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Nicaragua. Les raisons d’Etat ne sont pas les raisons des peuples
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Onofre Guevara Lopez
Les manifestations de solidarité avec la dictature de Daniel Ortega et de sa famille ont été récemment exprimées lors du Forum de São Paulo, qui s’est réuni à La Havane et s’est clôturé le mardi 17 juillet. Le Forum est né en 1990 au Brésil, composé de partis et de mouvements sociaux de gauche, à l’initiative de Fidel et Lula, pour promouvoir l’unité des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes dans la lutte pour la souveraineté, l’indépendance économique et politique face à l’hégémonie nord-américaine traditionnelle, exercée en complicité avec les gouvernements de droite et leurs politiques néolibérales.
Après vingt-huit ans de processus complexes de lutte entre les forces conservatrices et les mouvements progressistes – avec des hauts et des bas de victoires et de défaites – leurs dirigeants actuels n’ont pas été en mesure de séparer le bon grain de l’ivraie dans cette unité des partis et des mouvements sociaux de diverses nuances de gauche.
Les réalités concrètes de chaque pays restent mutuellement inconnues, ce qui est confirmé par ces déclarations de solidarité avec le gouvernement de Daniel Ortega (l’ivraie au sein de la gauche) qui est supposé être victime de l’agression impériale et la droite interne. Ils font fonctionner le «petit catéchisme» et le récitent tombant ainsi dans une application mécanique du discours idéologique sans la moindre analyse des réalités concrètes de chaque pays, se séparant ainsi davantage de la dialectique marxiste et la contredisant avec leur pratique.
Ils le confirment par leur soutien à la politique répressive et criminelle d’Ortega, ce qui signifie le mépris de la vie de nos étudiants, des jeunes travailleurs urbains et des paysans. En outre, ils les victimisent une fois de plus en leur appliquant des épithètes blessantes tels que «droitiers», «putschistes», «terroristes» et «vandales». Ce sont des termes avec lesquels le gouvernement Ortega et ses sbires cherchent à ternir l’image de nos jeunes, alors qu’en réalité ils tracent ainsi leur propre portrait.
Nous entrons dans le quatrième mois de terreur orteguiste pratiquée avec sa police – dont la direction appartient de facto au binôme Ortega-Murillo –, une armée illégale de paramilitaires et une armée officielle, prétendument impartiale, faisant la sourde oreille.
S’il était vrai qu’Ortega serait attaqué par des terroristes, comment qualifient-ils les étudiants, et si ces derniers étaient armés que se passerait-il? Des quelque quatre cents tués, des milliers de blessés, des centaines de kidnappés et torturés, au moins la moitié devrait être des membres de sa police et de ses paramilitaires. Mais il fait face à un peuple désarmé… Ce sont les enfants, les jeunes étudiants et les travailleurs qui constituent la très large majorité des morts!
Tout est consigné dans des vidéos, des images sur les TV, des témoignages de membres des familles, de voisins et d’observateurs d’organisations internationales. Il n’est pas rare que le gouvernement Ortega prétende que ces organismes sont composés de gouvernements de droite et de gouvernements pro-américains, ce qui est souvent vrai. Personne, à gauche ou à droite, ne doute que les Etats-Unis, par l’intermédiaire de l’USAID et d’autres agences, poursuivent leurs objectifs politiques. Mais est-ce pour cela que le peuple nicaraguayen va refuser une aide et continuer d’être assassiné par Ortega tant que cette dictature despotique le veut?
Onofre Guevara Lopez
Ou faut-il remercier ceux du Forum de São Paulo pour leur solidarité avec le bourreau parce qu’ils le considèrent comme «de gauche»? Et serait-ce parce que la mort a été infligée par «un homme de gauche», que leurs familles seraient moins affligées par l’assassinat, l’emprisonnement, la torture et la persécution de leurs enfants? Il y a plus de quarante ans, la mort de nos enfants nous fait encore souffrir, bien s’ils soient morts au combat les armes à la main [contre la dictature de Somoza]. Et pourquoi cela serait différent pour nos enfants qui, aujourd’hui, ont été tués alors qu’ils ne se défendent qu’avec des pierres, des frondes et des drapeaux du pays?
Si la solidarité de Cuba et du Venezuela avec Ortega l’est pour des raisons d’Etat, ses actes criminels cesseraient-ils d’être des crimes contre l’humanité? Non. Et cela ne cesserait pas d’être des actes contraires à l’éthique et immoraux… Et pour quelles raisons oublieraient-ils les raisons et les droits de l’homme de notre peuple?
