactionnaire de gérer l’ordre public.
Le Mouvement 5 Étoiles cherche à se faire passer pour un loyal gestionnaire du système capitaliste en rassurant la bourgeoisie sur ses « bonnes » intentions, en disant qu’il respectera les règles du « fiscal compact », et en multipliant les déclarations anti-migrants visant à gagner des électeurs de droite.
Dans un pays qui compte 10 millions de pauvres, 3 millions de chômeurs, quelques millions de plus de précaires, 10 millions de personnes n’ayant plus accès aux soins médicaux, où les services sociaux deviennent de plus en plus inaccessibles et où les désatres écologiques se multiplient, ceux que l’on désigne comme les coupables du désastre, ce sont ceux qui sont au plus bas de l’échelle sociale et qui ont le moins de droits : les migrants. Un scénario révoltant.
La fusillade de Macerata est-elle un fait isolé ou est-ce qu'elle traduit une remontée de l'extrême-droite ? Quelles en sont les principales forces ?
Les événements de Macerata ne constituent que la partie émergée de l’iceberg de la présence des forces d’extrême droite. Leurs manifestations, mais aussi leurs actions directes de commando, se sont multipliées ces dernières années et non pas encore trouvé une réponse adaptée.
Deux organisations sont en première ligne, Casa Pound et Forza Nuova, qui se présentent séparément aux prochaines élections. Au fil des années, elles ont été complètement banalisées et légitimées aussi, soit par les médias, soit par les grands partis politiques. Il y a quelques jours, à Bologne, un cortège de jeunes qui cherchait à occuper la place où se déroulait une réunion de l’extrême droite a été durement chargé par la police du ministre Minniti.
La Ligue du Nord de Salvini, maintenant devenue Lega nazionale, joue un rôle particulièrement négatif ; elle est très liée au FN français et elle dispose d’une réelle influence non seulement dans la petite et moyenne bourgeoisie dans les régions du Nord, mais aussi parmi les travailleurs, en développant quotidiennement une campagne raciste et xénophobe contre les migrants et en empoisonnant des secteurs sociaux et populaires désespérés et déshérités.
N’oublions pas « Fratelli d’italia », formation xénophobe et untranationaliste qui maintient des références historiques et politiques à l’ancien MSI, l’organisation née après la Seconde Guerre mondiale et la dissolution du parti fasciste.
Ce qui a été décisif à Macerata, face au renoncement non seulement du Parti démocrate mais aussi des trois grandes organisations de masse ANPI (Association nationale des partisans italiens), la CGIL (Confédération générale italienne du travai) et l’ARCI (Association récréative culturelle italienne), c’est qu’une mobilisation antifasciste ait été organisée et que, face au gouvernement qui voulait l’interdire, les jeunes des centres sociaux et les forces combatives de la gauche aient été capables d’impulser une grande manifestation pour s’opposer à cet acte fasciste.
Mais le jeu reste ouvert. Samedi 24, à Rome, ANPI, CGIL et ARCI organisent une manifestation antifasciste nationale ; c’est bien mais, en dernière analyse, les forces d’extrême droite ne pourront être battues que par la reprise des mobilisations sociales de la classe ouvrière.
Sinistra anticapitalista participe à la coalition « Potere al popolo ! ». Comment et sur quelles bases s'est constitué cette coalition ? Qui sont les partenaires ? Quel est l'écho populaire ?
Depuis environ un an, divers mouvements se produisent dans la gauche. « Liberi e Eguali » ne peut certainement pas constituer une véritable alternative de gauche : c’est une coalition dirigée par le Président du Sénat et des dirigeants politiques du Parti démocrate, comme d’Alema et Bersani, qui ont dirigé les gouvernements de centre-gauche et géré les politiques d’austérité avant d’avoir été écartés par Renzi et poussés à la scission. Son objectif est d’obtenir un bon résultat électoral qui mette Renzi en crise afin de recomposer un nouveau centre-gauche et de revenir au gouvernement.
Il était nécessaire de construire une force vraiment engagée à gauche, qui rejette totalement les politiques libérales et qui soit un point de référence pour l’action sociale et les élections. Après plusieurs hésitations, c’est un centre social de Naples (c’est aussi une force politique) qui a pris l’initiative de proposer une assemblée pour la constitution d’une liste et elle a pris le nom de Potere al Popolo. Le succès de cette initiative montre le désir d’une alternative politique de la part de secteurs de la jeunesse (et de secteurs moins jeunes), mais elle a été rendue possible grâce à la participation de quelques organisations : Rifondazione Communista, Sinistra Anticapitalista, La Rete sociale et politique autour de la plate-forme Eurostop, le PCI (une ancienne scission de Rifondazione) et d’autres aussi.
Un mois de discussions sur le net, des centaines d’assemblées territoriales ont mobilisé des milliers d’activistes, de militantEs, pour la préparation d’un programme en 15 points, qui synthétise les revendications des mouvements qui ont secoué le pays ces dernières années : des revendications visant à éliminer tous ces choix, politiques, économiques, sociaux, environnementaux, qu’a faits le capitalisme néolibéral. C’est un programme antilibéral radical. Nous aurions peut-être voulu quelque chose de plus, une plus grande précision, un renvoi plus clair à une perspective anticapitaliste mais, tel qu’il est, il permet une bonne campagne, efficace, et c’est un support valable pour les mobilisations.
Il est difficile de dire ce que sera le résultat électoral : il faut arriver à 3% pour avoir des élus. La mise en mouvement d’énergies anciennes et nouvelles est déjà un bon résultat : c’est un courant d’air frais dans une pièce fermée et l’attention portée à la liste augmente.
Que peut-on attendre de « Potere al popolo » au-delà des élections ?
Pour s’opposer aux organisations d’extrême droite et aux nouvelles attaques qu’envisage le futur gouvernement, des luttes très dures seront nécessaires ; après les élections, la bourgeoisie présentera aux classes travailleuses une nouvelle addition très salée.
Du vote par délégation, il faudra passer au vote direct : la lutte sociale sur des bases de classe. Les forces de Potere al Popolo devront travailler à fond pour construire les résistances sociales à partir du contenu de son programme ; toutes les forces qui le composent ont déclaré assumer cet engagement.
Dans les mois qui viennent se tiendra aussi le congrès du syndicat le plus impoprtant, la CGIL, où l’opposition de gauche cherchera à orienter le plus grand nombre de militants vers la perspective d’un syndicalisme de classe.
Les organisations qui composent Potere al Popolo n’ont pas les mêmes références stratégiques et programmatiques ; leurs relations avec les forces de gauche en Europe sont elles aussi différentes. Il y aura d’intenses discussions et le résultat électoral aura une certaine influence sur les évolutions politiques.
En tant qu’organisation, nous travaillons à une convergence politique concrète des mobilisations et à l’unité des classes travailleuses dans une perspective qui fasse de l’anticapitalisme et de l’internationalisme un point de référence essentiel.
Propos recueillis par Henri Wilno, traduction de Bernard Chamayou.