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L’échange de postes : «Un coup de pied dans l’organisation pyramidale du travail»

Lien publiée le 15 juin 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.liberation.fr/amphtml/france/2018/06/14/l-echange-de-postes-un-coup-de-pied-dans-l-organisation-pyramidale-du-travail_1659214

A Bayonne, une entreprise de tri des déchets teste, pour quelques heures, la permutation de ses effectifs. Une manière de démystifier et de valoriser le travail des autres.

Dans le chahut des tapis roulants, des compacteurs et des bennes qui vident les ordures ménagères, la chaîne de tri des déchets issus des sacs jaunes sème son lot d’odeurs, de bruit et de stress. Le tapis roulant donne une impression de vertige permanent, charriant des journaux imbibés de liquides non identifiés… Au chevet de cette cohorte des déchets de la vie quotidienne, des agents extraient du film plastique, du carton et tout «le refus», ces détritus que les citoyens distraits ont laissé échapper dans le sac ou le bac de la mauvaise couleur. Concentrée, Joëlle tente de rester dans le tempo de cette musique qui s’emballe. A côté, Virginie lui donne des précisions. «Les couches neuves, tu peux les laisser dans le valorisable. Mais les couches utilisées, évidemment c’est pour le refus.»

Il faut dire qu’en temps normal, Joëlle est comptable. Mais jeudi matin, elle est venue prendre le poste de Virginie, laquelle avait passé une demi-journée dans le fauteuil de Joëlle, il y a quelques jours. C’est la deuxième année consécutive que le syndicat mixte pour le traitement des déchets ménagers de 211 communes et 310 000 habitants du Pays basque participe à cette opération «Vis mon travail», proposée par l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract). Le but de ce grand troc ? Donner «l’occasion aux collaborateurs d’une entreprise de mieux connaître la réalité du travail de leurs collègues». En 2017, 22 salariés (sur la centaine que compte le syndicat) avaient participé à cet échange de postes. Cette année, ils sont 30, dont la moitié n’a pas participé l’an dernier. Même le directeur général, Dominique Carrere, échange ses tâches l’espace d’une matinée, avec celles du responsable d’exploitation du centre de tri. «Le plus difficile ? Faire rentrer ça dans mon emploi du temps !»

Retour sur la chaîne de tri. Joëlle, la comptable, n’a pas embauché à 5 h 15 comme tous les autres. L’organisation personnelle et les horaires de crèche de sa fille n’ont pas permis de pousser aussi loin la permutation. Mais depuis 8 h 30, son regard s’attache à ne rien laisser échapper : «A force de regarder ce tapis qui roule, on finit par perdre l’équilibre.» Le baudrier fluo, la casquette de sécurité, la combinaison et les indispensables gants de protection ne sont pas sa tenue de travail habituelle. «Je vois bien que les autres trient en une seconde. Moi, je suis trop lente», reconnaît-elle dans un éclat de rire. A côté d’elle, Virginie rattrape la cadence.

Virginie en comptable, à la place de Joëlle.

«Pénible»

Salariée du syndicat depuis quatorze ans, la comptable n’a envisagé aucune autre fonction dans l’entreprise. «Les agents de tri, on ne les voit jamais. Je voulais partager leur quotidien. Je savais que c’était dur. Maintenant je le sens physiquement : j’ai mal aux jambes !» Virginie confirme. «Le plus pénible, c’est la station debout.» Quelques jours plus tôt, cette permutation a connu son match aller. Virginie a passé une demi-journée dans l’ambiance feutrée des bureaux du siège du syndicat, dessinés par un architecte qui utilise bois et béton. Informatique, factures, indicateurs… Joëlle lui a tout montré et même confié quelques tâches «dont elle s’est super bien sortie». Aucune frustration pour Virginie à l’issue de cette incursion dans le monde ouaté et plus confortable de l’administratif. «J’aime bien les chiffres pourtant, mais là, il y en a vraiment trop. Et puis je ne veux pas rester assise tout le temps.»

Le directeur général, Dominique Carrere est convaincu par l’intérêt de ce jeu de chaises musicales. «C’est une opération bénéfique contre les préjugés et les représentations, qui favorise le partage de la connaissance et permet même de redonner de la considération à ceux qui se dévalorisent. Un coup de pied dans l’organisation pyramidale.» Des frustrations, des jalousies, des ambitions mal placées à l’issue de ces échanges ? «Au contraire, le sentiment le plus souvent exprimé après, c’est : je suis bien là où je suis !»

Polybenne

Dans les couloirs, on attend avec gourmandise le retour de congés de Benat. Cet homme décrit comme rond, chaleureux et bavard avec tout le monde, va quitter le volant de son énorme camion polybenne pour la fonction d’accueil au siège du syndicat intercommunal. Elisabeth, qui occupe le poste habituellement, ne pourra pas conduire en échange le poids lourd, faute de permis adapté. Mais elle espère bien manipuler les outils de transbordement de bennes. «Mon oncle était chauffeur routier. C’est un rêve de gosse de monter là-dedans. Et puis ça permet de connaître les problématiques quotidiennes des collègues. A l’accueil, on a des échanges avec tous les services. Pour autant, on ne connaît pas vraiment leur réalité. Et comme je suis curieuse…»

Loin du gadget, l’échange de postes dévoilerait des vertus sur les ressources humaines. Cette année, une enquête plus poussée auprès de ceux qui ont joué la seconde manche doit détecter d’éventuelles actions mises en place par les agents eux-mêmes à l’issue de l’expérience. Virginie Allezard, la responsable qualité sécurité environnement l’intègre à la démarche sur la qualité de vie au travail : «Nous préférons la démarche à petits pas plutôt que de passer par un diagnostic, une enquête, des indicateurs…» Le premier atelier qualité de vie au travail a réuni une dizaine de volontaires, dont un représentant du personnel. Une amicale est en train de voir le jour. Les élus ont accepté de la soutenir financièrement. Des petits pas, pas si petits…