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L’Algérie face à la disparition annoncée de Bouteflika
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://mondafrique.com/lalgerie-face-a-la-disparition-annoncee-de-bouteflika/
Alors que la disparition d’Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, atteint d’un cancer du poumon en phase terminale et maintenu artificiellement en vie selon l’ancien directeur général de la DGSE [1] peut être annoncée à chaque jour qui passe, l’Algérie sera-telle capable de vivre une transition démocratique normale? Riien n’est moins sur.
Une chronique de Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
La question de la transition politique en Algérie se pose avec une acuité particulière. L’affrontement entre les clans qui se partagent aujourd’hui le pouvoir, et qui est commencé depuis 2015, débouchera-t-il sur une succession à la cubaine qui ne peut être envisagé qu’avec le soutien de l’armée ? Ou bien le processus démocratique prévu dans la Constitution pourra-t-il être respecté ? Ou bien encore va-t-on assister à la déstabilisation de ce pays, sous la pression de la moitié des 41 millions algériens qui ont aujourd’hui moins de 20 ans et qui n’ont pas connu la guerre civile des années 90. S’opposeraient à cette succession à la cubaine que l’on voit se dessiner aujourd’hui en descendant dans la rue ?
Dans cette hypothèse, devons-nous craindre une augmentation de la pression migratoire vers la France où le nombre de Français ayant un lien direct avec l’Algérie avoisine déjà les sept millions?
Une transition à la cubaine préparée méthodiquement pas le clan Bouteflika
La Constitution algérienne prévoit qu’à la mort du chef de l’Etat ou en cas d’empêchement [2], le président du « Conseil de la nation » assume la charge de Chef de l’Etat pour une durée de quatre-vingt-dix (90) jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Le président actuel du Conseil de la nation est Abdelkader Bensalah qui est en poste depuis 2002 et a été réélu le 9 janvier 2013.
Il est notoire à Alger que deux forces ont commencé à se battre: le clan présidentiel, animé par le frère du chef de l’Etat, Saïd Bouteflika d’une part, et l’Etat-major militaire, avec à sa tête le vice-ministre de la Défense depuis 2013, Ahmed Gaïd Salah qui soutiendrait le processus constitutionnel, d’autre part. Ces deux clans s’étaient pourtant alliés en 2015 pour écarter le général Mohamed Mediène, dit « Toufik », le puissant chef du DRS (services secrets algériens), considéré comme le véritable maitre de l’Algérie depuis un quart de siècle et placé la DRS sous le contrôle le Département de Surveillance et de Sécurité (DSS) avec à sa tête Athmane Tartag. On dit à Alger qu’il soutient la candidature de Said Bouteflika à la fonction de chef de l’Etat. Mais jusqu’à quel point ? A quelles conditions ?
Depuis lors ces deux clans cherchent à placer leurs fidèles à la tête des rouages essentiels du pays.
Dans cette lutte, le clan Bouteflika avait essayé, jusqu’ici sans succès, d’ôter au chef d’Etat-Major de l’armée de terre les moyens de renseignement opérationnel et les forces spéciales. Ainsi, il avait échoué en 2017 à mettre à la retraite le Général Lakhdar Tirèche, qui dirige sous la tutelle d’Ahmed Gaïd Salah [3], la Direction centrale de sécurité de l’armée (DCSA) et à le remplacer par un homme du Président. Il semble avoir atteint son but en aout 2018 en nommant à la tête de la DCSA le général Belmiloud Othmane, alias Kamel Kanich qui dirigeait jusque-là le Centre principal militaire d’investigation (CPMI). De plus trois des généraux commandants les 1ère, 2ème et 4ème régions militaires viennent d’être remplacés en aout 2018. Ces limogeages visent à affaiblir le pouvoir du Général Ahmed Gaïd Salah. Bien heureux celui qui peut certifier de leur efficacité !
Le départ à la retraite au printemps 2019 du Général de corps d’armée Ahmed Gaid-Salah aurait été décidé par Saïd Bouteflika qui voudrait le remplacer par le général-major Saïd Bey, qui vient de quitter le commandement de la 2ème région militaire à Oran. Tous ces mouvements font penser aux observateurs algériens que Saïd Bouteflika a gagné et qu’une succession à la cubaine avec l’appui de l’armée est l’hypothèse la plus probable.
Ahmed Gaïd Salah, garant de la sécurité du pays ?
Pour d’autres analystes, Ahmed Gaïd Salah Salah [4], 77ans, un Chaoui des Aurès, serait le garant du processus démocratique, voire, en cas de troubles, comme un Président de transition. Ce qui est clair en revanche, c’est que depuis sa nomination en 2013, ce général n’a cessé d’étendre son influence et notamment le champ d’intervention de la Direction centrale de la sécurité des armées (DCSA), qui tend à devenir un véritable DRS bis. Il fait régulièrement le tour des grandes régions militaires pour resserrer ses liens avec les six chefs des régions militaires, qui tiennent dans leurs mains l’ordre public en cas de troubles ou de terrorisme. Or la majorité les observateurs s’accordent à penser que ces généraux sont fidèles à leur chef, le général Gaïd Salah, ce qui expliquerait les trois changements récents à la tête de trois régions militaires décidés par le clan Bouteflika.
Plusieurs faits font penser que le Général Gaïd Salah ne souhaite pas prendre le pouvoir mais qu’il s’opposerait à une succession à la cubaine, notamment parce que les deux principaux candidats à la succession d’Abdelaziz, autres que son frère Saïd, sont comme lui originaire des Aurès.
Les candidats potentiels
Dans l’hypothèse où le processus constitutionnel se déroulerait et qu’une situation exceptionnelle ne s’opposerait pas à la tenue des élections présidentielles, trois candidats semblent se détacher.
