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Retour sur l’élection mexicaine

Mexique

Lien publiée le 16 juillet 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Jusqu’au jour de la victoire du nouveau président élu mexicain Andrés Manuel López Obrador (1er juillet 2018), et en dépit de tous les sondages qui le donnaient gagnant avec une marge confortable, l’incertitude régnait : les intérêts économiques et politiques établis le laisseraient-ils jamais gagner ? L’effort pour l’empêcher de ne jamais devenir président avait réussi deux fois, en 2006 et en 2012, par une combinaison de fraude, d’achats de votes, d’assassinats, de harcèlement judiciaire, et de tactiques de propagande maccarthystes. En 2006 et encore en 2012, il avait été dépeint dans les médias mexicains dominants comme un « autre Chávez », un « danger pour le Mexique », un démagogue, un dictateur...

Mais ces dernières années, la majorité des électeurs mexicains se sont tellement lassés du règne des deux partis politiques principaux – le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et le Parti d’action nationale (PAN) – et étaient si peu convaincus par les méthodes antidémocratiques utilisées pour discréditer le candidat, qu’il a été triomphalement élu avec une majorité de 53 %. Connu par ses initiales – AMLO –, López Obrador est le seul candidat à avoir gagné une majorité absolue depuis la première élection compétitive en 2000. Sa victoire a beaucoup bénéficié à son parti, Morena (Mouvement de régénération nationale), qui aura une majorité nette dans les deux chambres du Congrès. Des huit postes de gouverneur en jeu, quatre ont été gagnés par Morena, ainsi que la mairie de la capitale. L’achat de votes, l’intimidation et même l’assassinat de plus de 100 candidats locaux, n’ont pas pu arrêter la vague. La présence d’observateurs électoraux mexicains et étrangers et l’engagement civique de milliers de citoyens ont contribué à une journée électorale globalement sans incident. On déplore quelques incidents graves, notamment l’attaque à main armée de quelques bureaux de vote dans l’Etat de Puebla, ou la partie était très serrée entre Morena et la coalition soutenue par le PAN pour le poste de gouverneur. Nul ne doute que l’achat de votes reste une pratique courante des partis établis. Néanmoins, la légitimité des résultats n’est pas contestée et le Mexique peut s’enorgueillir d’un processus électoral globalement exemplaire. Le président élu entrera en fonction le 1er décembre et le Congrès dès le 1er septembre.

La quête présidentielle d’AMLO a commencé lorsqu’il était dirigeant du Parti de la révolution démocratique (PRD), fondé en 1989 comme scission de gauche du PRI, qui avait encore, à l’époque, le monopole du pouvoir. Mais en quelques années ce parti a dégénéré en PRI-bis puisqu’il n’a pas su en finir avec la corruption dans ses rangs. Les alliances opportunistes qu’il a nouées, notamment avec le PAN contre le PRI, ont décidé AMLO à sortir du PRD pour fonder son propre parti en 2014.

Morena a su devenir un vecteur efficace de mobilisation des électeurs et notamment des 15 millions de nouveaux électeurs de 2018, sur 87 millions d’inscrits. La campagne d’AMLO a été un chef d’œuvre de mobilisation par les médias. Une chanson accrocheuse et un slogan humoristique – « Je vote pour tu-sais-qui », (ya sabes quién) – ont permis d’adoucir l’image du candidat. La coordination de sa campagne par une ancienne militante bien connue du PAN a réussi à rendre AMLO respectable auprès des classes moyennes et des entrepreneurs.

Pendant les mois qui ont précédé le scrutin, AMLO a été souvent représenté comme un « populiste » – étiquette floue qui rend possible beaucoup d’amalgames – et même, dans la presse étatsunienne, comme un « autre Trump ». Rien n’est plus loin de la vérité. AMLO est un homme instruit, auteur d’une quinzaine de livres et son épouse, Beatriz Gutiérrez, est historienne. Néanmoins il continue à faire peur à ceux qui ont en effet beaucoup à perdre si AMLO et son gouvernement donnent suite à leur engagement central qui consiste à combattre la « mafia du pouvoir », c’est-à-dire les acteurs qui perpétuent la corruption endémique du système politique mexicain.

AMLO est souvent dépeint comme un « nationaliste » et cela est sans doute vrai. Imprégné d’un sens profond l’histoire mexicaine, il inscrit sa présidence dans une « quatrième grande transformation » du pays depuis l’indépendance en 1821. Son sens de la mission est fondée sur l’idée que la société mexicaine est divisée, disloquée et violée par des politiques corrompus depuis trop longtemps et que le tissu social de la nation a besoin d’être rétabli par un gouvernement qui sert la majorité, pas seulement une petite minorité. Son nationalisme n’est pas strident ou agressif, il ne s’agit pas de dominer d’autres nations ni de distinguer les « vrais » Mexicains des autres sur la base de distinctions ethniques ou raciales.

