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Irlande: Raz-de-marée victorieux pour le droit à l’avortement

féminisme Irlande

Lien publiée le 4 août 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.inprecor.fr/article-Irlande-Raz-de-mar%C3%A9e%20victorieux%20pour%20le%20droit%20%C3%A0%20l%E2%80%99avortement?id=2165

Anne Conway est une féministe socialiste et anti-impérialiste, engagée depuis longtemps dans les campagnes pour les droits reproductifs en Irlande. Cet article a d’abord paru en anglais dans International Viewpoint, la revue en ligne de la IVe Internationale en langue anglaise : (Traduit de l’anglais par Yves Tripon).

L’abrogation de l’interdiction est passée avec une écrasante majorité des deux tiers, soit 66,4 % de Oui. Le peuple irlandais a déclaré par son vote que les moralisateurs hypocrites de la campagne « prolife » ne sont plus libres de juger et culpabiliser les femmes qui veulent décider de ce qui est le meilleur pour leur vie.

« Une victoire stupéfiante », c’est ainsi que j’ai décrit les résultats du référendum sur la suppression de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement, dans un article de l’Irish Times du lundi 28.

Ce ne fut pas une campagne douce et légère. Elle fut vicieuse malgré la minimisation par la campagne du Oui du comportement de beaucoup de ceux du camp du Non. Les sondages à la sortie des bureaux ont montré que 42 % des votants ont été influencés par les histoires personnelles des femmes. En lisant cela, j’ai été heureuse d’avoir raconté mon histoire d’avortement alors que j’étais une jeune femme (1). J’ai décidé de raconter mon histoire parce que j’étais fatiguée de l’intimidation et de la culpabilisation des femmes qui avaient avorté. De nombreuses personnes, particulièrement des jeunes femmes lors de la campagne, m’ont remerciée. Cela avait beaucoup d’importance pour elles d’entendre une femme d’une autre génération en parler.

L’ampleur du vote Oui

Ce à quoi nous assistons, c’est un changement radical. Une majorité, dans toutes les régions du pays, a voté pour l’abrogation sauf dans une circonscription électorale où la défaite a été très courte et il faut noter que cette circonscription connaît la migration des jeunes la plus élevée du pays. Dublin a voté à 75,46 % pour le Oui, et d’autres centres urbains étaient à plus de 72 %. Plusieurs quartiers populaires dublinois ont enregistré un massif 80 % en faveur de l’abrogation. La division urbain-rural s’est effondrée avec un 63 % pour le Oui.

Les résultats à travers le pays ont marqué un glissement décisif et les sondages à la sortie des bureaux par le RTE Behaviour and Attitudes ont montré un autre glissement spectaculaire : 84 % de ceux et celles qui avaient voté Oui ont dit qu’ils/elles l’avaient fait sur la base du droit d’une femme à choisir. Ce formidable glissement était confirmé chaque jour par les militant-e-s faisant du porte-à-porte : la raison qu’on leur donnait le plus souvent de voter Oui était de donner le choix à une femme face à un problème de grossesse.

Il y eut le spectacle émouvant dans les aéroports de jeunes irlandais rentrés pour voter, faisant le voyage depuis la Grande-Bretagne, l’Europe, l’Australie, le Japon et le Brésil juste pour voter. Ceci a démontré la passion en faveur de l’abrogation et que les gens étaient contre la persécution des femmes menacées de 14 années de prison pour avoir pris la pilule du lendemain, illégale, ou pour être allées en Grande-Bretagne pour un avortement.

Le contexte de la stupéfiante victoire

La mort de Savita Halappanavar, il y a presque six ans, à la suite du refus de l’autoriser à avorter après de multiples requêtes faites par elle et son mari, a donné lieu à des mobilisations de colère et au début d’un mouvement pour l’abrogation du 8e amendement de la Constitution. Sa mort tragique s’est produite dans un contexte où plusieurs autres femmes se sont vu refuser un avortement et ont été traînées devant les tribunaux au cours des deux dernières décennies.

Ces affaires ont déclenché une étincelle, et un dynamique mouvement de jeunes femmes a appelé à une manifestation, Strike4Repeall (grève pour l’abrogation totale), lors de la Journée internationale des femmes 2017, ainsi qu’à d’autres dates. Ça a été un grand mouvement, nombreux, militant et composé de jeunes femmes, dont beaucoup d’âge scolaire. Des marches ont eu lieu partout dans le pays, apportant une énergie nouvelle.