Le premier, Said Bouteflika, universitaire de formation, est né le 1er janvier 1958 à Oujda (Maroc) [5]. Elevé par Abdelaziz, il constitue sa garde rapprochée et se prépare à lui succéder. Il est soutenu par tous ceux qui profitent du système et qui n’ont pas envie de le voir évoluer mais il est détesté par la rue algérienne. Ses chances pour être élu dans une élection qui ne serait pas truquée ne sont pas évidentes.
Deux autres candidats semblent être en bonne position pour l’emporter
Le premier Ali Benflis est né le 8 septembre 1944 à Batna. C’est un ancien ministre de la Justice, il a été chef du gouvernement de 2000 à 2003. Il a été candidat aux élections présidentielles de 2014 où il a obtenu 12,3% des voix. Ali Benflis est le président du parti Talaie El Houriat qu’il a créé en 2015. Son âge est à la fois un atout et un handicap en fonction du taux de participation et notamment de celle des jeunes qui boudent traditionnellement les urnes.
Le second des challengers est Abdelaziz Belaïd [6], 55 ans. Il est né le 1963 au cœur des Aurès à Merouana (anciennement Corneille). Candidat aux élections présidentielles de 2014. Il a obtenu 3% des voix devançant tous les autres candidats vieux routiers de la politique algérienne. Son atout est sa jeunesse, son handicap son peu d’expérience de la vie politique.
L’atout de la réduction du déficit commercial sous l’effet de la hausse de l’énergie
L’économie de l’Algérie se résume en un mot : la Sonatrach. Les hydrocarbures représentent, en effet, l’essentiel des exportations (94,5%) en s’établissant en 2017 à 29,47 mds$ contre 25,64 mds$ sur la même période de 2016, soit une hausse de 3,8 mds$, correspondant à une augmentation de près de 15%. Les exportations ont ainsi connu les 11 premiers mois de 2017 une hausse de 14%, en s’établissant à 31,2 milliards de dollars contre 27,2 mds$ durant la même période de 2016. En conséquence, le déficit de la balance commerciale de l’Algérie, étroitement corrélé aux cours du brut a reculé en 2017 à 11,19 milliards de dollars contre un déficit de 17,06 milliards de dollars en 2016, soit une baisse de 5,87 milliards de dollars correspondant à un recul de 34,4%.
Avec une dette publique autour de 20% du PIB (France 100%), l’évolution à la hausse du cours du brut devrait donner dans les prochaines années, s’il le souhaite, les marges de manœuvre nécessaires à l’Etat pour distribuer du pouvoir d’achat et éviter, comme lors du « printemps arabe », d’avoir à faire face à un soulèvement général [7].
En conclusion
Au-delà des personnalités de Saïd Bouteflika, d’Ali Benflis et d’Abdelaziz Belaïd, deux régions voire deux cultures s’opposent celui des arabes oranais contre les « chaouis », berbères, des Aurès de la région de Batna. La disparition dans les prochaines semaines d’Abdelaziz Bouteflika, en cours de mandat, devrait faire entrer l’Algérie dans un processus prévu par la Constitution qui conduit à l’organisation d’une élection présidentielle au maximum 90 jours après sa disparition sous l’autorité du président du « Conseil de la nation » qui assume durant cette période la charge de Chef de l’Etat.
La constitution ne permet pas une succession à la cubaine où Saïd prendrait la place de son frère sans se soumettre au vote populaire. Mais que le clan au pouvoir tente de s’y maintenir en violant la Constitution est probable. Il est aussi probable que dans ce cas la rue se soulèverait et que le général Gaïd Salah ferait tout ce qu’il peut pour maintenir le calme dans le pays et permettre des élections libres. Nous ne pouvons que souhaiter l’occurrence de ce scénario plutôt positif qui éloignerait les risques d’une guerre civile et d’une pression migratoire accrue sur notre territoire.
; target="_blank">Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
Auteur de ; target="_blank">« Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017
[1] ; target="_blank">Geopolis.
[2] Constitution algérienne 2016 Art 102 Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du Président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) et charge de l’intérim du Chef de l’Etat, pour une période maximale de quarante-cinq (45) jours, le Président du Conseil de la Nation.
[3] Né en 1940 à Aïn Yagout dans la Wilaya de Batna en Algérie dans l’Aurès (région berbère amazigh majoritairement chaouie), Salah est maquisard à l’âge de 17ans, il est également diplômé de l’Académie militaire d’artillerie Vystrel (URSS).
[4] Son père Ahmed meurt alors qu’il a un an ; il est donc élevé par sa mère sous la tutelle de son frère Abdelaziz, et par là de Houari Boumédiène qui prend le pouvoir par un coup d’État en 1965. Il est élève au collège Saint-Joseph des Frères des écoles chrétiennes à El-Biar (Alger), puis au lycée tenu par les jésuites. Il arrive à Paris en 1983 afin de préparer un doctorat en informatique. Il est titulaire d’un doctorat de 3ème cycle de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI) sur la reconnaissance des formes, domaine dans lequel il soutient sa thèse.
[5] Il est titulaire d’un doctorat de médecine et d’une licence en droit. En 1986, il adhère au FLN et devient le plus jeune membre du comité central. Député de 1997 à 2007, il est élu secrétaire général de l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA). Suite à de nombreux désaccords avec la direction du FLN, il quitte le parti pour fonder le Front El Moustakbal; Le FM s’engage à une action politique dans le respect de la constitution et des lois de la république algérienne.
[6] En 2012 les réserves de change de l’Algérie étaient d’environ 200 milliards de dollars avec une dette publique inférieure à 9% du PIB ce qui a permis au gouvernement de s’acheter comme en Arabie Saoudite une pause civile en distribuant massivement de subventions.