AMLO sera-t-il un président de gauche ? Parmi les forces qui l’ont soutenu se trouvent en effet beaucoup de gens de gauche qui aspirent à des réformes profondes et à une rupture nette avec le système établi. L’une des idées centrales de sa campagne a été que la richesse doit être mieux partagée et que l’Etat porte la responsabilité de garantir la cohésion de la société. Cependant, il s’est donné beaucoup de peine pour montrer que son gouvernement sera compatible avec l’initiative privée. Parmi ses principaux défenseurs se trouve Alfonso Romo, entrepreneur et ingénieur agronome de Monterrey, qui a donné à AMLO le genre de respectabilité dont il avait besoin pour vaincre la peur et l’hostilité des hommes d’affaires. Ce soutien s’est avéré crucial dans les semaines qui ont précédé le 1er juillet. Les marchés financiers ne se sont pas effondrés et le peso mexicain n’a connu qu’une légère perte de valeur face au dollar. Romo a été désigné comme le chef de cabinet du futur président.

Doit-en en conclure qu’AMLO est devenu un conservateur de plus qui manie un langage de gauche ? Un tel jugement serait hâtif. Il est sincère dans sa volonté d’augmenter le niveau de vie des travailleurs, de garantir une retraite décente aux retraités, de garantir à tous un accès abordable à la santé et à l’éducation publique de qualité pour tous. Un de ses thèmes de campagne qui a eu le plus de succès se résume par le slogan, qui rime en espagnol : « des boursiers, pas des tueurs à gages » (“becarios y no sicarios”), autrement dit, l’accès à l’éducation pour éviter que des milliers des jeunes rejoignent les rangs des cartels de la drogue ou d’autres organisations criminelles. L’un des futurs membres du gouvernement est Irma Eréndira Sandoval, professeure de droit, qui sera chargée d’organiser une lutte systématique contre la corruption au sein de l’Etat, dans un pays où le vol massif de fonds publics est pratique courante depuis plusieurs décennies.

Bien que les supporters d’AMLO soient souvent caractérisés par ses adversaires comme des « zombies », peu de Mexicains se font des illusions sur l’ampleur des difficultés qui attendent le pays. Il y aura des résistances au changement de la part de tous les acteurs habituels : les intérêts économiques bien ancrés, les commentateurs et intellectuels autoproclamés qui continuent d’attiser des soupçons quant aux intentions d’AMLO, mais aussi les organisations criminelles qui contrôlent des pans entiers du territoire et contribuent – avec les forces armées – à des niveaux extraordinaires de violence. En 2017, le Mexique a enregistré 26 573 meurtres, soit plus de 70 par jour.

Que deviendront les relations entre le Mexique et ses voisins du nord ? L’image médiatique de deux présidents « nationalistes » et « populistes » dressés l’un contre l’autre est une caricature. AMLO demande des relations de respect mutuel mais prévient que le Mexique ne sera la « piñata » (ou punching-ball) de personne. Ses réserves à propos de l’Alena – l’accord de libre-échange nord-américain, qui inclut également le Canada – ne sont pas les mêmes que celles de Trump. Les projets de Trump pour « protéger » certaines industries étatsuniennes ont déjà commencé à provoquer du désordre dans les chaînes transnationales de production. AMLO tentera pour sa part de protéger tout d’abord l’agriculture mexicaine, non pas comme simple geste d’affirmation nationaliste ou comme manière de répondre aux mesures de Trump, mais comme mesure de reconquête d’une autosuffisance dans la production alimentaire.

Sur le thème des flux migratoires, il pourrait y avoir une convergence paradoxale entre les deux gouvernements. Si Trump proclame depuis le début de son entrée en campagne en 2015 que les Mexicains et autres migrants du Sud ne sont pas les bienvenus, le gouvernement d’AMLO affirme sa volonté de prendre des mesures qui aideront les Mexicains à éviter l’émigration économique forcée. Cependant, la violation systématique des droits des migrants par les autorités étatsuniennes pourrait provoquer des conflits.

En somme, le chemin vers un autre avenir au Mexique n’a rien de simple. Néanmoins les forces progressistes ont toutes les raisons d’applaudir et de savourer une victoire majeure, démocratique et pacifique, qui peut servir de source d’inspiration pour les Amériques et au-delà. L’expérience sera à suivre en détail dans les mois qui viennent.