Un facteur important lors de ces mobilisations a été la désaffection des jeunes à l’égard de l’Église catholique et d’un État qui les avaient déçus. Les mobilisations MeToo en solidarité avec une femme victime d’un viol après que trois célèbres joueurs de rugby ont été acquittés et la colère globale concernant la violence faite aux femmes ont contribué à dynamiser le mouvement pour l’abrogation. Il y a eu un certain nombre de manifestations impressionnantes mais, à ce jour, il n’y a toujours pas de mouvement organisé de femmes.

La victoire massive du référendum sur le mariage pour tous en 2015 a donné aux femmes et aux groupes pro-choix, tels que la Abortion Rights Campaign (Campagne pour le droit à l’avortement), la détermination pour avancer en faveur de l’abrogation. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent le résultat raz-de-marée, ne serait-ce que la litanie des tortures et des abus subis par les femmes et les orphelins de la part des ordres religieux, des écoles professionnelles (2), des foyers mère-enfant ainsi que des abus sexuels par les les prêtres pédophiles, qui étaient déplacés et pouvaient continuer de violer d’autres enfants vulnérables, et l’Église refusant de payer des compensations à leurs victimes.

Un avenir pour l’Église catholique ?

Il y a eu un déclin massif de l’assistance à la messe et, à mesure que le dégoût des croyants face à la litanie des abus grandissait, ceux-ci ont abandonné l’Église. déstabilisée par le résultat du référendum, elle est confrontée à un scénario quelque peu apocalyptique. En 1983, lors du référendum qui avait inséré l’amendement dans la Constitution, la fréquentation de l’église était d’environ 80 %. Le changement radical est mis en lumière par les résultats du sondage à la sortie des bureaux de vote par la radio-télévision d’État RTE (3). Ce sondage a montré qu’à peine 12 % disaient que leurs opinions religieuses avaient une influence sur la manière dont ils votaient.

La raison pour laquelle cela s’est produit tient à la longue série d’abus d’enfants et de femmes confiés à ses soins, qui ont duré des décennies. De 1994 à aujourd’hui, une série de scandales d’abus d’enfants a montré le traitement cruel et inhumain par des ordres religieux contre des enfants et des femmes. Les révélations continues de brutalités dans les écoles professionnelles, les foyers pour mère-enfant gérés par l’église et, en 2014, les révélations que 796 bébés et jeunes enfants morts de maladie et de malnutrition, alors qu’ils étaient confiés aux soins d’ordres religieux, avaient été enterrés dans une fosse septique. 1 000 enfants avaient été envoyés pour des adoptions illégales aux États-Unis sans le consentement de leurs mères. D’autres avaient été utilisés pour expérimenter des médicaments et l’argent obtenu par ce trafic avait été siphonné pour financer des collèges privés sélectifs. Cette histoire brutale et les enseignements dogmatiques sur la sexualité des femmes et la reproduction, ont été fermement rejetés par l’électorat.

Leurs commentaires sur l’après-référendum sont une indication du degré d’éloignement de l’Église de la population. Juste deux jours après le référendum, un évêque, discutant des implications du référendum, pressait les « pêcheurs » ayant voté Oui de se rendre au confessionnal pour se repentir. Cela a provoqué un tollé. Une déclaration de l’archevêque d’Irlande demandait si les écoles catholiques « se consacraient à l’investissement que nous mettons dans le développement de la foi ». Il est allé jusqu’à dire que beaucoup verraient le résultat du référendum comme la preuve que l’Église était considérée avec « indifférence » et n’avait plus qu’un rôle marginal à jouer dans la société.

Tout ceci pousse à la crise et à ce que l’Église soit face à un dilemme complet quant à la façon dont elle va consolider sa base. 90 % des jeunes ont rejeté les diktats de l’église sur l’avortement et ont voté Oui. Le rapport entre l’Église et l’État s’est tendu. L’Église catholique a été la base solide du conservatisme par son contrôle des écoles et des grands hôpitaux, y compris les maternités. Elle les contrôle toujours, ce qui est un problème auquel la campagne doit s’attaquer prioritairement.