La plupart des partis et mouvements du Forum de São Pablo identifiés comme étant de gauche (mais opportunistes et dogmatiques) seraient-ils favorables à la reproduction des comportements et politiques dictatoriaux, antipatriotiques et corrompus appliqués par la dictature d’Ortega depuis vingt-huit ans? Ce que je résume ici.
• Abandon des principes de la révolution, destruction du mouvement original et création d’un appareil politique à son service.
• Ne pas mener une opposition révolutionnaire au néolibéralisme et à ses politiques anti-populaires, mais promouvoir les incendies de mairie et les activités de sabotage pour préserver l’image du leader «révolutionnaire».
• Faire un pacte avec un politicien de la mafia libérale [Arnoldo Alemán], partager les ambitions de pouvoir en marge du peuple et se répartir les postes de l’appareil judiciaire et les ministères de l’Etat.
• Réformer la Loi électorale pour marginaliser d’autres forces politiques, monopoliser la politique électorale et abaisser le pourcentage électoral à 35% pour gagner la présidence, au lieu de 50% plus un.
• Atteindre le pouvoir avec seulement 38% des voix, jeter l’allié mafieux en prison, profiter de ses crimes pendant sa présidence [Arnoldo Alemán: 1997-2002], le libérer, puis exercer un chantage à son égard le menaçant de la prison pour une durée plus longue, afin de le forcer à collaborer politiquement.
• Utiliser son contrôle du pouvoir judiciaire pour prescrire le procès pour le viol de sa belle-fille [Zoilamérica Narváez Murillo; elle soutient depuis le Costa Rica la rébellion civique], attribuer des quotas de pouvoir à sa femme en échange de sa complicité et expulser la victime du pays.
• Ne pas inclure dans le budget général de la République l’argent de la coopération vénézuélienne et commencer à s’enrichir lui-même et sa famille.
• Redessiner les armoiries nationales de façon caricaturale, à l’usage du papier à en-tête de l’Etat, en se moquant de la Constitution politique.
• De signer un accord pour un canal transocéanique avec un millionnaire chinois, en tant qu’entreprise privée, dans des conditions encore plus préjudiciables à la souveraineté et à l’environnement que le pacte Chamorro-Bryan de 1914, signé sous le «poids» de l’intervention militaire des Etats-Unis [pacte signé en août 1914, ratifié en 1916, entre le secrétaire d’Etat William Jennings Bryan et le général Emiliano Chamorro Vargas, un pacte qui assurait aux Etats-Unis les moyens d’une «protection» du canal de Panama et le droit de propriété sur un possible canal transocéanique au Nicaragua; les troupes états-uniennes ne quittent le Nicaragua qu’en 1933; le pacte sera révoqué en 1970].
• Réformer illégalement la Constitution politique pour répondre à leurs ambitions et assurer une réélection pour une durée indéterminée.
• Réaliser des élections (municipales et présidentielles) en faisant usage du mensonge et de la fraude, avec le contrôle d’une machine électorale grâce à des magistrats corrompus, payés en toute impunité.
• Faire fortune dans l’ombre du pouvoir, devenir millionnaire, s’allier aux grandes entreprises, se conformer aux règles du FMI et de la BM, et co-légiférer avec elles pour se garantir les bienfaits du néolibéralisme.
• Monopoliser les médias, la radio et la télévision, avoir la main sur la communication de l’Etat, ne pas donner accès (selon la loi) aux médias indépendants à l’information publique et les censurer.
• Contrôler les commandements de la Police et de l’Armée, ainsi que disposer d’une armée privée de répression [les «forces paramilitaires»] pour punir ceux qui osent protester.
• Perpétuer le discours «révolutionnaire» et «anti-impérialiste» pour gagner la solidarité de la gauche internationale.
• Après l’annulation de l’ordre constitutionnel dans la pratique, l’adoption de lois «antiterroristes» à appliquer contre ceux qui s’opposent à la dictature.
• Est-ce l’orteguisme sans Ortega, le modèle politique qu’ils [ceux du Forum de São Paulo] aimeraient pour leurs pays et contre leurs peuples, au nom de l’anti-impérialisme?
Si c’est le cas, restez solidaire avec Ortega… mais n’attendez pas le pardon du peuple nicaraguayen! (Article publié dans Confidencial le 24 juillet 2018; traduction A l’Encontre)
Onofre Guevara Lopez, ex-parlementaire du Conseil d’Etat et de l’Assemblée nationale pour le FSLN (1981-1991); ex-responsable de la page éditorial de Barricada (1981-1995), ex-collaborateur de El Nuevo Diario (1995-2012) et actuellement contribue à la publication Confidencial.