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    Le capitalisme est "l’ennemi à abattre"

    écologie

    Lien publiée le 8 novembre 2018

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://reporterre.net/Le-capitalisme-l-ennemi-a-abattre

    Rappelant l’urgence de s’émanciper du capitalisme, qui engendre la destruction des conditions de vie sur Terre, Pierre Madelin, dans son essai « Après le capitalisme », propose des réponses mesurées et radicales, en s’appuyant notamment sur l’écologie politique libertaire.

    Pierre Madelin désigne le capitalisme « comme l’ennemi à abattre » puis se propose d’examiner les « possibilités “révolutionnaires” (au sens politique du terme) du présent », différentes stratégies et scénarios. Il prévient d’emblée : « Toute réflexion politique se voulant radicale mais ignorant la question écologique se condamne au ridicule, et toute écologie politique réformiste ou “environnementaliste” qui se limiterait, par exemple, à mettre en place des politiques de protection de la nature se condamne à l’impuissance. »

    S’appuyant sur les études de penseurs contemporains, il distingue trois limites à la reproduction du système capitaliste :

    • Une limite interne qui le condamnerait à disparaître car comme le résume Anselme Jappe : « La logique du capitalisme tend à “scier l’arbre sur lequel elle repose” » ;
    • Une limite externe ou écologique, qui peut se résumer ainsi : « Une croissance infinie est impossible dans un monde fini. »
    • Une limite anthropologique. Si le capitalisme, supposé reposer sur une société dans laquelle les individus ne seraient plus liés que par l’intérêt, est toujours vivant, c’est paradoxalement parce que sa reproduction a été soutenue par l’altruisme, le sens de la coopération et l’entraide. Mais sa puissance corrosive continue de « ronger » ces rapports « a-capitalistes » en produisant des rapports « dé-socialisants ».

    Si ces contradictions permettent de penser à la possibilité d’un effondrement du capitalisme, il ne faut pas négliger sa capacité « à prospérer sur ses propres ruines ». Une nouvelle offensive du capital est en cours, nouvelle « vague d’enclosures » de ressources communes avec le brevetage du vivant. « Il ne nous appartient pas de renverser le capitalisme (puisque celui-ci s’en charge lui-même), mais il nous appartient de “préparer le terrain” pour faire en sorte que les sociétés post-capitalistes soient émancipées de l’État, du patriarcat ou de toute autre structure de domination. »

    « Réorienter la démocratie en tenant compte des limites écologiques de la Terre » 

    Le principe du capitalisme est de priver les individus de leur capacité à satisfaire leurs besoins (passage de la propriété usufondée à la propriété fundiaire [1]) pour les forcer à le faire par la médiation du marché. Sous sa forme moderne, la séparation du travailleur avec ses moyens de production ou de subsistance s’est étendue à ses moyens de locomotion, de cognition, d’habitation, de reproduction. L’opposition au capitalisme s’élargit et dépasse les appartenances de classe, au nom d’un « choix politique contingent face à une situation singulière », en opposition à un projet écocide par exemple.

    La crise écologique impose de prendre des décisions politiques radicales contraires aux intérêts du capitalisme. La transition écologique, si elle n’est pas accompagnée d’une transition politique, ne servira qu’à augmenter les inégalités et renforcer la domination des élites dirigeantes sur la société. Au nom du « capitalisme vert », EDF et d’autres entreprises ont recouvert l’isthme de Tehuantepec, dans le sud du Mexique, du plus grand champ éolien des Amériques, mais seulement 22 % de l’énergie « propre » produite alimentera des particuliers et le secteur public, 78 % seront destinés aux entreprises privées, comme Walmart et Coca-Cola. Pour Pierre Madelin, « un mot d’ordre s’impose donc : décroissance énergétique ou barbarie ! »

    Village près d’un parc éolien dans l’État mexicain d’Oaxaca.

    À propos de la croissance démographique, il explique que l’« espèce humaine » n’est pas en cause mais davantage « le mode de vie adopté par les élites, qui n’est ni durable ni universalisable ». Il faut donc « sacrifier l’égalité sur l’autel de la croissance économique » ou bien « réorienter la démocratie en tenant compte des limites écologiques de la Terre ».

    Il consacre un chapitre au rôle que pourraient jouer les animaux dans une société post-industrielle, dénonçant la légitimité de la notion de « contrat domestique » et envisageant une profonde mutation de l’élevage avec un usage des animaux n’impliquant ni leur mort ni leur exploitation.