La campagne du Non

Une minorité très extrême dans le camp du Non est désormais bien organisée mais rejetée par une partie importante de la population. La campagne du Non est composée d’un certain nombre d’organisations bien financées. De nombreux groupes de cinglés se sont ralliés à elle, ils ont mené leurs propres opérations parallèles, ce qui a nui à la campagne du Non, mais la direction principale est venue de l’Institut Iona, un groupe catholique très conservateur, revendiquant le statut d’organisme de bienfaisance.

Les militant·e·s de la campagne pour le droit à l’avortement ont accusé la RTE d’avoir des rapports très chaleureux avec le camp du Non, car ceux-ci sont apparus dans tous les principaux programmes de radio et de télévision et ont été traités en prenant des gants. Il a été affirmé dans les médias que l’église catholique n’était pas impliquée dans la campagne, ce qui était manifestement faux. Dans les premiers temps, des militants du Non étaient invités à parler devant les fidèles au cours de la messe et, alors que cette pratique devait s’arrêter le jour précédant le vote, les prêtres continuaient à plaider en faveur du Non. Je suis allée voir comment ça se passait dans mon église locale et, au cours de la messe, le prêtre a lu la déclaration de l’archevêque appelant à voter Non devant l’assemblée de personnes âgées – on était le dimanche, veille du jour de vote. Personne ne sortit, mais la majorité des personnes âgées, à la sortie de l’église, refusèrent la littérature en faveur du Non proposée par un vieux monsieur. Lors d’une cérémonie de Première communion dans une ville rurale, des parents sont sortis quand le prêtre a commencé à parler du référendum. Les affiches sordides et le matériel financé par les groupes religieux d’extrême droite américains et britanniques ont contraint les gens qui menaient la campagne du Non à se distancier d’eux.

La campagne Ensemble pour le Oui

Together for Yes (Ensemble pour le Oui) fut le principal groupe menant campagne pour un vote Oui. C’était un amalgame de plusieurs organisations et partis politiques, dont les principaux partis gouvernementaux. Les militants clés du QG étaient des stratèges professionnels dont certains avaient travaillé dans des ONG ou pour le Parti travailliste (4) discrédité. Leur message visait la douceur, centré sur le thème Care, Compassion, Trust (soin, compassion, confiance). Sa publicité était édulcorée et obscure avec des affiches disant « Parfois une affaire privée a besoin d’un soutien public, Votez Oui ».

Cette approche a laissé de nombreux activistes sur le terrain mal à l’aise avec la campagne. Elle était centrée sur les sujets difficiles d’anomalie fœtale, de viol et d’inceste. Les militante·e·s, qui menaient le dur combat, pensaient que ce n’était pas suffisamment agressif, car cela ne répondait pas aux questions qui leur étaient posées lors du porte-à-porte. La réticence à mentionner le mot avortement était évidente et c’est seulement dans les derniers jours de la campagne que la question du choix pour les femmes fut posée. Les affiches et la littérature des deux principales organisations de gauche – Solidarity, People Before Profit (5) – et de Rosa (groupe de femmes socialistes) ont mis en avant le droit de choisir.

Les implications du vote pour le Nord

Le résultat raz-de-marée va centrer l’attention sur l’Irlande du Nord où l’avortement est toujours illégal. Le Parti unioniste démocrate (6), réactionnaire, est opposé à l’avortement. Le DUP, qui soutient Teresa May à Westminster, pourrait menacer d’abandonner les Tories (7) s’il y a pression pour l’extension du droit britannique à l’avortement en Irlande du Nord. Cependant, le DUP n’a pas prêché le feu et le soufre l’an dernier, comme c’est leur façon de faire sur les questions morales, quand il a été accordé aux femmes dans le Nord des avortements pris en charge par la sécurité sociale en Grande-Bretagne. Cependant, cela aurait peut-être été une autre affaire s’il s’était agi d’avoir des cliniques d’avortement opérant en Irlande.

La dirigeante du Sinn Fein (8), Mary Lou McDonald, a joué un rôle prédominant dans la campagne dans le Sud. Elle a promis de poser la question de l’avortement dans le Nord. Ce ne sera pas facile. Elle pourrait se joindre à des forces luttant déjà sur cette question et construire une vigoureuse campagne pour l’avortement, mais cela est quelque peu improbable étant donné la position peu ferme que le Sinn Fein a sur l’avortement et le dilemme que poserait l’effondrement de l’Assemblée du Nord pour ce parti.

