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En Algérie, la lutte populaire est aussi une lutte environnementale
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Après sept semaines de mobilisation massive et non violente de la population algérienne, le président Abdelaziz Bouteflika a démissionné le 2 avril. L’élection présidentielle a été fixée au 4 juillet. L’autrice de cette tribune explique que cette révolte prend racine dans de multiples luttes locales à portée écologique et sociale.
La crise révolutionnaire qui ébranle le régime algérien n’a rien d’une tempête dans un ciel serein. Elle survient dans un pays où les luttes ont été quotidiennes l’année passée et les précédentes contre la hogra, c’est-à-dire pour la dignité. Sous ce terme, on retrouvera quantité de luttes à portée environnementale, ou écologique, dans lesquelles les citoyens entendent au niveau local améliorer leur quotidien. La principale revendication des populations concerne l’eau potable ou l’eau d’irrigation, absente, coupée, polluée ou trop chère. Vient ensuite celle de l’assainissement manquant, de la collecte des ordures, de la dénonciation de la pollution des rivières et des fontaines, et de la pollution par l’amiante de bâtiments, dont des écoles. Elles se mobilisent contre les entreprises polluantes (engrais, bitume, huilerie, cimenterie, aluminium, centrale électrique), des projets de barrages, des relais de téléphonie mobile ou encore contre les centres d’enfouissement de déchets (CET), qui polluent à leur tour terres et rivières. Ces luttes sont menées par les habitants, notamment par les femmes.
Les méthodes employées, quand ont échoué, presque toujours, les tentatives classiques de lettres ou pétitions, sont les manifestations de rue devant les administrations concernées (Algérienne des eaux) ou les assemblées populaires communales ou les sièges de daïra(1), mais aussi la fermeture de ces derniers, avec parfois la fermeture de marchés hebdomadaires, de décharges, de vannes de barrages ou d’écoles dangereuses. Et, surtout, le blocage des routes et chemins, avec force barricades et pneus brûlés.
CES LUTTES À PORTÉE ENVIRONNEMENTALE SONT DES LUTTES SOCIALES
Les effets du dérèglement climatique ont leur traduction en matière de revendications nouvelles, les habitants dont les logements ont été détruits ou endommagés par des séismes, incendies ou inondations entraînant souvent la remontée des égouts, exigent des autorités réfection et dédommagements en matière de relogement immédiat. Quant aux périodes de fortes chaleurs, elles entraînent de nouvelles formes de mobilisations, et de nouvelles revendications, comme la fourniture et la gratuité de l’électricité dans des zones où la climatisation est généralisée, ainsi que de repenser la journée de travail, le boycott de loisirs jugés déplacés au regard des urgences.
Ces luttes sont locales, atomisées, et dépassent rarement le cadre de la commune ou de la daïra, il faut remonter à la victoire de la population de In Salah contre le gaz de schiste en 2015 pour qu’une lutte ait acquis une dimension nationale. Hormis les habitants, ce sont aussi les parents d’élèves et les élèves qui font la grève pour cause d’absence d’eau, d’hygiène, de présence d’amiante, quand ils ne ferment pas les écoles, les professeurs (déchetterie devant une école, absence d’eau ou de toilettes), les étudiants (pour exiger une passerelle à la suite de la mort d’un étudiant), les agriculteurs, les travailleurs, notamment ceux du ramassage des ordures, des cimenteries, de l’aluminium, de carrières, ou de la voirie, pour exiger des protections contre la dangerosité de leur profession, ou encore les gardes forestiers. Les formes de luttes vont de la manifestation à la grève voire à la fermeture pure et simple du site. Enfin, dans les cas de répression, surtout lors de fermeture de site, les gens se mobilisent pour la libération des personnes arrêtées.
Manifestation contre le gaz de schiste à In Salah, lors de l’hiver 2015.
Ces luttes à portée environnementale sont des luttes sociales. Les revendications d’eau ou de réseau d’assainissement sont souvent couplées avec d’autres (école, route, unité de soins, transport scolaire, éclairage) et sont le fait de populations de régions périphériques laissées pour compte ou de quartiers à l’abandon. La lutte contre la pollution d’une entreprise peut être accompagnée par la revendication de l’embauche dans cette même entreprise.
Les victoires sont rares et partielles : annonce, le 3 décembre 2018, de la fermeture d’une école amiantée à Souahlia (wilaya de Tlemcen), fermeture d’une décharge à Aokas (wilaya de Bejaïa), annoncée par la presse le 28 octobre 2018… La fermeture de l’entreprise sino-algérienne Dauphin d’or à Bechloul (wilaya de Bouira), le 23 septembre 2018, est le fruit de la lutte parallèle des travailleurs et des populations, mais voit maintenant le combat des travailleurs mis au chômage depuis des mois pour la réouverture de leur usine, qu’ils jugent avoir été remise aux normes exigées.
CE VOLONTARIAT S’EST MULTIPLIÉ CES DERNIERS JOURS ET S’EST ÉTENDU À D’AUTRES RÉGIONS
Les associations environnementales ad hoc sont plutôt présentes dans les villes et mènent un combat sans relâche pour les Zad d’Algérie que sont les forêts (menacées par la « disneylandisation » ou « forêt récréative »), les côtes, les parcs, les lacs, les jardins publics, les projets fonciers qui menacent les espèces végétales et animales. Et, dans ce cas, il y a parfois le soutien de partis politiques, comme c’est le cas de la lutte pour la bande boisée d’Aokas (wilaya de Bejaïa), dont la défense entraîne un bras de fer depuis des années entre les associations, le wali [celui qui dirige la wilaya] et les promoteurs.
Ainsi l’essentiel des luttes se fait sur le mode revendicatif, exigeant de l’État qu’il prenne en charge la résolution des problèmes. Toutefois, dans certaines régions, et notoirement en Kabylie, l’autoorganisation, souvent sous-tendue par un fort réseau associatif culturel, identitaire, voire autonomiste, prend en charge depuis longtemps des initiatives palliant l’incurie du pouvoir central en matière de réfections de fontaines, de chemins, de digues ou de ponts endommagés ou l’organisation du ramassage des ordures. Ce volontariat, évidemment loué et encouragé par les autorités, s’est multiplié ces derniers jours et s’est étendu à d’autres régions, l’insurrection du peuple algérien ayant entraîné dans sa foulée une multitude d’actions civiques, notamment de nettoyage, dans les campus, les quartiers ou dans les rues après les manifestations, car, comme le disait un manifestant : « Nous entendons démontrer que nous nous prenons en charge et que nous ne voulons d’ordures ni dans la rue ni au pouvoir »(2).
Article publié sur le site reporterre.