    « La propriété privée et la propriété étatique ne sont que les deux faces d’un même processus de dépossession » 

    Si nous savons quelles solutions, quelles pratiques sociales et économiques permettraient d’assurer la transition écologique — de la suppression de l’obsolescence programmée à celle de l’agriculture intensive —, nous savons que le « système », qui en est parfaitement capable, n’en a aucunement l’intention. L’État moderne est le pendant politique du capitalisme, une variante dans la gestion de l’accumulation du capital, et même l’État-providence ne s’oppose que superficiellement à lui. « La propriété privée et la propriété étatique ne sont que les deux faces d’un même processus de dépossession. » Il faut admettre que nous ne vivons pas dans des démocraties mais dans des « oligarchies libérales », qui octroient à l’individu des droits et des libertés mais l’empêchent de participer effectivement au pouvoir et aux grandes décisions politiques. « Il n’y aura pas de sortie du capitalisme sans sortie du régime représentatif, car c’est fondamentalement au nom des exigences du premier que le second s’est imposé. »

    Selon les philosophes du contrat social, le monde est régi par une métaphysique de l’ordre. Toutes les entités, les atomes comme les individus, sont incapables de s’organiser entre eux et ont besoin d’une extériorité fondatrice pour s’ordonner et se pacifier, les lois de Newton ou celles de l’État. La philosophie de l’écologie et l’anthropologie politique du socialisme libertaire prétendent au contraire que « les individus sont en mesure de s’organiser conformément à une puissance qui leur est immanente, sans devoir nécessairement s’aliéner, pour ne pas sombrer dans la guerre et le chaos, à la transcendance de l’État »« Aucun élément du monde n’a d’existence en soi. […] À l’interdépendance des éléments et des êtres du monde répond l’interdépendance quasi ontologique des humains en société et, au-delà, l’interdépendance de la société des humains et du monde lui-même. »

    Un mal invisible suscité par ce que Günther Anders a nommé le « décalage prométhéen » provoque « des effets délétères sur la capacité des êtres humains à être des agents moraux responsables, dans la mesure où il ne leur permet pas de se représenter les effets de leurs actes, qui s’insèrent dans des mécanismes gigantesques ». Pour y remédier, il suffirait d’associer à la décentralisation et à la relocalisation de l’économie celle de la pratique politique. C’est précisément ce que propose John Holloway avec sa « théorie des brèches » : « changer le monde sans prendre le pouvoir », « créer une contre-société écosocialiste au sein même du monde dominé par le capitalisme ». Pierre Madelin cite en exemple l’idéal libertaire des communautés utopiques, des phalanstères fouriéristes aux caracoles zapatistes et aux Zad, en passant par les communautés de la contre-culture fondées dans les années 1960, tout en mettant en garde contre le danger de l’isolement et celui de négliger l’affrontement avec le capitalisme sur son propre terrain.

    La souveraineté alimentaire des sociétés paysannes garantit leur autonomie politique

    En réponse à la question de l’échelle, il apporte, comme à toutes les questions, une réponse mesurée, critiquant « l’inflation tentaculaire et cancéreuse » de la ville mais en rappelant que Bernard Charbonneau avait mis en évidence comment « l’extension du groupe, en relâchant la pression sociale, avait donné naissance aux processus d’individuation, créant ainsi des foyers de savoir, de créativité intellectuelle et artistique, de cosmopolitisme », avait permis la naissance de la liberté, bien que celle-ci, pour survivre, devait désormais quitter les villes. Les mouvements politiques aujourd’hui source d’inspiration dans la lutte contre la tyrannie capitaliste reposent précisément sur des sociétés paysannes. Leur souveraineté alimentaire garantissant leur autonomie politique. Il préconise ensuite une articulation des pratiques locales d’autogouvernement dans une confédération de communes et de quartiers autonomes, pratiquant un « fédéralisme ascendant ». Il invite à radicaliser et approfondir la démocratie.

    En conclusion, Pierre Madelin considère la situation désespérée et désespérante. Il est conscient que l’occultation des prises de conscience et des dénonciations précoces des risques et des nuisances, de la part des puissants de ce monde, prouve qu’ils n’ont pas déréglé et détruit les écosystèmes par inadvertance. Pierre Madelin distingue deux scénarios possibles : un effondrement économique accompagné d’un renforcement de l’État, adoptant une « gestion écototalitaire des ressources et des populations », ou alors un effondrement de l’État accompagnant celui de l’économie, soit au profit de forces armées paraétatiques de type mafieux ou terroriste, soit en laissant les populations s’autoorganiser. Ces deux dernières options pouvant cohabiter, comme les cartels de la drogue et l’EZLN (l’Armée zapatiste de libération nationale) au Mexique, Daech et les populations autoorganisées du Kurdistan, en Syrie.

    La synthèse est époustouflante. Pierre Madelin, s’appuyant sur les analyses de nombreux penseurs, parvient à résumer de façon très nuancée les contradictions auxquelles nous sommes confrontés, à dessiner les lendemains possibles, à esquisser concrètement des propositions de changement de paradigme.


    • Après le capitalisme. Essai d’écologie politique, de Pierre Madelin, éditions Écosociété, mars 2017, 152 p., 13 €.