Le fait qu’il ne s’empare pas de cette campagne dans le Nord a posé de sérieuses questions au Sinn Fein, car toute sa légitimité repose sur le succès du processus de paix et sur les arrangements de partage du pouvoir dans le cadre de l’Accord du Vendredi saint. Les unionistes bigots d’extrême droite n’ont pas accepté même des lois limitées concernant la langue irlandaise. Il est donc peu probable, étant donné leurs pieuses politiques obscurantistes anti-femmes, qu’ils n’élèvent pas une opposition concertée au fait d’avoir des cliniques d'avortement opérant dans le Nord. Idéologiquement, ils sont semblables à la campagne bigote du Non dans le Sud.

En tout cas, le vote raz-de-marée dans le Sud aura un impact majeur. Ce vote spectaculaire est particulièrement bienvenu étant donné le contexte international, où le populisme d’extrême droite est montant en Europe et où l’administration Trump impose des freins sur les droits à l’avortement aux États-Unis.

Et la suite

Le résultat a ouvert un espace où les femmes du Sud peuvent continuer leurs revendications pour des centres de soins de santé et d’avortement de qualité. Pour le moment, le niveau des services de santé et sociaux dépend de ce qui reste après le paiement de la dette bancaire. Les jeunes n’accepteront pas cet argument qu’il n’y a pas d’argent pour financer les services de santé et des soins de haute qualité pour les femmes subissant des interruptions de grossesse.

La récente remise à un ordre de religieuses d’un nouvel hôpital national de maternité est une énorme contradiction. Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour prendre le contrôle de la propriété. Le vote de l’abrogation visait à sortir l’Église de la vie reproductrice des femmes, mais nous avons là une preuve évidente du contrôle de l’État par l’Église.

Les jeunes militantes de la campagne pourraient être rapidement secouées par la confrontation avec la réalité de l’Église. L’intégration de l’État et la réalité de la Troïka ont imposé l’austérité. Une majorité des militant·e·s de la campagne ont moins de 30 ans. Elles et ils ont fait du porte-à-porte pour parler aux gens de tout âge à propos de l’abrogation et de la législation sur l’avortement, ils ont manifesté un grand courage, et les agressions subies de la part du camp du Non ont été un choc et un éveil. Le matériel et les affiches misogynes du camp du Non leur ont donné une vision de ce qu’est la droite catholique dure. Ils ont répondu en mobilisant, en rendant la campagne visible dans les rues aux feux rouges, dans les endroits très fréquentés. La réponse des automobilistes qui passaient était incroyable – un concert continu de klaxons et de poings levés.

Il était clair au cours de la dernière semaine de la campagne que nous assistions à une recrudescence du rejet de la vieille et cruelle hypocrisie pieuse qui a hanté l’Irlande depuis la fondation de l’État. L’organisme national supervisant Together for Yes à l’échelle nationale a été plutôt timide dans son approche de l’agressivité et des mensonges de la campagne du Non. Il y a eu de nombreux axes d’attaque que le camp du Oui n’a jamais repris, par exemple un porte-parole dirigeant du camp du Non avait défendu la guerre totale contre l’Iran et l’Irak il y a quelques années, ce qui fut alors couvert par les médias, mais il ne fut jamais interpellé sur ses références « pro life ». Un autre dirigeant défenseur du camp du Non était le porte-parole de l’un des évêques et, alors qu’il travaillait à ce poste, l’évêque couvrait des abus sexuels sur les enfants.

Dans la semaine qui a précédé le vote, l’ancien secrétaire général du congrès des syndicats irlandais (ICTU), depuis peu à la retraite, David Beggs, a appelé à voter Non, disant que ce sont des soutiens sociaux qui devraient être mis en place pour les femmes et les enfants. Des rumeurs le disent engagé dans la société secrète catholique Opus Dei. Étant donné que l’ICTU avait négocié des coupes budgétaires sans précédent dans la santé, l’éducation et les autres budgets sociaux et avait imposé le soutien du mouvement syndical aux mesures draconiennes d’austérité pour renflouer le système bancaire, son appel a eu peu, sinon pas du tout d’effet sur le résultat du référendum. La direction actuelle de l’ICTU a dénoncé l’attaque de Beggs quant à leur position de soutien à l’abrogation, mais pas son hypocrisie sur la question d’aides sociales pour les femmes et les enfants, parce qu’ils sont tous d’accord pour que les syndicats limitent leurs ambitions dans le cadre de la sauvage offensive d’austérité dictée par les institutions de l’Union européenne. Leur soutien aux droits des femmes est limité par leur soutien à l’offensive capitaliste.

