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Les femmes indépendantes enchaînées au travail domestique
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.anti-k.org/2019/05/30/genre-les-femmes-independantes-enchainees-au-travail-domestique/
Alternatives économiques, 29 mai 2019
Loin de favoriser la conciliation entre vie professionnelle et familiale, le travail indépendant renforce les inégalités de genre, selon une récente étude.
Le travail indépendant favoriserait la conciliation entre vie professionnelle et familiale pour les femmes, nous dit-on… Or, c’est très largement un mythe ! Telle est la principale conclusion d’une récente édition de Connaissance de l’emploi. L’enquête menée par la chercheuse Julie Landour démontre en effet, chiffres à l’appui, que travailler à son compte entretient, voire renforce, les inégalités liées au genre.
Un statut supposé attractif
Travailler seul.e, devait être, dans le discours des promoteurs de l’indépendance, le moyen d’atteindre l’équilibre optimal entre vie professionnelle et vie familiale
Depuis la fin des années 1970 en France, les gouvernements successifs ont « valorisé le non-salariat pour dynamiser l’emploi et la croissance », rappelle Julie Landour. Une tendance qui s’est accélérée au cours des années 2000 et a culminé avec la création du régime de l’auto-entrepreneur en 2009. Tout au long de cette période, la flexibilité offerte par ce statut a été un argument massue pour rendre le travail indépendant plus attractif pour les femmes. « Travailler seul.e, et éventuellement à la maison, devrait être le moyen d’atteindre l’équilibre optimal entre vie professionnelle et vie familiale », écrit Julie Landour.
Les femmes représentaient 36 % des indépendants en 2015. Leur part dans ce secteur a augmenté de 3 % en cinq ans, particulièrement dans les activités libérales (professions médicales ou juridiques, architecture…), mais aussi dans les activités montées en entreprise individuelle ou auto-entreprise (artisanat avec la confection de vêtements ou de bijoux, services administratifs, soutien scolaire…).
Or, si huit salariés sur dix estiment que leurs horaires s’accordent avec leurs engagements sociaux et familiaux en dehors du travail, le chiffre n’est que 68 % chez les indépendants, hommes ou femmes. Une enquête de la Dares reposant sur un questionnaire rempli en face-à-face au domicile de 27 700 personnes d’octobre 2015 à juin 2016 a permis à Julie Landour de comprendre pourquoi.
Des horaires atypiques et imprévisibles
Première explication : le temps de travail est nettement plus long chez les indépendants, avec une moyenne hebdomadaire de 50 heures et 56 minutes, contre 36 h 21 chez les salariés. Chez les hommes indépendants, ce chiffre atteint même plus de 53 heures en moyenne. Il est de 45 h 22 chez les femmes travailleuses indépendantes. Les horaires atypiques (travail le samedi, tôt le matin), le soir ou durant la nuit, sont plus fréquents chez les indépendants, particulièrement chez les hommes.
Par ailleurs, l’imprévisibilité des horaires est nettement plus marquée chez les indépendants : 38 % d’entre eux ne connaissent pas leurs horaires du mois à venir, contre seulement 16 % des salariés.
Cuisine et indépendance
D’autre part, à la différence des salariés qui peuvent souvent s’appuyer sur un collectif de travail pour organiser leurs temps, les indépendants sont assez isolés : ils ne sont que 43 % à déclarer pouvoir s’arranger avec des collègues en cas d’imprévu, contre 71 % des salariés. Et en cas d’imprévu, ils n’ont en fait guère plus de facilité à s’absenter.
La souplesse horaire permise par l’indépendance ne bénéficie pas aux femmes, qui restent assignées aux tâches ménagères
Il y a un « vécu genré de la flexibilité », souligne Julie Landour. Les hommes indépendants sont en effet d’autant plus satisfaits de leur souplesse horaire qu’ils sont moins confrontés aux imprévus familiaux. Mais elle ne bénéficie pas aux femmes, qui restent assignées aux tâches ménagères : chez les indépendants, l’écart de participation entre hommes et femmes est supérieur à celui – déjà important, rappelle l’autrice –, observé chez les salariés.
C’est avant tout l’implication domestique des hommes qui fluctue, comme s’ils « se retiraient du travail domestique en choisissant l’indépendance », alors que les femmes maintiennent une implication domestique « au moins stable » malgré un temps de travail alourdi.
Effets sur le revenu
Cette assignation limite leur investissement professionnel et, par conséquent, leurs revenus. Les femmes indépendantes percevaient en 2016 un revenu moyen 1 940 euros par mois, contre 2 530 euros pour les hommes de même statut. Elles affichent pourtant un niveau de qualification nettement supérieur à celui des hommes : 46 % sont détentrices d’au moins un bac +3 en 2016, contre 28 % des hommes. C’est respectivement six et deux points de plus que lors de la précédente enquête de ce type en 2012.
Autre évolution, on trouve davantage de couples avec enfants (+ 6 % sur l’ensemble), mais on trouve aussi davantage de femmes seules (+ 2 %) et de femmes à la tête de familles monoparentales (+ 1 %). Ces dernières étant à la fois très contraintes par les tâches domestiques et la nécessité d’assurer un niveau de revenu décent.