Au fur et à mesure du développement de la campagne, l’énergie et l’enthousiasme étaient palpables. Des jeunes gens, qui n’avaient peut-être jamais parlé à des inconnus auparavant, débattaient de la difficile question de l’avortement avec des gens de tout âge. Leur énergie ne connaissait aucune limite, circulant souvent par groupes de 50 ou plus, marquant la visibilité de la campagne, et ils tenaient des stands d’information improvisés. Il y a eu beaucoup d’initiatives telles que Walk in Her Shoes March (marche dans les chaussures d’une femme) depuis le centre-ville jusqu’à l’aéroport avec de nombreuses femmes portant des valises pour représenter le trajet qu’au moins neuf femmes par jour font pour aller avorter en Grande-Bretagne. Ce fut une manifestation émouvante. Elle était organisée par le groupe socialiste féministe Rosa.

Ces activités étaient un pas en avant par rapport au travail dans les circonscriptions. Le caractère de la campagne est passé du simple vote à des revendications plus affirmées du droit des femmes à choisir.

Il y a une forte volonté de continuer à se rencontrer et s’organiser. Il faut maintenant organiser une conférence pour débattre de la législation proposée et des idées de la campagne pour mettre en œuvre le Oui et avancer plus loin. La campagne a beaucoup de travail à faire et doit se poursuivre, mais elle ne sera pas couronnée de succès si la nouvelle génération de jeunes militante·e·s reste à l’écart, comme des pom-pom girls encourageant des activistes aguerris.

Un service de qualité gratuit composé de médecin·e·s, infirmier·e·s et conseiller·e·s avec une formation spécifique dans le domaine est nécessaire. À l’heure actuelle, 17 % de la population en Irlande sont des migrants, dont une partie n’a pas le droit de voyager, tels les demandeurs d’asile, ce qui rend impérative la mise en œuvre rapide de la législation sur l’avortement. Les femmes ne pourront pas avoir le contrôle de leur vie si elles ne peuvent pas contrôler leur reproduction. Nous ne pouvons pas nous fier aux gouvernements capitalistes pour faire des changements pour nous. Nous devons compter sur nos propres forces pour combattre ensemble dans un mouvement de masse de femmes, incluant les femmes travailleuses et immigrées et recherchant des réponses socialistes révolutionnaires aux questions auxquelles nous sommes confrontées en tant que femmes.

Dublin 29 mai 2018

Anne Conway est une féministe socialiste et anti-impérialiste, engagée depuis longtemps dans les campagnes pour les droits reproductifs en Irlande. Cet article a d’abord paru en anglais dans International Viewpoint, la revue en ligne de la IVe Internationale en langue anglaise : (Traduit de l’anglais par Yves Tripon).

Notes

1. Irish Times 17 mai 2018 :

2. Nommées « Industrial Schools », ces écoles professionnelles ont été créées au XIXe siècle dans le cadre de la chasse aux pauvres très prisée à l’ère victorienne. Elles ont servi ainsi de lieux de formation d’une main-d’œuvre bon marché. Elles se développèrent en même temps que les maisons de redressement. Avec l’essor du machinisme, la sophistication du travail spécialisé et le développement du travail non spécialisé, elles devinrent de moins en moins utiles et passèrent de 71 en 1898 à une seule en 1917. L’Église catholique, qui la gérait, la ferma cette année-là. En 1922, après l’écrasement des forces révolutionnaires, le système fut relancé. Comme auparavant, l’État finançait et l’Église gérait. Durant des décennies, l’État ne chercha pas à s’immiscer ne serait-ce que dans la vérification des comptes. Les enfants devinrent ainsi une véritable vache à lait financière pour l’Église d’Irlande. Ils furent laissés à la merci d’ordres religieux plus soucieux de leur propre bien-être matériel que de compassion et d’éducation. Des enfants et des mères célibataires sont ainsi devenus esclaves sexuels pour frères et sœurs libidineux, travaillant pour toutes sortes d’activités économiques et étant objets de tests de vaccins. La relance de l’industrialisation ces dernières décennies a remis en cause la tutelle cléricale sur la population, qui s’est mise à contester les rapports Église-État, ce qui a conduit à la mise en place au début de ce siècle d’une commission d’enquête qui a révélé toutes ces pratiques scandaleuses.

3. Radio Télévision Irlandaise sous contrôle de l’État. Particulièrement réputée pour sa soumission au pouvoir.

4. Parti fondé par les révolutionnaires James Connolly et James Larkin en 1912, il est le seul à ne pas être issu du Sinn Fein. Il n’a plus rien à voir avec le combat de ses fondateurs. Comme tout parti social-démocrate, il s’efforce d’accompagner la régression capitaliste avec l’espoir de permettre des réformes sociales, qui ne viennent toujours pas. Il a subi une terrible défaite, passant en l’espace de quelques années de 19,7 % à 6,6 %.

5. Solidarity et People Before Profit sont deux organisations anticapitalistes ayant fusionné en 2017 pour des raisons d’alliance électorale, le système électoral irlandais permettant à des partis minoritaires d’avoir des élus. Elles forment donc une sorte de front dans lequel chacune garde une certaine autonomie. Elles sont aussi présentes dans le nord de l’Irlande.

6. Le Parti unioniste démocrate (DUP) est la principale organisation refusant la réunification de l’Irlande. Parti confessionnel, il a défendu longtemps l’apartheid religieux dans le nord de l’Irlande avant d’accepter les accords dits du Vendredi saint de 1998 et d’accepter de gouverner conjointement avec le Sinn Fein. Entretenant toujours la haine antinationaliste, il a fini par faire blocage à ce mode de fonctionnement, particulièrement face aux progrès du Sinn Fein, y compris dans des circonscriptions traditionnellement unionistes.

7. Le Parti conservateur et unioniste est un parti libéral-conservateur, de droite, fondé en 1834. Il est l'héritier des Tories l’un des deux groupes parlementaires britanniques à partir du XVIIe siècle et est nommé ainsi par la gauche. Ce parti, avec Teresa May à sa tête, dirige le gouvernement britannique actuel.

8. Sinn Fein (Nous-mêmes en irlandais) est un parti républicain indépendantiste fondé en 1920 dans le droit fil de l’insurrection de Dublin de 1916, unifiant alors toutes les organisations indépendantistes irlandaises. Après avoir remporté les élections, il forma le parlement irlandais et mit en place un système de double pouvoir réduisant à néant celui de la Grande-Bretagne, sauf dans le Nord. Quand le gouvernement britannique proposa une Irlande partitionnée avec un pouvoir étendu, mais faisant allégeance au roi, l’aile droite s’empressa d’accepter et quitta le parti. Armée par les Britanniques, elle fit un coup d’État, s’allia avec l’Église catholique jusqu’ici contre l’indépendance et déclencha une guerre civile qu’elle emporta, le Sinn Fein perdant le soutien de la population par son rejet de la formation des initiatives révolutionnaires agitant partout le pays, au nom de « l’unité de la nation ». D’autres scissions devaient suivre au fur et à mesure des abandons du rejet de la partition. Le Sinn Fein glissa ainsi progressivement à gauche, organisant la lutte contre les Chemises Bleues fascistes et créant la Brigade Irlandaise en Espagne. Après la guerre, il passa de plus en plus sous la coupe du PC et dans les années 1960 était devenu peau de chagrin. Le soulèvement de la population catholique face aux agressions de la police nord-irlandaise engendra une renaissance sous le nom de « provisoire ». Il acquit, tout le long des « Troubles », une place hégémonique finissant par supplanter les sociaux-démocrates du SDLP. Son discours est toujours resté très « gauche » et défend les droits des travailleurs, des immigrés et des femmes, même si son caractère nationaliste et le poids de l’idéologie catholique imposée par l’apartheid l’amène à des positions parfois contradictoires, du moins ambiguës. Il ne cesse de progresser électoralement dans le Nord, y compris dans des zones traditionnellement unionistes avec près de 30 % des voix, ainsi que dans le Sud avec un peu moins de 14 %.